Chapitre 7 : Theia - Partie 1

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Tec était possiblement le tueur du chalet. Vous imaginez, vous ? Moi, je n’en revenais pas. Merde alors, je traînais avec un assassin. Pire encore, j’étais coincée avec lui. J’avais peur de lui, je me méfiais de lui comme de l’eau qui dormait. Je vous jure, j’angoissais quand j’étais dans la même pièce que lui. Je sentais mon cœur battre tellement fort que je croyais qu’il allait sortir de ma poitrine. J’avais l’impression de faire une crise cardiaque, que j’allais mourir dans les prochaines secondes, que j’allais devoir dire adieu à ma fille tandis que j’étais bloquée dans ce chalet. Je me sentais mal, vraiment mal. J’étais terrifiée et anxieuse à tel point que je regrettais de ne pas avoir pris mes médicaments avec moi. Car oui, j’avais des anxiolytiques à cause de mon ex qui me créait du stress intérieur qui me détruisait mes organes vitaux.

Si jamais j’aurai cru, un jour, être en présence d’un tueur, du tueur du chalet sur lequel j’avais enquêté, je ne savais pas ce que j’aurais fait. Mais je ne resterais sans doute pas ici. Je fuirais malgré la tempête, je courrais vers le centre-ville quand bien même c’était à plusieurs heures à pied. Mais je devais me ressaisir : rien n’était sûr. Peut-être que je me montais la tête parce que lui et Enès m’accusaient d’être la meurtrière en question.

Non, mais qui l’aurait cru ? Moi, une meurtrière ? C’était n’importe quoi. Déjà parce que je n’aurais jamais pris le risque de me séparer de ma fille, de l’abandonner et de la laisser seule avec son père qui la recherchait activement absolument partout. Et puis, merde quoi, je n’avais pas le courage de tuer. Il fallait du cran, du culot, et moi, j’étais faible d’esprit. Il m’avait fallu trois ans pour prendre la décision de partir sans laisser de traces quand il s’agissait de mon ex, trois longues années, pour fuir un homme violent. Ce n’était que de la logique, le genre qu’on disait aux femmes battues : « Pourquoi ne pars-tu pas ? », « Quitte-le. », oui, de la logique. Mais il m’avait fallu trois ans pour accepter cette logique et le faire. Parce que je n’avais pas eu le courage de le faire avant ces années-là. À chaque fois, je me disais : allez, cette fois-ci, je le fais. Puis je commençais à faire ma valise, et la terreur m’envahissait. Et s’il me retrouvait ? S’il me tuait ? Alors je défaisais ma valise, rangeait mes affaires comme si de rien n’était, comme si je n’avais jamais eu le culot d’avoir osé commencer à la faire, et je restais. Alors tuer ! Bien sûr que non.

Ah. J’aurais tellement aimé fumer, mais je ne fumais plus depuis quatre ans, parce que mon ex considérait que c’était une porte ouverte aux hommes de me draguer : « Tu as une clope ? Et un numéro ? [insérer un clin d’œil] ». Mais une bonne petite clope, je donnerais tout pour une clope, oui. Et je savais que les mecs aussi donneraient tout pour une clope. Parce que nous étions tous à cran, tous excédés par cette histoire de meurtre qui nous montait à la tête. Peut-être était-ce dû au confinement forcé, au manque de sommeil ou de nourriture. Mais nous commencions à perdre la tête.

Enès nous avait fait à manger, mais j’avoue que je n’avais aucune confiance en son plat. Certes, je l’avais vu cuisiner et je doutais qu’il ait mis de la javel dedans. Mais, bon… Qui pouvait savoir ? Et puis, j’étais trop préoccupée par l’identité du coupable pour manger quoi que ce soit. Je me sentais maigrir à vu d’œil, mais j’avais l’habitude. Je ne mangeais jamais avec mon ex, déjà parce que j’étais constamment angoissée à l’idée de me faire tabasser, et, car je voulais être parfaite pour lui. Ni trop grosse, ni trop maigre. Parce qu’il détestait les grosses, il les considérait comme rebutantes alors qu’elles étaient majestueuses. Il préférait les skinny, à la miss France. Alors j’étais maigre comme un clou.

J’avais une idée en tête, un peu folle, un peu risquée, mais elle était là, dans un coin de mon cerveau jusqu’à ce que je l’applique. Alors je prétextai d’aller aux toilettes à l’autre bout du chalet, près des deux chambres, puis au lieu d’aller tout droit vers la salle de bain, je me dirigeai vers la chambre de Tec et Enès dans l’espoir de trouver un indice quelconque sur le tueur.

J’étais tombée sur le téléphone de Tec, en train de recharger, car sa batterie était morte. Je le déverrouillai, tout excitée par ma trouvaille : yes, je vais pouvoir fouiller ses messages. Merde. Je déchantai rapidement quand je me retrouvais face à un code pin. Je ne pouvais pas accéder au contenu de son portable. Dépitée, j’étais dépitée.

