Ch. 45

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Pour le mariage d’Aurélien, avec Selena, qui n’est autre que la sœur d’Angèle, il a été prévu d’interrompre le flux des piétons, pendant une journée, sur les Ramblas de Barcelone, et de bloquer la circulation routière sur les routes adjacentes. Des pétales de roses blanches ont été dispersés sur la chaussée. Les mariés défilent dans un carrosse tiré par six Andalous blancs à la crinière tressée. La foule est au rendez-vous. Au passage du carrosse, les ovations s’élèvent et les applaudissements crépitent. Après une cérémonie religieuse sous les éclats vifs des vitraux de la Sagrada Familia – le monument de Gaudi – les mariés prennent la route des airs dans un hélicoptère décoré de tulles, qui les conduit sur la Costa Brava.

À Lloret de Mar, les festivités se poursuivent. Un banquet géant aménagé en bord de plage accueille les convives. La plage elle-même, a été réservée, pour l’occasion, ce qui a amené à la fermeture d’une partie des bars côtiers et au barrage des routes alentour, qui mènent à la vieille ville.

Parmi les officiels, Jules, accompagné de Pauline, s’est de nouveau plié au protocole, en assistant à toutes les étapes de la cérémonie et en félicitant les jeunes mariés au moment convenu.

À plusieurs reprises, il a aperçu Faustine, mais sans possibilité de l’approcher. Il doit attendre le moment du repas pour parvenir, un court instant, à quitter sa table.

Il s’assoit près d’elle, assez près pour que ses murmures ne soient pas audibles pour les voisins de table.

– Bonjour Faustine. Je n’ai trouvé que ce moment pour te parler. Es-tu bien sûre, à tout hasard, d’être fille unique ?

– Bonjour Jules. C’est quoi cette question ?

– Cette question, je te la pose, parce que c’est ce que j’ai déjà découvert pour moi.

– Tu as découvert quoi, au juste ?

– Il me semble que c’est moi, en premier, qui t’ai posé une question.

Faustine retourne plusieurs fois sa petite cuillère sur la nappe.

– Je ne suis que la fille adoptive de Damien et Nancy.

– Et tes vrais parents ? Ils sont morts ? Tu es orpheline ?

– Non.

– Ils ne seraient pas, par hasard, au moment où je te parle, pas très éloignés de l’endroit où nous sommes ? (Le regard baissé sur la petite cuillère, elle ne répond pas.) Est-ce qu’il n’y aurait pas, également, encore, plus près de toi, quelqu’un qui serait ton frère ? (Elle lève un regard confus vers Jules.) Bonjour les secrets de famille ! Tu sais donc que je suis ton frère…

– Entre frère et cousin, est-ce que la différence est énorme ?

– La différence, c’est que ça fait des années que je te cherchais. Mais où tu habites, au juste ? Ce n’est pas aux States ?

– Depuis mes douze ans, je suis plus souvent à Paris.

– Tu as des preuves, au moins, que tu as été adoptée ?

– Bien sûr ! Je te signale que tu as besoin d’un passeport pour voyager. Pourquoi tu m’as cherchée ?

– Pourquoi ? Parce que toi, ça ne t’intéresse pas de savoir combien de frères et sœurs, on est ?

– À moi, on n’a pas besoin de mentir. Je ne suis pas comme toi : toujours dans le refus.

– Si on te raconte tout, alors tu dois aussi savoir que de la fratrie, il y en a qui ont disparu, sans qu’on sache comment. À moins qu’on t’ait donné, à toi, d’autres infos, sur la manière dont ils ont disparu. Et ça… tu acceptes, aussi ? Moi, j’aimerais bien savoir jusqu’à quelle limite tu es capable d’accepter.

– Oh, ça va… Je ne vais pas te dire, non plus, que les choses sont faciles, pour moi… Mais est-ce que tu as conscience, au moins, du mal que nos parents se donnent pour nous, afin qu’on ait le meilleur ?

Jules se redresse.

– Je vois que tu n’as pas changé. Tu veux savoir pourquoi je t’ai cherchée ?

– Vas-y…

– Parce que je n’avais pas envie d’apprendre que tu as, toi aussi, disparu, sans laisser de traces. Je t’ai crue en danger. J’avais même pensé te protéger.

– Mon pauvre Jules, tu t’es trompé de monde. Ici, c’est chacun qui défend sa peau. Alors, pense à ta peau à toi, et oublie-moi.

– Ok… Adieu, la sœur.

Alors qu’il rejoint sa table, Pauline s’empresse de l’interroger :

– C’est qui cette fille que tu draguais ?

– C’est une cousine et je ne la draguais pas.

Un parc d’attraction a été réservé à un usage exclusif des invités, libres de s'étourdir à volonté, des sensations des manèges.

La grande plage de la ville, quant à elle, s’est peu à peu transformée en une piste de danse géante, ouverte sur l’infini du ciel et de la mer, avec la vertigineuse voûte étoilée comme plafond.

