3 - L'étrangère et l'herboriste

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41e jour de la saison du soleil 2447

En quatorze ans, plusieurs événements influencèrent la vie d’une multitude de gens, héros et créatures mythiques y compris. Que ce soit pour le bien ou le mal, l’ordre ou le chaos, ces circonstances amenèrent la vieille Leith Shidira à retourner à son royaume natal.

L’été se préparait à laisser place à l’automne. Le deuxième soleil s’apprêtait à donner toute la gloire à son jumeau. Une première feuille morte se laissa emporter par une brise. Une horde de bisons broutait paisiblement l’herbe. Un veau se cacha derrière son énorme mère à la vue de la passante. Le mâle dominant du troupeau la fixa d’un air bourgeonneux, mais sans plus.

A l’aide de son bâton, Leith suivait un chemin de terre. Les vastes prairies qui s’étendaient de part et d’autre étaient le lieu de naissance et de mort pour plusieurs tornades et tempêtes. Mais aujourd’hui, la température douce lui aurait permis de garder son capuchon rabattu si elle n’avait pas préféré la discrétion. Une forêt où les aspérules poussaient abondamment dans le sous-bois longeait l’horizon. Cette vue colorée lui apporta un sentiment de nostalgie. Elle sourit doucement, à la fois attristée et résolue.

Enfin, elle arriva à sa destination : Nothar, la capitale du royaume humain de Daigorn, surnommée Mère Aspérule Blanche. Devant les majestueuses portes, elle observait avec émerveillement la ville dans laquelle elle avait grandi.

Nothar avait été façonnée dans le détail et l’attention de pierres blanches et violettes, les couleurs du royaume. Si on omettait les rares décorations additionnelles et les réparations mineures à quelques endroits précis, rien n’avait changé. Seuls ceux ayant connu la ville lors de ses plus jeunes jours le remarquerait. Aucune de ces modifications n’échappa aux vieux yeux de Leith qui se faisaient toujours aussi attentifs. La grande muraille qui protégeait la ville avait doublé en épaisseur. Ce processus était d’ailleurs encore en cours. Cela perturba Leith ; quelque chose devait troubler le seigneur. Soupirant, elle reprit sa marche.

Les guerres ont finalement réussi à toucher aux paisibles landes de Daigorn, songea-t-elle.

Un léger sentiment de tristesse naquit dans le tréfonds de son âme.

Malgré tout, revoir le Grand Clocher qui surplombait le reste des bâtiments au centre de la cité lui procura une vague de tendre chaleur au cœur. Elle aurait espéré vivre ses dernières années dans la paix et le calme de Nothar. Tous ses conflits s’avéraient bien décevant.

Replongeant dans ses souvenirs, elle était au courant que Nothar n’avait jamais été parfaite. Tout d’abord, elle avait été conquise par le roi d’Elthen, faisant de celui de Daigorn un seigneur-suzerain sous sa protection et son autorité. Ensuite, sa force militaire laissait à désirer, expliquant le besoin pour renforcir. Aussi, contrairement aux croyances, les menaces les plus terribles provenaient souvent de l’intérieur et non de l’extérieur. Le seigneur concentrait normalement ses efforts à maintenir des relations amicales avec les autres royaumes, ce qui entraînait des tensions parmi le peuple.

Leith croyait en le potentiel du royaume. Elle n’avait jamais apprécié apercevoir les bannières d’Elthen, une coupe dorée sur un fond brun, accrochées aux murs de Nothar.

Un étranger parmi nous.

— Oïïï ! appela un homme qui se trouvait au sommet de la muraille à droite des portes.

Leith s’arrêta et leva la tête afin d’observer son interlocuteur. Celui-ci était grand, moyennement costaud et portait l’armure de plaques classique des gardes de la citée, le tout sous une veste violette décorée de l’emblème du royaume en son centre, soit une aspérule blanche.

— Leith, c’est bien vous ? questionna le garde en levant le ton afin de s’assurer que la vieille dame l’entende.

