4 - Thomas

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Et c’est le débriefing, comme ils disent. Nous nous retrouvons autour de la table, sous les arbres, avec un bon verre d’eau.

— Alors, les enfants, ça vous a plu, vous en pensez quoi ?

— C’était un peu long et ça faisait un peu peur. Mais c’était excitant.

— Vous avez réfléchi que sans doute, personne n’était passé là depuis plusieurs siècles ?

— Ah, oui, c’est vrai ! Ça fait quelque chose de penser ça !

— En spéléo, souvent, personne n’est passé avant nous, ça fait partie de l’intérêt, être les premiers hommes à découvrir ce que nous voyons ! Nous sommes de vrais explorateurs !

— Bon ! lance Vincent. Passons aux choses sérieuses. Il dit quoi ton fil d’Ariane, Ariane ? (Je lui fais le coup chaque fois !)

— C’est quoi le fil d’Ariane ? je demande

— Et ta mythologie ? Le labyrinthe, le Minotaure, Ariane, tu as tout oublié ? m’attaque Éloïse.

— Oui, madame-je-sais-tout-et-je-la-ramène dès que je peux ! Et en spéléo, tu sais ce que c’est ?

— Je devine, moi !

— Oh, là, là ! Ça faisait longtemps qu’ils ne nous avaient pas fait leur numéro, ces deux-là ! lance un parent.

Je fais la grimace.

— Mais regardez-les ! Ils font la même tête, ils sont vraiment du même bois. C’est mignon de les voir si semblables et se chamaillant si bien ! Mais on les aime quand même. On va ignorer leur petite dispute. Ariane, dis-nous.

— J’ai mesuré exactement 1746 mètres. C’est beaucoup pour un souterrain ! Surtout si on ajoute les cinq-cents mètres jusqu’à la rivière. Cette longueur, plus de deux kilomètres, c’est assez extraordinaire.

— Le fil permet de savoir la distance parcourue et, surtout, par où on est venu. S’il y avait eu des bifurcations, c’est mieux de savoir par où on est venu, non ? Ça fait partie de la sécurité.

Ce qu’il ne nous dit pas, c’est qu’il y a une sécurité essentielle : Isabelle savait où on était et quand on devait revenir. Nous allons payer cher, plus tard, de ne pas connaitre cette sécurité principale.

— Alors, si on prend la carte, qu’on mesure 1740 mètres au 1/25 000e, ça nous fait…

— 6,96 centimètres, lance Alexandre immédiatement, sans lever les yeux.

— C’est qui, ce petit génie ? demande Ariane

— Mon frère, répond Éloïse, un peu fière.

— Bon, la maison est là, dans cet axe, la cave, la direction du souterrain, avec la boussole par là, on tire un trait, sept centimètres… et on est à peu près sous le château ! Ça confirme bien ce que tout le monde pense et ce que vous a dit votre propriétaire. Ce que j’ai vu, c’est un escalier en colimaçon qui commençait. Il doit monter jusqu’aux pièces les plus basses. Vous connaissez ce château ?

— Oui, oui, nous y sommes allés. Il est tout écroulé. Il n’y a rien à voir. Il s’appelle le château de Laroque.

— Et on voit le départ de l’escalier, éboulé, avec un panneau de danger, je rappelle.

Nous parlons tous en même temps.

— Bon, bon. Vous savez à qui appartient le château ?

— À la commune, répond aussitôt Éloïse. C’est écrit sur tous les panneaux du château.

Vincent semble réfléchir.

— Je viens d’avoir une idée. Le souterrain, à part les deux endroits effondrés, est en très bon état. Cela peut faire une attraction touristique formidable pour la commune, avec juste un peu de consolidations et des sécurités. Tu en penses quoi, Ariane ?

— Oui, ce serait une belle activité pour les vacances. Il faudrait associer notre groupe de spéléo et voir comment accompagner les visiteurs. Il faut préserver ce souterrain.

Vincent et Ariane restent diner. On continue à imaginer plein de choses sur ce souterrain.

Isabelle lance :

— Devoir de vacances demain : aller à la mairie et interroger le père Seuzac pour récolter plein d’informations possibles sur ce château et, peut-être, sur ce souterrain.

À l’heure du départ, Vincent nous dit :

— Vous êtes vraiment trop sympas. Si je peux, je vous organise une sortie, pour les quatre grands. Je connais une belle grotte, facile d’accès. Pechole. Tu en penses quoi, Ariane ? Et vous ?

La réponse est unanime, bien sûr.

— Mais il faudra apprendre à descendre et à monter sur une corde, car on y accède par un gouffre. Vous n’avez pas le vertige, au moins ? Bon ! Si ça vous dit, après-demain, on fait un entrainement. Et dans quatre jours, on attaque la grotte, sauf si on a un orage. Sébastien, ou Isabelle, ça vous dit aussi ?

Le lendemain, nous sommes tous pressés de partir pour trouver les informations sur le château. Bien sûr, on ne trouve rien à la mairie, sauf des photos, les dates de construction, du 12e au 14e siècle et sa destruction après la révolution. Bof ! Heureusement, la secrétaire de mairie nous oriente vers un monsieur, retraité, passionné d’histoire locale. Il peut sans doute nous renseigner. Toute la troupe se met en marche. Là, les parents disent :

— Ça ne va pas le faire : on ne peut pas débarquer à huit chez ce monsieur, on va l’effrayer. On va faire une délégation de trois, pas plus.

Nous entamons une grande discussion sur la place du village pour savoir qui ira. Finalement, ce sont Sébastien, Mélodie et Éloïse. Les autres doivent attendre à la maison. Quand ils reviennent, nous voyons sur leur tête qu’ils ont appris plein de choses.

