Chapitre 3 : Theia - Partie 1

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J’étais abasourdie par cette enquête. Comment était-ce possible d’avoir autant d’ennemis ? J’avais de la peine pour cette pauvre famille qui était morte de façon brutale. J’en avais le cœur brisé, parce que je m’imaginais à leur place. Je pensais à ma fille, tout juste douze ans. Et à mon ex-mari, violent lui aussi. J’avais réussi à le quitter et à m’enfuir assez loin de lui pour qu’il ne me retrouve jamais. J’avais une vie discrète depuis, mais je savais qu’il ferait tout pour me retrouver et m’abattre. Nous abattre. Alors la théorie du mari qui tue sa femme et sa fille, puis se suicide, ne me paraissait pas si bête que cela. Bien au contraire, parce que je savais ce que cela faisait de ressentir la peur et l’angoisse d’être face à son bourreau, je savais qu’il en serait capable. Il allait finir par nous tuer, comme les Abernathy.

J’étais encore sonnée par ce Samuel et l’ex-mari. Je n’encaissais que très mal les nouveaux suspects qui s’immisçaient dans l’affaire. Il me fallait du temps pour relever les théories fumeuses de mes collègues. Mais tout allait vite, trop vite. En l’espace de vingt-quatre heures, nous avions déjà six suspects. Six. Et ce n’était pas fini. J’étais surprise de la tournure que prenaient les évènements : Juliette Abernathy était une folle. Peut-être. Probablement. Tout était possible dans cette enquête.

Elle avait menti à maintes reprises. Ses autres ex, jusqu’à ceux du lycée, l’affirmaient : Juliette Abernathy, autrefois Juliette Hawthorne, de son nom de jeune fille, était une menteuse pathologique. Pour l’un, elle avait un amant. Pour le second, elle avait fait croire à une grossesse imprévue pour garder son conjoint, puis à une fausse couche. Pour le dernier, avant Samuel et George, elle avait crié aux violences conjugales.

À la façon dont Enès me regardait, je sentais bien qu’il ne me faisait pas confiance. Il avait cet air de jugement, un sourcil levé et les lèvres pincées. Et pourtant, s’il voyait ce que j’avais sous les yeux, il me croirait sur parole.

— Je te jure Enès. Mattéo, Tec. Je vous le jure. Regardez par vous-mêmes, dis-je en leur tendant le document. C’était une menteuse. Elle en a fait baver à tous ses ex.

Tous se ruèrent sur la feuille que je tenais. Tec l’arracha de mes mains, et Enès et Mattéo se placèrent derrière lui pour y lire l’intérieur. Je vis leurs yeux bouger de droite à gauche à une vitesse folle. Je ne savais même pas qu’il était possible de lire aussi vite. Sûrement l’adrénaline de l’enquête.

Après quelques minutes, Mattéo se dressa, le dos droit, les mains sur ses hanches. Il avait l’air stupéfait, sans voix, parce que madame Abernathy était aussi dangereuse que son mari.

— Merde… Si ça se trouve, c’est elle qui les a butés. Sa fille était à moitié vivante, ou à moitié morte, vous décidez. Et elle lui a pris le flingue pour la buter à son tour.

— Tu veux dire que madame Abernathy aurait tué son mari et tiré sur sa fille. Sa fille ne serait pas morte sur le coup et aurait tué sa mère ? Ça n’a aucun sens.

— Toute cette enquête n’a aucun sens. On doit s’ouvrir à tous les horizons. Ça expliquerait pourquoi son mari était en train de manger quand il est mort. Pour la fenêtre brisée, peut-être qu’elle a loupé un tir et qu’on retrouvera la balle dehors quelque part.

— Et pour la boue ?

— Bah… Ils sont rentrés avec leurs chaussures sales. Rien à voir avec les meurtres.

Bah… Mattéo était vraiment simpliste d’esprit. Franchement, qui pouvait croire que des éléments seraient aussi évidents dans une scène de crime aussi complexe ? Bien évidemment que tout était pensé, tout jusqu’aux traces de boue à l’entrée du chalet. Parce que ça ne pouvait pas être autrement. Alors très cher Mattéo, reprends tes esprits et réfléchis.