Cette dernière ne répondit qu’avec un haussement de sourcils, intriguée. L’inconnu mystère descendit de la muraille pour aller à sa rencontre. Lorsqu’il s’approcha d’elle et retira son heaume, elle le reconnut enfin.

— Kardun ! Comme tu as grandi et à ce que je vois, tu es aussi devenu un adulte et un fier soldat.

Kardun ricana nerveusement. Il sourit faiblement, cherchant visiblement ses mots.

— Capitaine de la garde, corrigea-t-il en rougissant légèrement.

Sa chevelure courte et foncée était coupée à la perfection. Comme toujours, il arborait une expression joyeuse et dégageait une aura optimiste qui rappela à Leith la saveur de Nothar. Son regard était charmeur et ce de façon naturelle et non superficielle comme tant d’hommes savaient le faire. Ses yeux bleu ciel étaient perçants et attirants. Il était indéniable qu’ils avaient dû faire de nombreuses victimes parmi les rangs de la gent féminine. Mais Leith n’était guère intéressée par ce genre de distraction.

Une longue pause s’en suivit, laissant le capitaine au dépourvu jusqu’à ce qu’il retrouve son courage.

— Vous revenez pour de bon, cette fois ?

— Oui, répondit Leith en souriant. Quel âge as-tu à présent ? Cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu.

— En effet. J’en suis à mes quarante-deux ans. Lorsque vous êtes partis, je n’en avais que huit.

— Je m’étonne que tu me reconnaisses après toutes ces années. De plus, tu n’étais qu’un enfant à cette époque. Tu es béni d’une excellente mémoire.

Il effleura nerveusement son heaume tout en fixant son interlocutrice d’un regard brillant.

— Un enfant possède une excellente mémoire lorsqu’il s’agit de choses qui le touchent ou le marquent, souffla-t-il doucement. Vous étiez une idole, un modèle à mes yeux. Vous méritez autant de respect que le seigneur.

— Que peu d’hommes pensaient, commenta-elle.

— Je suis certain qu’ils n’osaient pas le dire de peur de se sentir humiliés.

Un sourire aussi attristé qu’égayant se dessina sur les lèvres pâles de la vieille femme. Pendant un long moment, elle demeura silencieuse. Songeuse, elle visionnait sa vie défiler devant ses yeux. Tant de souvenirs précieux surgirent de sa mémoire sans son consentement. Son visage s’assombrit.

— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.

La vieille serra sa poigne sur son bâton. Ce dernier n’avait rien de particulier. Il était plutôt ordinaire, même très laid aux yeux des plus raffinés. Créé à partir d’un bois rare provenant des forêts de Nadalé, landes sur laquelle prospérait le peuple des elfes sylvains, seul le plus éduqué des filous serait au courant de sa vraie valeur. Si on l’observait avec attention, on pouvait distinguer une teinte turquoise qui trahissait sa véritable couleur : le brun pâle. Deux plumes d’oiseau, une menthe et l’autre améthyste, pendaient de son sommet.

— Où vous êtes-vous procuré de telles beautés ? s’exclama le capitaine. Aucun oiseau originaire de Daigorn ne porte de telles couleurs.

— Une histoire pour une autre fois, répliqua Leith. Je dois partir à présent.

Elle le salua en levant doucement la main droite vers le ciel, comme l’exigeait la tradition à Daigorn, et reprit sa route. Kardun ne protesta pas contre sa décision. Il glissa son heaume sur sa tête, se pencha vers l’avant en signe de respect et retourna à son poste. Leith, de son côté, continua en direction du centre-ville. Tirant avantage de son bâton, elle l’utilisa comme support même si elle n’en avait guère besoin. Ses jambes et bras étaient en excellentes conditions pour son âge, comme le reste de son corps.

Le centre-ville grouillait de gens qui se croisaient dans un brouhaha perpétuellement joyeux. Bourgeois comme paysans s’y trouvaient. La voyageuse passait inaperçue dans les rues contre lesquelles longeaient des centaines de magasins de tous types. Une atmosphère joviale et dynamique régnait. Les rires des enfants, les discussions des adultes et les claquements de sabots des chevaux sur la pierre retentissaient sur la place. Au centre des rues, les chariots étaient tirés par les montures tandis que, sur les abords, les gens se promenaient à pied avec hâte.