Je résume, car leurs explications durent longtemps.

Le château était ce qu’on appelle dans la région un château des Anglais. Il y en a plein d’autres. Rien à voir avec les Anglais, même si ceux-ci dévastèrent plusieurs fois la région pendant la guerre de Cent Ans. Éloïse se croit obligée de nous rappeler ce qu’a été cette période, mais tout le monde demanda la suite. Elle termine quand même en disant que cette appellation date du 19e siècle.

Au Moyen-âge, cela s’appelait des rocas, d’où le nom de Laroque. C’étaient des abris troglodytes, sous roche, cachés sous un repli de la falaise et qui servaient pour contrôler et faire payer les bateaux de marchandises qui descendaient la rivière. Ils étaient aussi utilisés comme refuge par les paysans. Il y avait souvent des villages à côté, également dans la falaise ou juste au-dessus. À Laroque, aucune trace d'habitations proches n’a été retrouvée. On pense que cet endroit était déjà utilisé bien avant le Moyen-âge, car les grottes situées derrière le château abritent les restes d’une occupation des premiers siècles ou même avant. Les premiers murs ont été datés du 12e siècle, et on a retrouvé des traces de changements datant du 15e. Souvent, ces châteaux n’étaient pas occupés tout le temps, car trop froids et trop humides. Il semble que celui-ci a été une habitation permanente, puisqu’on a retrouvé des cheminées, des peintures murales. Le fait qu’il a été modifié jusqu’au 15e siècle renforçait cette hypothèse. Apparemment, il était peut-être encore occupé à la Révolution.

— Le château a été occupé au moins jusqu’en 1756, je fais remarquer.

— Comment peux-tu être aussi affirmatif et savant ?

— Parce que le souterrain a été entretenu jusqu’à cette date, simplement.

— Comment sais-tu ça ?

— Parce qu’il a fallu refaire la sortie sur la route à cette date, construire cette maison. C’est ce que le père Seuzac nous a dit !

Tout le monde me regarde comme si j’avais découvert que la Terre tourne autour du Soleil. Je suis ravi de mon petit effet.

— Mais non, c’est encore plus compliqué que ça, je continue. Le château a été abandonné au 14e ou au 15e siècle. Je dirai au 15e siècle ! ajoutais-je d’un ton affirmatif.

— Mais tu es drôlement savant, tout d’un coup ! se moque gentiment Sébastien.

— Si on se rappelle les guerres de religion, on peut se dire qu’avoir un souterrain pour fuir, ce n’était pas mal.

— Continue !

Maintenant, tout le monde m’écoute, avec de grands yeux.

— J’arrête de vous faire marcher : dans la cave, au-dessus de la porte de la salle qui monte, il y a écrit « 1487 », c’est tout ! Le reste, je l’ai imaginé. La maison actuelle, j’imagine aussi qu’elle a été simplement reconstruite, en ne changeant pas la salle en dessous.

— Ce que l’on peut en conclure, c’est que ce souterrain a été entretenu au moins jusqu’à cette date. Nous n’avons pas de preuve, mais c’est très malin ce que tu as imaginé, et très bien observé, reprend Sébastien, approuvé par Isabelle.

Je suis fier de moi. Éloïse me lance un regard d’admiration. Pour une fois, j’ai été plus intelligent qu’elle, je suis assez content.

Ils continuent de nous dire ce qu’ils ont appris : le château a été vendu comme bien national après la Révolution, puis il a servi de carrière de pierres au début du 19e siècle, pour les maisons du village, à trois kilomètres de là.

Pour le souterrain, une vieille histoire court depuis longtemps sur son existence, comme souvent sur les châteaux un peu mystérieux, c’est tout. Ce savant leur a dit que cette nouvelle de la découverte du tunnel l’intéresse énormément et qu’il va reprendre des recherches plus approfondies.

Il reste un point très mystérieux, qu’ils ont gardé pour la fin. Le vrai nom de l'endroit est château de Laroque-Seuzac. On retrouve le nom de notre propriétaire et il possède la maison où débouche le souterrain. Que de coïncidences ! Très vite, nous en déduisons qu’il est forcément le descendant du seigneur du château ! Il y a peut-être encore plus, avec un trésor dans une oubliette, par exemple.

Ce que leur a dit le savant, c’est que la famille Seuzac est très ancienne dans le village et la maison que nous occupons appartenait déjà au grand-père de l’actuel père Seuzac, comme il nous l’a dit. Il a aussi fait plein de recherches généalogiques sur les habitants du village. Pour le reste, il faut demander directement au père Seuzac. C’est quand même incroyable d’avoir autant d’informations, si vite. Quand un des parents lance que ces informations ne se trouvent pas sur internet, nous sommes cinq à lever les yeux au ciel. Ça n’a aucun rapport !

Le soir, à l’apéritif, c’est Sébastien qui interroge doucement le père Seuzac. Il lui raconte brièvement ce que nous avons appris, et surtout le nom complet du château, et que cette maison est dans sa famille depuis sa construction. Oui, il sait qu’il a le même nom que le château, mais c’est aussi un nom courant ici. Les seigneurs de Seuzac sont partis à la Révolution. Peut-être que ses ancêtres étaient de la même famille, ou cousins, ce qui aurait expliqué la maison. Il ne sait pas qu’il est le seul à connaitre le souterrain. Son père lui en avait parlé, lui avait montré l’entrée, mais sans lui dire spécialement que c’était un secret.

Voilà pour toute l’histoire de ce château et de son souterrain, ce n’est pas mal et nous sommes contents de nos trouvailles. Tout le monde n’explore pas un passage secret médiéval !

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