Chapitre 2 : Enès - Partie 1

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Theia m’agaçait au plus haut point, le genre de femme qu’on détestait parce qu’elle touchait là où ça faisait mal. Le genre qu’on évitait parce qu’elle était trop franche. Oh, ce n’était pas un défaut de sa part, bien au contraire, mais ça ne la rendait pas aimable pour autant. Elle avait tapé dans le mille, avec sa remarque de pouffiasse dont je n’étais pas le seul exaspéré. Je vis Tec froncer les sourcils et pincer ses lèvres, ça oui, il la détestait.

Je connaissais Tec par cœur, parce qu’on vivait ensemble depuis plusieurs années maintenant. C’était mon ami le plus fidèle et loyal, mais surtout, il savait ne pas être intrusif. Et ce qu’avait dit Theia était tout ce qu’il y avait de plus intrusif. Oui, j’ai été trompé. Oui, j’ai été brisé. Était-ce drôle ou que pouvais-je savoir ? Car elle esquissait un sourire, fière d’elle. Je pouvais lire dans son regard « Bingo, j’ai touché là où il fallait ». Garce.

Il était plus de six heures du matin, six heures douze pour être exact. J’étais épuisé, mes yeux me brûlaient à force de lire ces documents, mon corps s’engourdissait et ma tête allait exploser par la migraine que je me tapais. Nous avions passé la journée entière à débattre du tueur du triple homicide, en vain. Personne n’était d’accord : était-ce la femme, le mari, l’ex, l’amante, un passant ? Nous n’en avions aucune idée et ça me fatiguait de ramer.

— Il est tard. Nous devrions aller nous coucher avant de reprendre l’enquête demain.

Personne n’était grandement motivé à se bouger pour aller dormir, mais je voulais absolument mettre fin à cette conversation qui dérivait dans le personnel. Et il était hors de question que cette Theia touche du doigt mon passé. Ce n’était pas parce qu’on allait passer les prochains jours ensemble que nous devions nous rapprocher. Et puis, j’avais l’enquête pour détourner le sujet. Mince alors, pas de pot, nous n’avions pas le temps pour discuter de nos pathétiques vies.

Theia se leva la première, déposa tous les documents qui traînaient sur son ventre tandis qu’elle était allongée sur le canapé, et posa ses mains sur ses hanches. Qu’avait-elle encore à nous dire ? Cela se voyait qu’elle allait nous annoncer une mauvaise nouvelle, la mauvaise nouvelle.

— Je ne sais pas si vous avez fait le tour du chalet, mais il n’y a que deux chambres. Un lit double et un lit simple. Quelqu’un va devoir se dévouer pour dormir sur le canapé.

Argh. Cela ne me disait trop rien de dormir près de la porte d’entrée. J’étais persuadé que si le tueur entrait, il me tuerait le premier, alors que je dormirais encore. Je serais mort sans le savoir et je resterais bloqué sur Terre sans pouvoir aller au paradis. Ah non, hors de question que ce soit moi.

Mattéo devait penser à la même chose que moi parce qu’il détourna le regard, l’air de dire : « Vous ne me voyez plus, je n’existe plus », comme si ça pouvait passer. Allez mon grand, ce sera toi qui dormiras ici. Le plus téméraire, le plus courageux, c’était toi. Cela se devinait à sa tête qu’il était courageux, en tout cas, c’était ce qu’il paraissait être. Il avait toujours l’air sûr de soi, le menton levé et le dos bien droit. C’était peut-être son charisme de profiler, parce que les profilers étaient toujours intimidants de part leur métier.

Ah, si j’avais connu ce métier plus jeune, j’aurais tout fait pour le devenir. C’était vraiment le taf, celui que tout le monde enviait, celui qui pouvait se la péter : « Ouais ouais, je suis profiler ». Enfin, en France, on dit analyste comportemental ou criminologue. Cela sonne beaucoup moins bien : « Bonjour, je suis analyste comportemental, oui, oui, baguette. ». Nul. Alors que profiler, ça claquait.