Seule Leith semblait calme parmi les marchands, clients et passants ; comme si cette euphorie ne l’atteignait pas. Puisqu’elle était originaire de l’endroit, elle comprit rapidement pourquoi il y avait tant d’activité au marché aujourd’hui. C’était une journée que beaucoup attendaient avec hâte : l’explosion des soldes. Les prix, diminués de moitié la plupart du temps, faisaient le bonheur de tous.

Leith n’avait pas une destination particulière. Tout ce dont elle était certaine, c’était qu’elle visitait la ville et qu’elle appréciait le moment présent. Au fond d’elle-même, elle ne niait pas s’être ennuyée de ces cohues et de cette ambiance. Mais, un bruit de vase cassé interrompu ses rêveries.

— Qu’est-ce que tu crois que tu fais, sale petite idiote ? hurla un homme. Je n’ai pas de patience pour les filous !

Leith s’arrêta et scruta la foule à la recherche de la source de tout ce vacarme. Non loin d’elle se trouvait un kiosque étroit. Son vendeur, un grand homme costaud qui semblait être dans sa trentaine, souleva une demoiselle par le collet. Son visage était rougi par la colère. Il frappa presque la figure de la jeune fille, mais fut arrêté à mi-chemin. Un bâton séparait son poing de sa cible. La demoiselle, recroquevillée sur elle-même, se détendit et ouvrit un œil.

— Allons, allons, riposta Leith d’une voix douce et patiente, calmez-vous, Monsieur. Rien ne s’arrange avec la violence.

— Et en quoi cela te regarde-t-il, vieille femme ? répliqua l’homme en fusillant la nouvelle venue du regard.

— Expliquez-vous au lieu de vous offusquer, Monsieur.

Il relâcha la demoiselle, inspira profondément puis, il détourna son regard sévère vers Leith qui était accotée sur son bâton. La semblait-il victime en profita pour se lever et s’éloigner du commerçant colérique.

— Reste ici toi ! rugit la brute. Je n’ai pas fini avec toi.

La demoiselle se figea, blême de peur. Son intimidateur s’adressa ensuite à Leith :

— Et vous, pour qui vous prenez-vous ? L’autorité de cette ville, peut-être ? Je ne vous ai jamais vue dans le coin.

— Non, répondit Leith avec confiance. Je suis tout simplement quelqu’un qui cherche à aider avec diplomatie.

— Diplomatie, hein ? Quelle perte de temps ! Quoi qu’il en soit, elle a voulu partir sans payer. C’est hors de...

— Ne vous inquiétez pas, coupa Leith en sortant une petite bourse de la poche de son manteau de cuir usé. Je payerai pour elle. Est-ce que cela semble satisfaisant pour vous ?

L’homme resta abasourdi par la décision de la vieille femme. Il la regarda d’un œil méfiant avant de céder.

— O-oui, balbutie-il, clairement surpris par la donation.

— Qu’est-ce qu’elle a pris ? demanda Leith.

Il désigna les autres rouleaux de bandages d’un doigt gras.

— Juste un ?

Il hocha de la tête.

— Alors, c’est quinze cornes de cuivre pour un rouleau de cette taille, compta Leith en toute neutralité.

— Effectivement.

Il tendit la main avec une irritation qu’il ne tenta pas de cacher.

— Dépêche-toi, sinon j’appelle la garde royale.

Leith fit un clin d’œil subtil à la demoiselle puis empoigna un filet rempli de pommes fraîches. Les yeux de la jeune femme s’agrandirent instantanément lorsqu’elle comprit ce qu’elle allait faire.

— Oh ! Mais, vous ne pouvez pas. Je ne l’accepterai pas, insista la jeune fille.

— Ne vous inquiétez point, lui assura Leith en souriant.

