9 - Thomas

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La véritable histoire commence le jour où Fatine nous dit que le service des carrières est passé. Nous savons que l’immeuble est très surveillé, car il est construit sur de vieilles carrières, avec des piles de béton, descendant très profondément pour le soutenir. Il parait qu’ils en ont bavé pendant deux ans avant de sortir les premiers murs. Depuis, tous les trois ou quatre ans, ils viennent vérifier les sous-sols.

— Et alors ? demandons-nous en chœur, Éloïse et moi.

— Mais vous êtes nases ou quoi ? On peut faire de la spéléo ici, pas besoin d’aller à perpète !

— C’est vrai que la spéléo, avec Vincent et Ariane, c’était vachement sympa. On va y retourner d’ailleurs.

— Ça, oui ! Mais ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’on peut aussi le faire ici.

— Mais c’est dangereux, on n’y connait rien. Et on ne sait même pas comment descendre dans ces carrières.

— Vous, non. Moi, oui !

— T’es ouf !

— Regardez, dit-il, en nous nous montrant une clé. Dans le deuxième sous-sol, au bout du couloir, il y a une porte en fer qui ressemble aux autres portes de cave. Juste une plus grosse serrure. Avec cette clé qui va dessus…

— Comment tu l’as eu ?

— J’ai vu maman la raccrocher après que les mecs sont partis. Elle a oublié de fermer l’armoire à clé. Faut dire que les autres lui tenaient la jambe ! On a une heure pour faire un double. Il faut que je la remette avant que maman revienne.

— C’est une connerie, moi je ne veux pas.

— Hou là, là ! Voilà le Tom sage et sérieux qui débarque, me rabroue Éloïse. On peut toujours faire un double, on réfléchit après.

— Oui, je connais ton genre de réflexion, tu vas encore nous embobiner.

— Bon, allez, on y va.

Je les accompagne malgré moi. Moins d’une heure plus tard, tout est en ordre, avec un double dans la poche d’Éloïse. Nous tenons un grand conseil à trois. OK, c’est dangereux. Donc, jamais aucun risque. On est tous les trois d’accord. Nous savons, avec tous les exposés que nous avons faits, qu’il y a plein de niveaux, que c’est un vrai dédale. Pas question de descendre ou de s’aventurer. Une fois que l’on a dit tout ça, aller pousser la porte dans ces conditions est bien tentant.

Nous attendons quelques jours et dès que nous le pouvons, nous prenons des lampes de poche et nous descendons. Nous déverrouillons la première porte. Nous sommes surpris, car au lieu d’une carrière, c’est seulement un escalier en colimaçon. Nous le descendons prudemment, car il est un interminable et fait tourner la tête. En bas, encore une porte en fer ! Heureusement, celle-ci n’est fermée que de gros verrous, faciles à tirer. Cette fois, ça y est ! Nous débouchons dans une caverne, dans une grande salle en tous les cas. Nous sommes très impressionnés. Éloïse dit que nous devons nous équiper avant d’aller plus loin. Pour une fois, elle est raisonnable, et je trouve qu’on en a déjà beaucoup fait ! Nous remontons en refermant bien les portes. Nous allons dans la chambre d’Éloïse pour réfléchir comment continuer et lister le matériel dont nous avons besoin. Nous nous souvenons très bien de l'équipement de Vincent, mais nous regardons aussi sur internet ce qui est conseillé. C’est incroyable la quantité nécessaire. Le samedi, nous descendons vers République pour faire nos achats dans le magasin de sport, munis de notre cagnotte. Finalement, c’est bien d’avoir ce petit trésor à nous. Cela évite des explications à donner. Nous discutons longuement, car nous n’avons pas assez et il faut renoncer à certains équipements. Nous décidons de commencer doucement. S’il faut aller plus loin, on refera les marioles pour avoir des sous. Quand nous sortons les bras chargés, nous nous rendons compte de notre stupidité : comment allons-nous le cacher ? Une seule solution : l’escalier. Il nous faut aussi rentrer discrètement dans l’immeuble et filer directement au sous-sol. Fatine fait le guet. Décidément, le samedi, tout le monde bouge sans arrêt ! Nous commençons à avoir peur de ne pas y arriver, quand, enfin, il y a un trou sans personne. Nous entassons tout dans l’ascenseur, juste avant qu’une silhouette apparaisse. Je comprends que nous sommes en train de faire une grosse bêtise. À voir la tête d’Éloïse et de Fatine, je sais qu’ils pensent la même chose. Aucun de nous ne parle. C’est trop tentant… Nous rangeons le matériel derrière la porte, puis nous remontons. Avant que l’ascenseur s’ouvre, Éloïse nous demande :

— On continue ?

Fatine hoche la tête, je fais pareil.