Bon, cela ne faisait rien. Il devait bien y avoir un autre indice quelque part. Je vis un sac en toile noir posé sur le sol, à côté du lit. Les orages de la tempête qui grondaient me firent sursauter, l’impression d’avoir été prise la main dans le sac. C’était le cas de le dire, parce que j’avais fourré ma main dans le sac. Je fouillai n’importe quoi, n’importe comment. Tout ce que je trouvais, je l’admirais afin d’être sûre que rien ne s’y cachait. Puis tout à coup, je sentis une chose froide et dure : du métal. J’agrippai la chose de mes deux mains tant elle était lourde et là… Je fus sans voix, scotchée par ce que je détenais dans les mains. J’avais envie de la jeter, de m’en débarrasser, parce que c’était dangereux et que ça me filait la chair de poule, mais c’était la preuve : une arme à feu.

Je détenais l’arme de service d’Enès entre mes mains. C’était la première fois que je tenais une arme à feu, et c’était d’ailleurs la première fois que j’en voyais une de mes yeux vus. Et soudain, cela me fait tilt : et si c’était Enès l’assassin ?

Je fonçai dans le salon, sûre de moi et déterminée à en finir une bonne fois pour toutes. Mes mains tremblaient, j’avais peur de faire une gaffe et de tirer tandis que d’une, cela m’étonnerait qu’il y ait des balles dedans, de deux, le cran de sûreté devait être activé et enfin trois, je n’avais même pas un doigt sur la gâchette. Les risques qu’une balle soit tirée par ma faute étaient donc nuls, mais j’angoissais tout de même, ne savait-on jamais. Je portais l’arme comme s’il s’agissait d’un trésor qui valait une fortune, le trésor des Coardet, les deux mains à plat, l’arme posée sur mes paumes.

Je me retrouvai face aux mecs, Tec et Mattéo intrigués par ce que je tenais : leurs yeux s’écarquillèrent, leurs lèvres s’entrouvrirent et leur teint devint blanc comme neige. Cela ne faisait aucun doute : ils ne s’y attendaient pas. Mais Enès, lui, était plutôt surpris de me voir avec son arme. Oui, il l’avait bien reconnu parce que je reconnaissais cette expression de visage, le même que mon ex quand j’avais découvert qu’il me trompait, l’air de dire : « Ce n’est pas ce que tu crois, mais c’est quand même ce que tu crois. ». Oui Enès, j’avais trouvé ta putain d’arme. Tu étais démasqué, et maintenant, pour te sortir de ce pétrin, eh bien, je te souhaitais bonne chance.

— Qu’est-ce… Qu’est-ce que c’est que ça ? bégaya Mattéo.

— Demandons à Enès.

Enès était livide, comme s’il était malade et qu’il allait vomir à mes pieds. Comme s’il cachait quelque chose que je venais de découvrir. Puis, son visage devint rouge écarlate, comme si je venais de lui faire une déclaration d’amour qui le mettait mal à l’aise. Or, il s’agissait ici plutôt d’une déclaration de haine. Car, Enès, c’était toi le tueur du chalet !

Il accourut vers moi, un coup de stress me prit, j’avais peur qu’il me tape comme le faisait mon ex quand il avait cette attitude. Mon cœur battait à toute allure, mes mains se mirent à trembler davantage. À cet instant-là, j’avais eu peur pour ma vie. Il m’arracha l’arme des mains, le regard noir accentué par ses sourcils froncés, sa ride de lion ressortait.

— Donne-moi ça. C’est dangereux.

— Alors pourquoi tu as ramené ça ici ?

— Pourquoi tu as fouillé dans mes affaires ?

Heureusement que j’avais fouillé dans ses affaires, parce que sinon, je n’aurais jamais trouvé l’arme et nous aurions continué à nous battre avec Mattéo et Tec pour savoir qui était le tueur alors qu’il était juste sous notre nez depuis tout ce temps. Je le montrai du doigt, le bras tendu, comme une malpolie qui n’avait pas appris les codes sociaux et je me rappelai ma mère qui me disait : « On ne montre pas les gens du doigt ! », mais je m’en foutais, je le fis pour désigner Enès.

— C’est lui le tueur!

— Qu’est-ce que tu racontes bordel ?

— Tu as ramené une arme pour nous tuer au cas ou on te démasquerait.

— J’ai jamais entendu des conneries pareilles.

Je détournai mon regard vers Mattéo et Tec, qui semblaient tout aussi choqués que moi. Nous ne savions plus quoi dire, un silence pesant nous dévorait lentement. Au bout de quelques secondes qui parurent être des heures, Tec se leva, déterminé à défendre son partenaire de vie, son chéri d’amour, parce que cela ne m’étonnerait pas qu’ils entretiennent une relation amoureuse tant ils étaient proches et se défendissent corps et âme.