— Ce sont des pommes royales. Elles sont très dispendieuses. Ce sont des marchandises de bourgeois.

— Trêve de bavardage, s’irrita le commerçant, ça fait dix-neuf renards de cuivre et neuf cornes de cuivre avec les pommes.

— Vous êtes un homme qui n’est pas bien dans sa peau ni dans sa vie, affirma Leith en fixant l’homme de ses yeux perçants. Prenez bonheur à la vie. Ça vous fera le plus grands des biens.

— Tch... Quoi ? Comment oses-tu dire de telles choses à un homme, femme malotrue ! Ton âge ne te donne pas le droit à l’insolence !

Sa colère et ses insultes n’atteignirent guère l’estime de Leith. C’était une vieille femme, après tout. Elle avait une maturité et une expérience de vie que le marchand ne possédait pas. De plus, elle savait qu’il n’était pas de son devoir de lui faire la morale. Après lui avoir remis les pièces, elle fit volte-face, ignora les jurons de l’homme et d’un signe de la main, invita la demoiselle à la suivre. D’après son habillement, elle devait appartenir à une famille pauvre et qualifiée d’inutile aux yeux de la haute société. Celle-ci portait une robe brune usée et trouée à quelques endroits particuliers. À la connaissance de Leith, cela devait être dû à des travaux ménagers ardus. La demoiselle garda la tête baissée.

Celle-ci savait qu’elle n’était pas mieux, car elle portait une vieille tenue de nomade faite de cuir, d’un peu d’armure de maille et de coton. En fin de compte, elle ressemblait à une vagabonde.

— Vous êtes bien silencieuse, fit remarquer Leith. Quel est votre nom ?

— Oh ? répondit la demoiselle en sursautant. Litfow. C’est Fayne de la famille Litfow. Fayne Litfow, oui. C’est cela.

— Litfow, murmura l’aînée en fouillant le plus profondément dans sa mémoire en tentant de trouver un lien avec ce nom. Ummm...

— Vous connaissez, Madame ?

— Si. Enfin, je crois bien. Ce nom m’est familier, mais je n’arrive pas à me souvenir pourquoi. C’est dommage.

— Oh. La famille Litfow est de basse naissance. Nous ne sommes pas très riches, mais nous avons de bons cœurs. Au fait, merci pour les pommes royales. Je n’en ai goûté qu’une seule fois dans ma vie et c’était pour mon neuvième anniversaire. Mon père est si généreux.

— Ce n’est rien. Une vieille dame qui n’a plus de buts dans la vie se doit d’aider les jeunes générations. Après tout, vous êtes notre avenir.

Fayne hésita et tenta, avec une subtilité maladroite, de dévisager Leith.

— Au fait, commença cette-dernière avec curiosité, pourquoi avais-tu besoin de ce bandage ? Avec le vol vient un prix très élevé. Tu as risqué l’une de tes mains pour cet objet.

Fayne détourna la tête comme si elle cherchait à éviter la question, mais elle répondit tout-de-même :

— C’était pour mon amie, murmura-t-elle. Son animal domestique s’est blessé assez sérieusement à la patte.

— De quelle espèce d’animal s’agit-il ? Peut-être pourrais-je aider.

La jeune femme jeta un coup d’œil à la foule qui les entourait et préféra le silence.

— J’imagine que c’est un secret bien gardé, murmura Leith en souriant chaleureusement.

Fayne fit de même par simple réflexe. Leith devina qu’elle avait appris à ne jamais avoir confiance trop rapidement en quelqu’un.

Pendant le reste du trajet, la voyageuse suivit la paysanne en silence le filet de pommes royales en main gauche et son bâton en main droite. Le chemin qu’elles empruntaient lui était familier. Suspicieuse, Leith se décida à scruter le visage de sa jeune compagne. Pour se faire, elle dut tourner la tête vers elle, révélant ses traits. La brunette, se sentant dévisagée, en profita pour observer Leith. Ce moment d’échange visuel ne dura que quelques précieuses secondes. En revanche, c’en était bien assez pour qu’elles puissent mémoriser les traits l’une de l’autre.