Le mercredi suivant, nous avons au moins trois heures de libre devant nous, et nous décidons de descendre, pour de bon cette fois.

On doit attendre en se cachant, car le mec du quatrième est en train de ranger sa cave, juste à côté de la porte. Il met un temps pas possible, avant, enfin, de remonter. Sur le haut des marches, nous déballons et montons le matériel. Pour l’instant : casque, lumière. Nous échangeons un dernier regard, puis nous descendons à la lumière de nos casques. Nous nous retrouvons dans cette grande salle que nous avions déjà aperçue la première fois. Nous laissons la porte du bas grande ouverte pour nous rassurer. Nous avançons prudemment. Cela fait bizarre, car nous tournons tous sans arrêt la tête et les lumières sautent constamment. Une autre salle enchaine, puis une troisième. C’est Éloïse qui nous arrête :

— Pas la peine d’aller plus loin. Il nous manque un fil repère et des lumières à main. On reviendra et on essaiera de faire un plan.

Nous remontons en refermant bien la porte à clé. Nous laissons de grandes marques blanches sur le sol, cela nous amuse. Une fois à l’air libre, nous fonçons sur notre banc pour discuter. Je dois reconnaitre que ce n’est pas si terrible et que ça n’a pas l’air dangereux. Je suis soulagé.

Si on veut continuer l’exploration, avec plus de matériel, il faut reprendre les séances de pose. Cette fois, cela ne rigole plus : on fait payer les touristes avant qu’ils brandissent leurs appareils ! Rapidement, nous pouvons compléter notre panoplie. Nous avons hâte maintenant de reprendre notre exploration, attirés par cette aventure et le plaisir de nous retrouver dans cette ambiance, en secret. Petit à petit, nous connaissons bien les premières salles.

Nous nous sentons maintenant tellement bien dans ces salles que, quand nous le pouvons, nous apportons de quoi manger et nous pique-niquons dans la poussière. À propos de poussière, il faut que nous fassions attention. L’autre jour, Fatine a entendu des gens se plaindre des traces au deuxième sous-sol. Sa mère est descendue voir et il a entendu beaucoup de discussions sur le sujet. Résultat, on s’est tenu à l’écart pendant deux semaines. Heureusement, nous avions descendu tout notre matériel dans la carrière, sinon, nous étions pris. On a acheté un paillasson et un balai. Nous ne laissons pas plus de traces qu’un oiseau dans le ciel !

Nous avons eu chaud, car une première fois, Fatine était revenu avec ses vêtements tout blanc. Heureusement que son imagination a soulé sa mère. Depuis, on changeait aussi de vêtements en bas. C’est très compliqué d’avoir un secret ! Nous avons bien rigolé à ce sujet quand un jour Éloïse nous a posé une énigme : « Plus j’ai de gardiens, moins je suis bien gardé, qui suis-je ? ». Je vous donnerai la solution plus tard, mais avec ce que je viens de raconter, ce n’est pas difficile à trouver.

Mélodie est la première à s’apercevoir de nos disparitions, car elle me demande où nous nous cachons pendant si longtemps. Elle m’a cherché plusieurs fois sans nous trouver à nos endroits habituels. Je lui réponds qu’en ce moment, nous sommes plutôt avec ceux de l’ilot du 24 (le plus éloigné de chez nous). Ouf, elle ne m’en demande pas plus.

Au fur et à mesure que nous explorons, nous faisons un plan, pour nous retrouver et essayer de comprendre comment se situent les salles. Nous voyons à différents endroits des trous ouverts dans le sol vers les autres étages de carrières. Nous décidons de ne jamais essayer de descendre et de ne pas nous en approcher. Même si Vincent et Ariane nous ont appris à descendre, nous savons que ce serait une énorme bêtise. Déjà, découvrir toutes les salles et caves à notre niveau est passionnant. Ce dédale semble infini et nous faisons attention avec notre fil, solidement attaché à la porte d’en bas, de toujours l’avoir en main.

Une fois, nous voyons du jour au bout d’une salle. Nous avançons jusque-là et nous tombons sur une grille. Nous essayons de voir sur quoi elle donne et nous croyons reconnaitre un bout de notre square. Nous remontons à toute vitesse, filons dans ce square pour retrouver la grille. Nous cherchons longtemps et, enfin, derrière un bassin entouré de barrières en bois de ciment, sous une espèce de fausse colline, nous apercevons une grotte et sans doute la grille. Nous sommes beaucoup plus bas que notre immeuble. Entre les deux étages de la cave, plus l’escalier, plus la pente de la colline, nous descendons assez profondément.

Nous sommes loin de chez nous et nous nous rendons compte que nous avons exploré un vaste domaine. Nous sommes fiers de nous.

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