Mais il n’avait pas tort sur une chose : il fallait s’ouvrir à tous les horizons. Non pas que je pensais que la thèse de la femme comme coupable était possible, parce qu’entre nous, c’était d’un ridicule sans nom. Cependant, cette famille avait bien d’autres ennemis que ces six suspects.

Bingo. Une ligne complète ! Car oui, nous n’avions pas encore étudié toutes les pistes. Par exemple… Le frère du monsieur Abernathy. Comment il s’appelait déjà… Ah oui, Julien Abernathy. Ce Julien était en froid avec son frère, pour une histoire d’héritage. Comme d’habitude. C’en était presque cliché. Le type qui tue son frère et sa famille pour se venger d’une histoire de fric. Ça s’était déjà vu à plusieurs reprises, rien de nouveau pour nous. J’espérais que cette affaire soit un peu plus surprenante et ne finisse pas dans un cliché comme un roman policier. Mais bon, après tout, pourquoi pas ? C’était dans les vieux pots qu’on faisait les meilleures confitures, comme on disait.

— Julien Abernathy. Le frère de George Abernathy. Suspect numéro sept.

Enès me regarda fixement, l’air de dire : « Tu rigoles, j’espère ? », puis fit tomber sa tête en arrière mêlée d’un long soupir. Eh non, je ne rigolais pas. Nous étions bien face à un fratricide, enfin, possiblement. Rien n’était sûr.

— Ne me dis pas qu’il est question d’argent.

— Si. George aurait volé l’héritage de Julien. Un truc comme ça. Hum… réfléchis-je en lisant le document que je tenais sous la main. George aurait trouvé des liasses de billets dans le grenier de leur père. Il les aurait volés après sa mort. Julien l’a découvert quelques mois avant le meurtre.

Cela faisait un bon mobile, non ? Certes, c’était ennuyant à mourir, mais cela me paraissait plus que plausible. Bon, à en voir les visages déçus des mecs, ils n’avaient pas l’air convaincus. En fait, ils s’attendaient à quelque chose de plus… Piquant. Tout comme moi.

— Vous pensez qu’on peut tuer toute une famille, donc des innocents, pour de l’argent ? demanda Enès naïvement.

— Bien sûr. Ça s’est vu avec l’histoire Coardet. Un pauvre couple et ses deux enfants, tués sauvagement par le frère du mari parce qu’il avait soi-disant volé le trésor de leur famille suite à un héritage.

L’affaire Coardet : le frère de la victime se serait introduit dans le garage de leur maison après les avoir espionnés par la fenêtre, puis aurait froidement assassiné les parents et leurs deux enfants. Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien, parce qu’il paraîtrait, d’après la mère des deux frères, que leur père avait découvert des lingots et des pièces d’or cachés dans leur ancienne habitation. La victime les aurait volés, d’où la tonne d’argent qu’il amassait dernièrement. Bien évidemment, il n’y avait aucune preuve de l’existence de ce trésor.

Une bien triste histoire qui avait été résolue assez rapidement suite aux aveux du coupable. Celui-ci était jaloux maladif de son frère, et ce, depuis toujours. Faites des gosses, qu’on disait.

— Cette affaire est vraiment un cas à part.

— Et pourquoi ? Pourquoi Julien n’aurait-il pas tué toute la famille ? Il était au courant de leurs vacances au chalet. Il aurait pu les suivre et… Couic.

Qui ne jalouserait pas son frère riche ? Les Abernathy était pété de thunes. Déjà, rien que pour partir un mois en vacances dans un chalet plutôt luxueux, en plein été, il fallait avoir l’argent. Mais ce n’était pas tout ! Oh non. Monsieur Abernathy était un chef d’entreprise, il gagnait entre six mille et huit mille euros par mois. Il avait embauché sa femme, sûrement pour la suivre partout où elle allait tant il était toxique, et elle gagnait trois à quatre mille euros par mois. En bref, un bon salaire pour une famille de trois. L’argent pouvait donc être le mobile.

En tout cas, moi et mon salaire de trois mille balles par mois, je jalousais cette famille. Je me considérais plutôt sous-payée étant donné la difficulté de mon métier. Eh oui, prendre en photos des corps en décomposition, c’était franchement pas reluisant. Et encore, ça c’était quand je ne rédigeais pas des rapports. D’un ennui mortel. J’avais donc le choix entre : vomir ou mourir d’ennui. Je ne savais pas ce qui était le plus agréable.

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