— Il doit y avoir une explication. Hein, Enès ?

— Mais bien sûr. Putain, vous croyez quoi ? Que j’ai tué les Abernathy parce que j’ai ramené mon arme de service ? Figurez-vous que je l’ai tout le temps sur moi. Je ne m’en sépare jamais. Au cas où.

Tec se préparait à dire quelque chose, je ne savais pas quoi, mais sûrement un : « Vous voyez, je vous disais quoi ! Enès est innocent. », mais étrangement, il se tut. Comme s’il ne s’attendait pas à cette réponse, qu’il était déçu par son pote. J’étais persuadée qu’ils cachaient quelque chose, parce qu’Enès lança un regard étrange à Tec, certes discret, mais je l’avais bien vu. Il l’avait lorgné avec des yeux accusateurs, qui disaient : « Tais-toi ! » et Tec obéit parce que c’était le toutou d’Enès.

Le commissaire, qui possédait toujours son arme de service sur lui, soi-disant, me bouscula pour me passer devant et rejoindre sa chambre. Tec le suivit d’un pas déterminé, l’air de lui faire cracher le morceau. Et moi, je voulais savoir ce qu’était ce morceau. Donc je les suivis, puis m’arrêta devant leur porte assez entrouverte pour en lire les sons qui sortaient de la chambre, mais pas assez pour qu’ils me voient cachée derrière elle. J’étais prête à entendre les secrets les plus lourds, à les voir se rouler une pelle ou à s’entre-tuer. Parce que les deux agissaient de manière bizarre, comme si un secret pesait sur eux, mais quel secret ? Cela pouvait être tout et n’importe quoi. Oui, j’étais parée, je frétillais à l’idée d’entendre des conversations inavouées, tout excitée par mon attitude intrusive. Je n’attendais que cela, qu’ils balancent enfin les choses. Mais à la place, il n’y avait qu’un silence pesant qui régnait.

Je devinais que Tec le fixait, les bras sur les hanches, avec une mine de maître qui engueulait ses élèves par un simple regard menaçant. Vous savez, ce genre de regard qui n’avait pas besoin de mots pour que l’on comprenne ce qu’il signifiait. J’étais impatiente, je sautillais sur place en attendant que l’un des deux l’ouvre enfin. Je m’attendais au pire : à des aveux d’Enès, du style : « Oui, j’ai tué les Abernathy. Et après ? Tu vas me dénoncer ? » et Tec, aussi lâche qu’il l’était, aurait répondu que non, il ne le dénoncera pas parce qu’ils étaient meilleurs amis et cela, pour le meilleur et pour le pire. Mais moi ! Oh que oui, j’allais le dénoncer. Je pensai d’ailleurs à les enregistrer pour en avoir une preuve, parce qu’on ne me croirait pas sur parole. Quand même, le commissaire de la ville qui avait tué trois pauvres innocents, c’était improbable. Mais j’avais laissé mon téléphone dans le salon et je ne voulais pas perdre une miette de leur conversation. Imaginez qu’il avoue tout lorsque j’étais partie chercher mon téléphone, quel cauchemar. Non, tant pis, je n’allais pas pouvoir les enregistrer. Et je m’en voulais, je renvoyais ce satané téléphone posé sur la table basse du salon, je l’avais très bien en visuel comme si mes yeux avaient pris une photo de la scène, mais impossible pour moi d’aller le chercher.

Soudain, j’entendis la voix d’Enès, sèche et froide. Le genre de voix qu’on utilise quand on a quelque chose à se reprocher. Je vous le jure, Enès était le coupable. Je ne savais ni comment ni pourquoi, mais je le devinais.

— Quoi, Tec ?

— Tu sais très bien.

— Oui, j’ai menti. C’est ça que tu veux m’entendre dire ?

— Oui, parce que c’est le cas. Tu ne prends jamais ton arme de service avec toi. Tu ne supportes pas les armes, tu trouves ça excessif et dangereux. Mais là, comme par hasard, tu la prends ?

— Eh bien quoi ? Je l’ai prise parce que je me doutais que nous serions bloqués ici à cause de la tempête. Et moi, il est hors de question que je reste coincé près d’une scène de crime sans moyen de défense. Et si le tueur revenait sur les lieux ? Ils reviennent toujours sur les lieux.

Cela me suffit. J’en avais assez entendu. J’avais ce qu’il me fallait : Enès avait menti. Putain ! Enès avait menti ! Même Tec ne croyait pas à son histoire du tueur qui revenait sur les lieux du crime pour la simple et bonne raison que ce n’était pas le moment : entre les dizaines d’enquêteurs sur place et la tempête, il n’y avait aucun moyen de revenir voir son chef-d’œuvre. Alors, pourquoi donc Enès avait-il ramené son arme ? Parce qu’il avait peur qu’on découvre l’identité du tueur, AKA lui, et qu’il voulait nous faire taire ?

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