À un moment donné, il devint impératif, pour Jules, de prendre Pauline pour cavalière. Sitôt sur la piste, un bras autour de la taille de sa partenaire, il sentit les regards converger dans leur direction ; des regards trop imposants, trop révélateurs de l’avenir qu’on voulait lui réserver. Nul doute que l’on avait déjà décidé, à sa place, de leur mariage, auquel lui n’aurait aucun droit de se soustraire, tant il répondait aux intérêts d’un projet mûrement préparé. Dansant avec Pauline, Jules devint avec elle, le nouveau centre de la fête, l’axe des célébrations prochaines. De quelle échappatoire disposait-il ? Il était piégé au centre d’une piste de sable, et déjà à l’intérieur même des rétines luisantes des spectateurs, avides de grands événements.

De retour à Courcy Montvernier, Jules espère reprendre le contrôle de ses décisions. Il se rend compte qu’il n’est guère facile de résister mentalement, seul contre la multitude. Il serait finalement assez tentant, pour lui, de lâcher prise, face à l’adversité, et de laisser le courant violent des désirs des autres, l’emporter. Mais doit-il se laisser ensevelir jusqu’à la noyade ?

Il se rend dans l’espace détente, se dévêt, entre dans le bain de vapeur du sauna, s’allonge sur un banc. Plongé dans une semi-somnolence, il se redresse, surpris d’entendre la porte s’ouvrir. C’est Pauline. Il l’aperçoit, en contre-plongée, entièrement dévêtue, elle aussi. Il saisit une serviette pour dissimuler sa nudité.

– Pourquoi tu te caches ? Je sais déjà comment tu es, de toute façon.

– Franchement, tu ne t’en fais pas.

Ne l’écoutant pas, elle s’allonge sur le banc voisin, expose son corps, s’offre à sa vue, à ses appétits aussi. Comment lui résister ? Il s’approche, promène sa main sur le velours de sa peau, l’embrasse. Ses caresses se font plus fébriles, plus empressées. Il vient sur elle, l’enserre, mais l’instant d’après se ravise. Il sent trop bien le piège, ne peut pas oublier la peur, qu’il a eue, de devoir assumer une paternité. La leçon a été retenue. Il ne retombera plus dans ce train d’enfer de l’angoisse. En réalité, il n’a nullement envie de s’engager et Pauline, en plus, n’est pas le genre de fille avec laquelle il souhaite bâtir un avenir. Il ne l’aime pas.

Derrière Pauline, le mariage et le projet du triumvirat, Jules sait que c’est la volonté de son père qui doit triompher. Bien que présent dans le domaine de Courcy, Didier Montvernier se fait discret ces derniers temps, probablement parce qu’il songe qu’en passant inaperçu, il pourra plus facilement attirer sa proie dans sa souricière.

Cependant, un jour, le patriarche doit admettre l’évidence : Jules refuse Pauline. Il décide alors de jouer sur un autre tableau : celui de l’attrait d’un prestige sans pareil. Pour tenter de convaincre son fils, il lui envoie d’abord Marc Tripo, puis son professeur de sport.

L’humeur de l’adolescent s’assombrit, lorsqu’il s’aperçoit que Victor Mekin prend fait et cause pour son père.

– Ne sois pas stupide. Tu sais très bien que je ne peux pas soutenir le projet de ton père. Mais là, il est en position de faiblesse. Donc, tu peux lui imposer des négociations sévères. Quand l’horloge du compte à rebours arrivera à échéance, tu auras dix-neuf ans et demi. Donc tu es déjà certain d’être majeur.

– Mais ma parole, tu ne connais pas mon père ! riposte vivement l’adolescent. Négocier avec lui, c’est déjà accepter d’être sur son terrain. Les négociations, c’est son truc. Il est dans son élément. C’est lui donner de nouvelles opportunités pour me coincer. Et déjà, je ne veux pas le laisser me griller. C’est toi-même qui m’as fait comprendre qu’il cherchait à griller tout le monde. Tu crois qu’il va faire une exception avec moi ?

– En effet, répond le professeur dans un soupir. Mais est-ce que tu auras vraiment le choix ?

– Oui, en me barrant d’ici.

– Tu veux aussi quitter ta condition ?

– Ce n’est pas un problème pour moi. Je n’ai rien à perdre.

– C’est peut-être ce que tu crois, pour l’instant. Mais ton milieu t’a protégé contre beaucoup de difficultés.

– Non. Ce qui aurait pu me protéger, c’est de penser pareil que mon père. Parce que pourrir la vie de ceux qui n’ont pas le même avis que lui, c’est ça son programme.

– Tu crois que tu peux réussir à t’imposer, sans son argent ? Tu vas te retrouver, pour tout, limité dans tes moyens.

– Peut-être. Mais à quoi me sert la sécurité financière, si mes rêves sont en danger ?

– Jules… Je vais devoir annoncer à ton père que je n’ai pas réussi à te convaincre.

– Génial ! J’imagine déjà sa tête.

– Ça risque de te retomber dessus.

– Il a plus à perdre que moi.

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