Fayne était grande pour une femme, mais ne dépassait pas Leith. Les deux étaient d’un poids de forme, mais le corps de Leith était ferme et musclé. La vieille femme dégageait une certaine puissance. Elle possédait une chevelure blanche comme neige dépourvue d’imperfections. Comme celle de Fayne, la sienne cascadait jusqu’au bas de son dos. Cependant, elle était mal coiffée, légèrement sèche et raide, sans l’ombre d’un frisottis. La vieillesse n’avait pas été aussi généreuse envers ses yeux. D’un gris mat, ceux-ci semblaient dépourvus de vie sauf lorsque Leith émettait une émotion forte. De longues rides parsemaient le contour de ceux-ci, accentuant son âge avancé.

Leith, de son côté, remarqua une petite chaîne d’argent qui pendait au cou de Fayne. Au bout de celle-ci était attaché un pendentif qui représentait une fleur sans tige. Les huit pétales bleus royaux ressemblaient à un soleil et encadraient un milieu brun foncé : c’était l’emblème de la guilde d’herboristes la plus reconnue : la Bleurètte. Cela confirmait que Fayne était l’une des leurs, car seuls les membres portaient ce collier. C’était l’unique objet de valeur sur sa personne.

Puis, Leith monta les yeux pour rencontrer son regard. Ses yeux étaient d’une teinte noisette et donnaient un sentiment de chaleur lorsqu’on les fixait. Cette douceur ne s’arrêtait pas là. C’était ses longs cheveux châtains qui attiraient l’attention. Ondulés à la perfection, ceux-ci avaient visiblement été maintenus avec soin. Rares étaient les demoiselles qui possédaient une telle chevelure sans faire partie d’une famille riche. Mais, dans le cas de Fayne, il était assez facile à deviner pourquoi. La Bleurètte vendait de nombreux produits de soins capillaires. Elle devait avoir accès à une grande variété ou encore mieux, être capable de les fabriquer.

— Nous y voici, déclara soudainement Fayne avec une vigueur passagère. Je suis soulagée que personne ne nous ait posé de questions.

— Ummm ?

Leith avait sombré dans ses pensées et n’avait guère remarqué où Fayne l’avait guidée. Elles n’étaient plus dans le centre-ville ni même sur une rue. L’endroit était sans vie si on ne comptait pas les deux femmes. Leith aperçut une énorme tombe qui se trouvait derrière des rangs de ses petites sœurs.

Le cimetière royal.

Chaque capitale en possédait un et ils étaient tous placés directement à droite de l’habitation de la famille au pouvoir. Celui de Daigorn était près du château de la famille suzeraine et était protégé d’une mince mais haute muraille. Il fallait avoir le mot de passe pour que les deux gardes ouvrent le portail, ce qu’une personne pauvre ne devrait normalement pas posséder. Les deux compagnes s’arrêtèrent devant la double grille de métal. Leith fronça des sourcils et attendit la réaction de Fayne.

Cette dernière s’inclina légèrement devant les deux hommes en armure et munis d’une lance. Les deux croisèrent leurs armes dans une synchronisation parfaite lorsqu’elle se releva.

— Deux lances pour protéger la famille royale, commença Fayne avec une confiance étonnante. La première, blanche, défend l’honneur. La deuxième, lilas, détruit le malfaiteur. Ensemble, les deux sœurs servent Daigorn, l’Aspérule de la paix.

Les deux gardes échangèrent un bref regard et s’écartèrent, donnant ainsi l’espace nécessaire à un individu de passer entre les deux lances qui se fixaient toujours. Fayne poussa doucement le double portail vers l’avant. D’un pas confiant, elle s’avança dans le cimetière suivi de Leith qui était tout aussi méfiante qu’à leur arrivée.

Elle s’arrêta enfin devant une pierre tombale rectangulaire dont Leith ne se souvenait pas. La vieille femme remarqua immédiatement que la pierre sombre travaillée n’était pas localisée à un endroit habituel. En effet, la tombe se trouvait dans un coin du cimetière et aucune autre n’était positionnée de la sorte.