Bref, là n’était pas la question. Mattéo allait sûrement dormir sur le canapé, la hantise de tout être normalement constitué. Et il le savait, il était la victime de nous quatre parce que, galanterie oblige, Theia allait dormir dans la chambre au lit simple. Quant à Tec et moi, nous nous connaissions assez pour dormir ensemble. Mais ça, Mattéo et Theia ne le savaient pas encore.

Le profiler, ce grandissime homme au métier stylé, marmonna dans sa barbe sa désapprobation. Ouep, il n’avait pas envie de dormir là.

— Je vois. Tec, tu me sembles le plus approprié pour dormir ici.

— Quoi ? Pourquoi moi ?

— Pourquoi pas ?

Parce que t’étais vraiment un sale con. Si tu connaissais Tec un peu soit-il, tu saurais qu’il avait la trouille d’absolument tout. Une fois, nous avions regardé un film d’horreur ensemble, rien de bien horrifique à vrai dire, le genre de film d’horreur qui te fait rire tant c’était ridicule. Eh bien, il s’était enfoui sous le plaid et criait pour cacher le son de la télévision. Ouais, c’était son genre. Une vraie tapette. Et pourtant, quand il s’agissait de se faufiler dans des propriétés privées surveillées, il n’avait aucune peur. En fait, dès qu’il s’agissait de son travail, Tec était un vrai dur à cuire. Mais arrivé dans le personnel, il avait peur d’un chihuahua. Sacré Tec.

— Je refuse de rester seule dans un endroit où une famille entière a été assassinée à un kilomètre d’ici.

Un point pour Tec. Nous quatre pensions la même chose, mais Mattéo avait une fierté mal placée de grand gaillard qu’il n’assumait pas. Je pouvais deviner avant même qu’il l’ouvre qu’il allait répliquer avec un ton méprisant.

— Oh, pauvre bébé. Le tueur ne va pas venir ici. Surtout avec la tempête dehors.

Un point pour moi. J’avais envie de répondre : « Bah alors, qu’est-ce qui t’empêche de dormir ici ? », et j’aurais eu l’air cool. Mais cela risquerait de se retourner contre moi. Et franchement, je n’avais pas du tout envie de dormir sur le canapé. Alors je me tus. Je savais que Tec saurait répondre correctement à sa condescendance. Il avait une drôle de répartie, du style sournois. Tandis que j’étais plus impulsif.

— Je suis plus âgé que toi je te signale.

— Comment est-ce possible ?

— J’ai trente-trois ans. Et toi seulement la vingtaine.

— Comment tu connais mon âge ?

— Je sais tout, avoua-t-il avec un clin d’œil.

Deux point pour moi. Je vous le dis, je connaissais Tec comme si je l’avais fait. Il ne pouvait rien me cacher et inversement. En réalité, cela se voyait que Mattéo n’avait que la vingtaine. C’était pourquoi je savais qu’il ne dormirait pas sur le canapé, car il savait s’y prendre avec les gens. Il pouvait les convaincre en un rien de temps et c’était en cela qu’il faisait un bon détective privé. S’il sentait que la vérité serait trop difficile à être acceptée, alors il convainquait ses clients de ne pas lire l’intérieur du dossier : « Vous verrez, vous vous porterez mieux dans le mensonge. Je vous l’assure. » disait-il. Et même la personne la plus curieuse du monde renoncerait à regarder la vérité.

Alors nous nous étions tous mis d’accord : Mattéo dormirait dans le salon. Il n’avait pas eu le choix, et puis, son ego était tel qu’il avait fait comme si cela ne lui faisait rien. Un vrai mec. Alors qu’on savait tous pertinemment qu’il flippait autant que nous. Déjà que la chambre me mettait mal à l’aise, parce qu’on restait toujours à quelques centaines de mètres du lieu du crime, mais alors le salon. Ah non, il fallait être malsain pour n’y voir aucun problème.

Mattéo avait bombé le torse, il s’était raclé la gorge pour se préparer à mentir, puis il nous avait répondu : « Très bien. Ça ne me dérange pas de dormir ici. Puisque de toute manière, vous êtes tous des tapettes. ». Mais nous devinions très bien qu’il n’allait pas s’endormir de la nuit tant il serait apeuré par la tempête et l’ambiance glauque du chalet.

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