Chapitre 5: Le parasite royal
Le village n’était plus ce qu’il avait été. Jadis rythmé par le chant du coq, les bruits du pilon et les rires d’enfants courant derrière des pneus usés, il baignait désormais dans une étrange torpeur. L’air semblait plus lourd. Les matins s’ouvraient sur des soupirs, des toux sèches, des visages cernés. Un malaise diffus, sournois, sans forme ni visage, avait pris racine. Et pourtant, personne ne comprenait vraiment.
L’anophèle, lui, comprenait.
Il volait toujours aussi haut, aussi droit, mais son aura avait changé. Ce n’était plus une simple quête nocturne. Il régnait. Les cases de paille et de terre rouge s’inclinaient presque sur son passage. Il entrait sans bruit, repartait sans trace, laissant derrière lui des corps alourdis de sueur, des fronts en feu, des mains qui tremblaient.
Les puissants tombaient un à un, comme des arbres rongés de l’intérieur.
Le vieux chef Tognon, respecté pour sa sagesse, était devenu l’ombre de lui-même. Couché jour et nuit, il parlait seul, ses yeux cherchant le vide. L’inspecteur Komi, autrefois droit et sévère, avait cessé de se rendre au palais de justice. On disait qu’il ne supportait plus la lumière. La prêtresse Hêlan, réputée intouchable, s’était évanouie en pleine cérémonie, la bouche pleine de sang. Et d’autres encore, tous atteints du même mal insidieux.
Les villageois observaient, murmuraient, inventaient. On accusait des sorts, des jalousies, des dieux offensés. On soupçonnait l’eau, la lune, même les arbres. Mais jamais l’on ne songeait au vrai roi : le minuscule visiteur nocturne, qui, chaque nuit, festoyait au sommet.
L’anophèle enflait d’orgueil. Son corps vibrait d’une vigueur surnaturelle. Il se voyait désormais comme une entité au-dessus du vivant, un juge des âmes, un équilibreur silencieux. Sa piqûre n’était plus un acte animal : c’était une sentence.
Et il observait avec plaisir la panique lente qui gagnait les regards. Les puissants, jadis arrogants et fiers, devenaient fébriles. Ils dormaient la bouche couverte, suspendaient des talismans à leurs fenêtres, faisaient bénir leur oreiller. Mais cela ne changeait rien. Il passait à travers tout.
Il était invisible, invincible.
La nuit, il s’autorisait même des pauses. Il volait au-dessus des places publiques, observant les enfants jouer, les femmes discuter, les hommes s’ennuyer. Tout cela ne le concernait plus. Il vivait dans une autre sphère. Sa royauté n’était pas de ce monde. Il avait compris une vérité fondamentale : la domination ne s’obtient pas par le bruit, mais par l’insistance muette du mal.
Et il s’enivrait de cette pensée.
Mais dans l’excès naît l’imperfection. Dans la gloire, germe souvent la chute.
Car à force de piquer les mêmes veines, les corps s’affaiblissaient. À force de revenir toujours aux mêmes festins, les mets se raréfiaient. Et sans qu’il ne s’en rende compte encore, le cercle se refermait. Lentement. Sournoisement.
Le ''roi'' piquait. Mais les rois tombaient.
Et déjà, l’air sentait le changement.

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