Chapitre 9: L’exil
Le jour se levait sur la contrée, mais l’anophèle n’était plus là pour le voir.
Abandonnant le village et ses terres arides, il prit son dernier envol, fatigué, blessé, et surtout seul.
Les rayons pâles du soleil caressaient les feuilles encore trempées de rosée, mais il ne pouvait sentir cette fraîcheur bienfaisante. Son cœur battait au rythme d’un silence sourd, un battement creux qui résonnait dans son être comme un glas funèbre. Il n’était plus qu’une ombre pâle, un spectre désorienté errant dans un monde qui s’éloignait.
Autrefois, ce village était son royaume, le théâtre de ses conquêtes et de ses festins. Mais à présent, il n’était plus qu’un piège vide, un endroit où ses proies étaient mortes ou parties, où les cris de vie avaient cédé la place aux murmures de l’abandon.
Il survola les ruines de ce qui fut autrefois une grande demeure, un palais modeste aux murs craquelés, orné de sculptures effacées par le temps. Chaque fissure racontait l’histoire d’un pouvoir disparu, chaque pierre, le poids d’une époque révolue. Là, il avait bu le sang le plus riche, le plus chaud, celui des puissants. Mais ces puissants avaient péri, victimes d’un mal sournois qu’il avait lui-même semé.
Ses ailes battirent plus lentement, tremblantes. Il chercha refuge dans le silence du ciel, parmi les branches desséchées et les nuages qui s’éparpillaient comme des voiles déchirées.
Le vent, complice cruel, soufflait entre les herbes hautes, emportant avec lui les échos de la vie passée. L’anophèle glissa au ras des broussailles, où l’herbe jaunie formait une mer ondulante, une vague immobile sous le souffle invisible du temps.
Le goût de la solitude amère lui monta aux antennes. Il n’était plus chasseur, ni seigneur. Il était devenu un exilé, un errant condamné à chercher ce qu’il avait perdu.
Ses pensées tourbillonnaient comme des feuilles mortes emportées par la tempête. Pourquoi ? Pourquoi avait-il choisi le sang des puissants ? Pourquoi avait-il rejeté la multitude des humbles ? Pourquoi son corps, qui avait tant soif, refusait-il maintenant ce qui restait ?
Il se posa sur une branche fragile, son refuge précaire. Le bois craqua sous son poids léger, un bruit si doux qu’il sembla appartenir au vent lui-même.
Les étoiles, encore timides dans le ciel blême, observaient silencieusement cette créature brisée.
Il se sentit vulnérable comme jamais.
Son regard se perdit dans le lointain, cherchant un avenir qui n’existait peut-être plus.
Dans ce vaste monde où il n’était plus que poussière, le prédateur solitaire comprit qu’il avait franchi la frontière entre la vie et l’oubli.

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