— Vous n’êtes pas très subtiles, réprimanda-t-elle sur un ton constructif.

— C-Ce n’est que pour lui servir de cachette, bégaya Fayne.

Elle poussa la tombe avec difficulté. Un trou aussi noir qu’une nuit dépourvue de lune y était dissimulé. Des profondeurs, une voix résonna :

— Fayne ! Tu es de retour !

— Oui et j’ai rapportée quelqu’un avec moi, informa la jeune paysanne.

— Pourquoi ?

— C’est grâce à elle si j’ai réussi à obtenir le rouleau de bandage. Je n’avais pas d’autres choix que de le voler et elle a sauvé l’une de mes mains en le payant, vois-tu ?

Pas de réplique. La respiration de Fayne accéléra légèrement. Elle continua de fixer la noirceur du trou. Enfin, le silence fut interrompu par un grognement.

— D’accord. Assure-toi qu’il n’y ait personne qui vous voit entrer.

Une échelle fut accotée contre les parois de la profonde ouverture. Avec un sourire aux lèvres, Fayne l’empoigna fermement et descendit avec énergie. Elle offrit son aide à Leith qui refusa gentiment. La vieille femme se laissa glisser jusqu’au fond du gouffre comme si tout cela n’était qu’un jeu.

— Génial ! s’exclama l’inconnue, impressionnée par la vivacité de l’aînée, mais elle s’en remit rapidement et revint à sa sévérité. À qui ai-je l’honneur ?

— Leith, répondit tout simplement la vieille femme.

Un peu plus creux, l’étroit tunnel était éclairé de quelques torches accrochées aux murs. Les ombres dansaient en suivant le rythme des petites flammes. La faible lumière révéla l’inconnue qui était plus courte qu’elle et Fayne. Les autres détails étaient difficiles à discerner en raison du manque de luminosité. D’une certaine manière, la jeune fille lui était familière, mais pourquoi ? Leith ne s’en souvenait pas.

Sans mot dire, les deux adolescentes pénétrèrent dans les profondeurs du tunnel. Fayne était derrière son amie qui ne s’était toujours pas présentée. Au bout d’un moment, les torches se faisaient plus fréquentes. D’un pas prudent, les trois femmes avancèrent en ligne droite jusqu’au moment où elles aboutirent dans une salle assez grande pour accueillir confortablement sept adultes.

Sur un nid de feuilles, de foin, de couvertures et d’oreillers était couché un animal. Plissant les yeux afin de mieux la discerner, Leith l’inspecta davantage sans s’approcher. La petite chose était de la hauteur d’un grand aigle. Leith maudit sa vision qui n’était pas aussi fine qu’autrefois.

— Qu’est-ce que c’est ?

L’amie de Fayne s’agenouilla afin d’être au même niveau que la créature.

— Un bébé troxx.

— Cette créature est très rare si on prend en considération votre emplacement géographique. Où l’avez-vous obtenu ?

— Un marchand voyageur voulait s’en débarrasser.

— Vous permettez que je l’examine ?

La jeune femme hocha de la tête en signe d’approbation, puis elle se mit à flatter le museau du troxx. Leith procéda avec prudence en essayant de ne pas alarmer la créature. L’animal était un reptile bipède carnivore munie de longues jambes puissantes, de petits bras et d’une épaisse queue. Ses écailles étaient pour la plupart, d’un orange foncé, rayées de gris. Le dessous de corps était gris. Son regard agressif suivait celui de la vieille dame. Irritée par la nouvelle venue, sa pupille rétrécit et laissa place à la couleur de fond, un éclat doré et profond.

— Ce sont de féroces chasseurs, expliqua la voyageuse. Seuls les elfes gris et les elfes de lune ont réussi à dompter ces créatures. Un troxx adulte peut atteindre la hauteur d’un cheval. Celui-ci est très jeune.

— Effectivement, répliqua l’adolescente.

Elle fit signe à Fayne de s’occuper de la blessure du troxx.

— Est-ce qu’ils ont tous des cornes comme celui-ci ? demanda Fayne en appliquant les bandages autour de la jambe gauche du troxx.

Leith fixa la tête de l’animal et y remarqua une paire de cornes courbées vers l’arrière qui ressemblaient fortement à celles des chèvres de montagnes. Elle sourit.

— Non. Mais, le fait qu’il ou elle en…

— Elle, coupa l’inconnue sèchement.

— Elle, continua Leith, est de race urusse. Cette espèce de troxx est normalement plus colorée, plus massive et arbore des cornes.

— Quelle est l’autre race ?

— L’autre espèce se dénomme magny. Ils sont principalement domptés par les elfes gris, car ils ont un caractère beaucoup plus agressif et territorial, ce que les elfes gris apprécient. Leurs écailles sont plus sombres et leur corps plus petit. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut les sous-estimer. Un troxx magny possède des plumes au lieu de cornes sur la tête, mais il est armé de griffes rétractibles à chaque patte. Ces créatures sont de puissants chasseurs. Ils peuvent supporter un elfe sur leur dos. Avec un effort, un humain léger.

Elle fit une pause et en profita pour se positionner plus confortablement avant de continuer.

— Ta troxxe est de la race urusse. Elle sera donc plus endurante. Elle pourra soutenir un humain adulte ou deux elfes sans problème. Heureusement, ils ont un caractère doux. Ils font d’excellentes montures, très loyales, bien qu’un peu froussards. Ils ne sont, généralement, pas utilisés pour le combat parce que bien meilleurs pour les longs voyages.

— Merci pour l’information, répliqua sèchement l’inconnue.

Fayne donna un léger coup de coude à son amie et désigna Leith des yeux. Irritée, la deuxième demoiselle céda.

— Ça va, maugréa-elle en fronçant les sourcils. Ça va. J’aurai préféré éviter cette introduction, mais je m’appelle Azéna.

Fayne lui donna un deuxième coup et la fixa avec sévérité. La dénommée Azéna grogna et s’avança à contrecœur dans la lumière afin que Leith puisse discerner son visage. Tel un animal guettant son ennemi, elle suivit les yeux de l’aînée.

Sa chevelure était aussi admirable et bien entretenue que celle de son amie, mais elle était d’un teint argenté magnifique. Aucune imperfection ne l’affligeait. Parfaitement raide, elle cascadait gracieusement le long de son corps et touchait presque le sol lorsqu’Azéna était agenouillée. La peau de cette dernière était d’un beige commun. Son visage était sévère et sombre, mais radieux. Une telle beauté était rare chez un humain. Ses minces lèvres et son maquillage noir qui entourait ses petits yeux bleu perçant lui donnaient un charme particulier. Dans son regard, on pouvait lire une histoire de méfiance et de frustration. Malgré tout, une audace téméraire ainsi qu’un brin subtil de questionnement y résidaient. Son accoutrement ressemblait fortement à celui d’un rôdeur. Elle portait une tunique, de longues culottes, des bottes et des gants dépourvus de doigts de cuir ainsi qu’une cape à capuche. Le tout était de teinte sombre, ce qui promouvait la subtilité.

Leith sourit, devinant l’identité de la jeune dame, ses souvenirs ruisselant dans son esprit.

— Shirah semble plus apte à marcher à présent, informa Fayne.

La troxxe se leva avec un peu de difficulté et, une fois debout, elle poussa un cri de triomphe.

— Je crois qu’elle se sent déjà mieux, conclut Azéna.

Elle s’appuya contre les parois de la grotte et étira son bras afin de flatter doucement le cou de Shirah qui émit un ronronnement sonore. Un anneau reposait sur son annulaire. Intriguée, Leith s’efforça pour réussir à discerner le symbole engravé sur le bijou sans paraître indiscrète.

Une aspérule blanche, songea Leith. C’est bien ce que je soupçonnais. Elle appartient à la famille suzeraine de Daigorn. La jeune Dame Azéna Kindirah, ici présente.

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