11/2 - Éloïse

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Je raconte maintenant ce que j’ai entendu, après.

Dès le premier soir, c’est-à-dire quelques heures après notre accident, nos parents s’inquiètent. Ils vont au commissariat et immédiatement les recherches commencent. Trois enfants qui disparaissent en même temps, il ne peut s’agir que de quelque chose de grave. Ils agitent toutes les hypothèses. Un enlèvement ? On n’enlève pas trois enfants en même temps. Un accident ? Ils auraient été avertis. Une fugue ? Trois enfants « sages », ensembles, ça n’est pas possible. Ils fouillent nos trois chambres, interrogent nos camarades de collège, d’ilot. Rien. Aucune piste. Incompréhensible. Comment avons-nous pu nous volatiliser ?

Les journaux sont bien sûr informés. C’est du sensationnel et il ne se passe pas grand-chose par ailleurs. C’est une suite ininterrompue de nouvelles, aussi creuses les unes que les autres, avec des bandeaux qui défilent sur tous les écrans, nos photos en grand. Les journalistes envahissent le quartier et tout le monde peut donner son idée. Quand, après, on regardera ces inventions, nous rigolerons bien. Le plus drôle sera l’enlèvement par des extraterrestres ! En plein Paris ! Je le note pour notre prochaine aventure !)

Nos parents ne dorment plus, reprenant toutes les possibilités, craignant et redoutant la sonnerie du téléphone qui leur annoncera que l’on a retrouvé… Il y a maintenant douze heures que nous avons disparu. C’est le matin. Rien de nouveau, à part la foule des curieux qui est de plus en plus importante. Vingt-quatre heures, quarante-huit heures… Ils sont à bout, rongés par l’angoisse. Il est 23h30 quand tout bascule.

Amir, le père de Fatine, se met à jurer. Fatima en rira, plus tard, en le racontant, car ce sera la seule qu’elle l’entendra jurer.

— Ah, les petits cons, les petits cons! Fatima, je sais où ils sont. Ils sont dans les carrières. Tu te souviens quand Fatine avait son t-shirt plein de poussières blanches, comme il était intéressé quand les contrôleurs des carrières sont venus, comme il nous racontait leurs vacances et les histoires de souterrain. Regarde si la clé est là.

— Oui, elle est accrochée à sa place.

— Ils ont dû en faire un double, ces petits cons ! Appelle le numéro qu’ils nous ont donné. Dis bien qu’ils sont dans les carrières, qu’ils apportent le matériel. Moi, je descends voir.

Il tombe immédiatement sur notre matériel, derrière la porte, et voit le fil qui s’en va. Amir remonte à toute vitesse, prévient nos parents. Ils descendent tous, mais sont effrayés par la noirceur. Ils crient nos noms. Les pompiers arrivent très vite. Ils poussent gentiment nos parents, les réconfortant et leur demandant de les laisser travailler.

Papa reste près du capitaine des pompiers, alors que les parents de Fatine, Isabelle et Pierre s’écartent un peu. Le capitaine dit à un de ses hommes de prévenir le service des carrières, la brigade cynophile, le commissariat, pour éviter que les journalistes approchent. Il termine en murmurant : « J’espère que nous n’aurons pas besoin d’eux pour autre chose ! ». Papa a entendu ; son cœur se bloque. Le pompier le voit et tente de le rassurer en disant qu’ils appliquent automatiquement les procédures.

— Cela fait deux jours qu’ils ont disparu. Ils peuvent tenir trois jours dans la fraicheur. Soyez confiant, ce n’est plus qu’une question de minutes.

Papa entend ce qu’il ne dit pas : « S’ils ne se sont pas tués en tombant ».

Les pompiers défilent avec éclairages, civières, matériels. Les parents veulent les accompagner, mais ils refusent :

— On a déjà vos enfants à s’occuper, nous n'avons pas besoin d’une charge en plus. Je reste là, je suis en liaison radio avec l’équipe, vous saurez tout en temps réel.

La troupe part en suivant le fil et en appelant régulièrement nos noms. Les minutes passent. On entend que nos noms dans la radio et l’écho lointain. Déjà, ils ne voient plus les lumières des sauveteurs.

Dans mon sommeil, je perçois des voix, lointaines.

— Tom, on vient nous chercher, nous sommes sauvés !

Aucun son ne sort de ma bouche. Je le touche doucement; il ne réagit pas, j’entends à peine sa respiration. J’essaie de me lever, mais je retombe à moitié évanouie. Dans un dernier effort, je prends nos lumières et je les allume à la puissance max, en éclairant le haut du trou et en criant « Au secours ! », sans pouvoir sortir un son, tellement j’ai la gorge sèche. Ils sont là et ils ne vont pas nous trouver, car je n’entends plus rien. J’agite mes lampes, alors que je n’ai plus de force.

Je sens que je vais tout lâcher quand, enfin, le haut du trou s’éclaire, puis une lumière descend, cherche et vient nous balayer. J’entends :

— On en a deux, un garçon et une fille, au fond d’un trou. Ils semblent OK. On sécurise avant de descendre.

Il ne se passe plus rien pendant longtemps, mais je n’ai plus conscience de grand-chose. