Chapitre 1 : Tec - Partie 3

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Pour une simple famille, elle avait des tas d'ennemis. Ce cas était bien compliqué, d’où l’engagement de plusieurs spécialistes, dont moi-même.

Je travaillais pour eux depuis à peine cinq ans, du moins pour Enès. Autrefois, j'enquêtais surtout sur des crimes légers, mais il était vrai que ma façon d'agir était remise en question. Malgré ma discrétion, j'avais énormément de contacts et pouvais obtenir les informations souhaitées. Enès était le frère aîné d'un ancien ami de classe. Je le connaissais vaguement et cela me convenait très bien. Puis il est devenu commissaire et sur une affaire sur laquelle il buttait, il avait décidé de me contacter pour solliciter mon aide grâce à cet ami. Depuis ce jour, les cadavres m'étaient à portée de mains.

Les débuts professionnels avec Enès furent particulièrement regrettables, le silence nous pesait. Mais au fil du temps, nous avons sympathisé jusqu'à devenir amis, et un temps colocataires lors de sa rupture amoureuse.

— Nous devrions nous intéresser aux suspects un par un.

Nous nous installâmes tous sur les sièges, chacun un bout du dossier dans les mains : photos, témoignages, descriptions, tout ce qui pouvait nous aider à trouver le coupable.

Enès attrapa un calepin et un stylo pour y noter les points pour et contre chaque suspect. Nous étions prêts à commencer l'enquête dans ce chalet isolé. Il prit la direction des opérations comme il le faisait toujours.

— Le premier suspect logique est le père et mari. Il aurait tué sa femme, sa fille, et il se serait tiré une balle dans le crâne.

— Ses antécédents ne sont pas fameux, remarquai-je.

— Donnons tous nos arguments sur ce type, je les noterai.

Je tournai mon regard vers Mattéo qui restait silencieux depuis notre arrivée. Difficile de juger la raison de son mutisme, cela pouvait provenir d'un sentiment de malaise. Qui ne serait pas mal à l’aise dans ce genre de situation ? Qui plus est, avec trois inconnus avec qui débattre sur le meurtre de trois individus à quelques mètres de là. Débattre, débattre, débattre. Comme dans un jeu de société, comme du poker en fait. Chacun cherchant à convaincre les autres que l’on possédait la solution. Juste pour l’égo, peu importait si on avait raison ou tort, nous voulions tous détenir la vérité.

Finalement, Theia prit la parole en première. Cette Theia, magnifiquement intelligente et pourtant si naïve. Nous étions les meilleurs dans notre domaine, ceux qu’on appelait pour les enquêtes qui allaient finir en cold case, car personne n’avait la foi de voir plus loin que la logique. Elle était certes douée dans son taf de… De quoi déjà ? J’avais oublié le nom à rallonge de son métier, mais je m’en fichais. Elle était certes douée dans ce qu’elle faisait de mieux, mais elle n’avait pas la déduction que je pouvais avoir, moi, détective privé. C’était mon travail de deviner les choses les plus improbables du monde. Alors quand elle ouvrit la bouche pour dire une évidence si parfaite qu’elle semblait irréaliste, cela ne m’étonna guère.

— Bon. Il battait sa femme, la trompait, a déjà essayé de tuer son ex, le coupable parfait.

Enfin, le discret profiler se décida tout de même à ouvrir la bouche.

— On connaît l'identité de la maîtresse ?

— Non, sinon ça serait trop facile.

— Elle est aussi une suspecte alors.

Enès coupa la conversation froidement.

— On se concentre sur lui d'abord.

Théia leva des photos qu'elle tenait en mains, un sourire aux lèvres, et émit une première preuve.

— Regardez leurs photos de couple, elle avait des marques. Il la battait depuis longtemps. Vous savez, ce n'est pas si rare les hommes qui tuent leur femme par un coup de trop.

Je tendis la main. Une fois les clichés sous mes yeux, je constatais ce qu'elle évoquait. En effet, elles mettaient en évidence des bleus sur les mains et le visage de cette pauvre femme. Néanmoins, leur fille d'une quinzaine d'années paraissait heureuse. On pouvait observer les trois individus souriant, prenant la pose comme la parfaite petite famille idéale. Le soleil triomphait, les lunettes de soleil étaient de sortie pour les trois et, pourtant, la femme portait un t-shirt à manches longues, un jean et un bracelet. À contrario du mari et de la jeune fille qui se trouvaient en short et débardeurs. De quoi cacher la misère. Malgré cet effort, on pouvait apercevoir des marques marron et violacées sur son cou et des griffures sur ses mains.

— Pourquoi il aurait tué sa fille ? Il n'avait pas l'air de la battre.

Oui, la fille, quant à elle, avait une peau lumineuse et rebondie. Le genre de peau que l’on a à quinze ans, quand on est encore frais, sans que l’acné ne nous gâche la vie. Il n’y avait aucune marque sur son corps. Non, rien de rien.

— C'est un dégât collatéral.

Sûrement, oui. Et cela me faisait mal de donner raison à Theia. Peut-être à cause de mon côté misogyne enfoui au fond de moi, ça me foutait les nerfs à vif de voir qu’une femme pouvait mieux gérer les choses que moi. En fait, peu importait le genre, je voulais être le meilleur. Je voulais que ma réputation soit digne de ce nom et qu’on me surnomme le plus intelligent de tous quand on parlait de moi. Du style : « C’est Eric Sares, le détective privé le plus intelligent de tous. Cela ne fait aucun doute qu’il trouvera qui est le meurtrier de cette histoire. »

— Sur les photos de la scène de crime, elle se trouve en bas des escaliers. Le coup de feu a pu l'attirer, elle aurait vu sa mère au sol et il l'aurait tuée suite à ça.

— Une chose est sûre. La fille est morte après la mère.

Enès intervint sans décoller le regard de ses notes. Enès était vraiment, vraiment, très méticuleux. Peut-être dû à son taf où il devait diriger et coordonner, en tout cas, il prenait soin des choses. Les enquêtes qu’il menait lui tenaient à cœur et il s’engageait à les résoudre pour apaiser l’âme des victimes. Et je ne parlais pas seulement des morts, mais bien des proches des morts. C’était un chic type, je vous le jure. Et pas parce que nous habitions ensemble et que nous sommes probablement les meilleurs amis du monde.

— Rien n'est sûr. On est en plein août et on les a retrouvés plus d'un mois après leur mort. La chaleur a fait accélérer la décomposition de leur corps. On ne peut pas être sûr de la date de leur mort, on a une fourchette de quatre jours. Si ça se trouve, ils ne sont même pas morts le même jour.

Mattéo détourna son attention vers une toute autre chose que la chronologie des meurtres. Décidément, celui-là voulait mener le fil de la discussion. À toujours vouloir se faire remarquer, il m’apparaissait plutôt du genre narcissique sans même que j’ai à le connaître davantage. Cela se devinait sur son visage carré et imposant. Cela se voyait, c’était le style de type à être populaire à la fac, celui que tout le monde voulait s’attribuer, le beau gosse sans exception. Celui qui avait tout dans la paume de la main, qui n’avait qu’à claquer des doigts pour obtenir ce qu’il désirait. Bref, le genre de type que je détestais à l’époque. Celui que je méprisais parce que j’étais son inverse, pas le moche de service, encore pire, le fantôme. Personne ne me regardait, j’étais insignifiant et si j’étais mort de la même façon que cette famille, personne ne chercherait à découvrir le coupable. On se dirait juste « Tant pis pour lui. C’est pas de chance ». La chance, je t’en foutrai moi !

— Ce que je trouve étrange, c'est le suicide du père. Pourquoi tuer sa famille pour après se suicider ?

— C'est une preuve dans les pour. Un acte de culpabilité.

— Non. Ce que je veux dire, c'est que la femme se soit prise plusieurs balles dans le buste, trois plus exactement. C'est quand même barbare, le tueur devait manquer de sang-froid. Comme par hasard, il l'aurait retrouvé juste après, il se serait assis sur le canapé et se serait tiré une balle dans la tête ?

— Il n'est sûrement pas mort tout juste après les avoir tués. Il a du réfléchir à la suite et quand il s'est rendu compte qu'il allait forcément être démasqué, il a choisi la mort.

Il nia de la tête comme si personne ne comprenait l'avance qu'il avait.

— Y avait une assiette remplie en face de lui sur la table basse. L'autopsie est formelle, il était en train de manger quand il s'est pris la balle.

Nous comprîmes ses insinuations, la scène de crime contredisait un suicide. Ce fut à cet instant que ses talents de profiler furent évidents. Je fus impressionné, mais je le gardai pour moi. Je devais d'abord être sûr de cette théorie. Et puis, pas question de donner raison à ce type. Il en serait bien trop fier. Il bomberait le torse, se tiendrait droit, et se raclerait la gorge l’air de dire : « Vous voyez, je suis un beau gosse ». Non, Mattéo, tu n’es pas un beau gosse, juste un peu malin. Comme nous tous parce que nous avons de suite compris ton insinuation.

— On a dit qu'il y avait une fourchette de quatre jours quand le meurtre a eu lieu. Il ne s'est peut-être pas tué le jour même. Il les a tuées, s'est posé, il a réfléchi à ce qu'il devait faire et peut-être qu'il a décidé du suicide le lendemain.

Il fronça les sourcils, c'était discret, mais je l'aperçus.

— Le tueur n'a pas l'air d'être quelqu'un qui a l'habitude de voir des cadavres. Tu ne tues pas impulsivement quelqu'un pour après rester manger tes pâtes à un mètre du corps.

Pendant qu'Enès continuait d'écrire tout ce que nous disions, Theia intervint.

— De toute façon, pourquoi il serait parti en vacances pendant un mois avec elles si c'est pour les tuer les premiers jours ? Il avait déjà pas beaucoup de temps libre alors poser un mois entier…

Ah, Theia… Ma chère, es-tu stupide ? Nous avions à faire au meurtre parfait, genre parfait. Sinon, nous ne serions pas sur le coup, nous, les quatre justiciers du crime. Je pensais qu’on avait tous mis de côté notre simplicité d’esprit, ça me paraissait évident. Enfin, on parlait d’un meurtre quasiment impossible à résoudre, où tous les gens qui côtoyaient cette famille pouvaient être des suspects potentiels. Alors bien sûr, venir s’isoler ici, les tuer, et attendre un mois avant que la police ne soit mise au courant était une bonne idée.

— Peut-être qu'il avait l'intention de passer ses vacances à trois, répondit Mattéo avec ironie.

Malgré son mépris qui commençait à me taper sur le système, il était vrai que le moment du meurtre paraissait illogique.

— C'est vrai, mais ça ne veut pas dire qu'il ne les a pas tuées. Il a pu découvrir quelque chose qui l'a mis hors de lui.

Elle lâcha un léger rire de jugement.

— Surtout qu'elle le trompait aussi.

— Il l'a sûrement découvert et par rage, il les a tuées.

Mattéo semblait dubitatif, il n'avait pas l'air de considérer l'homme comme le meurtrier. Sa tête ne pouvait s'empêcher de balancer de droite à gauche pour réfuter cette hypothèse. Oui, oui, Mattéo, on le sait, tu es différent de nous. Le plus beau, le plus intelligent. Bien sûr que le mari n’était pas le meurtrier, c’était trop facile ainsi. Enfin, j’espérais que cela ne soit pas aussi facile…

— Ça ne va pas. Ces balles ne vont pas. La façon dont il a été tué montre que le tueur a fait preuve de sang-froid, mais les deux femmes, ça n'est pas le cas. Il y a eu une surprise et cette surprise n'a pas pu avoir eu lieu avant les trois meurtres.

— Il n'allait pas non plus se suicider de trois balles dans la poitrine.

— Et tous ces indices ? La boue à l'entrée, la vitre cassée, l'assiette et le téléphone à terre ?

— Tout peut être expliqué. Pour commencer, il a plu quelques jours avant la fourchette des meurtres. L'un d'entre eux aurait été dehors et il se serait rendu compte qu'il a oublié quelque chose et est rentré rapidement pour récupérer ce qu'il voulait.

Enès acquiesça du visage tout en écrivant à toute allure.

— Cette boue ne veut vraiment rien dire. Si encore on pouvait avoir la taille de chaussure des empreintes de pas, mais elles sont trop étalées pour ça. La vitre cassée, je ne saurais trouver une réponse.

— De toute manière, c'est une vitre en plein milieu du salon, bien loin de l'entrée. Le tueur n'aurait pas pu rentrer par là ou je ne sais quoi.

L'entêté profiler finit par hausser des épaules, signe de renoncement. Il ne s'agissait pas d'avoir tort ou raison, mais d’évaluer les pour et les contre jusqu'à savoir le dénouement des meurtres. Il nous était impossible de découvrir l'identité du coupable à cet instant alors nous découvrions le contexte aussi lentement que sûrement.

Il n'ajouta rien d'autre, il était plutôt indifférent à l'idée de mener cette enquête, comme nous tous finalement. L'ambiance nous déconnectait de la réalité, c'était plutôt un prétexte pour nous occuper qu’un défi à résoudre. Et puis, une affaire ne se résolvait pas en trois jours.

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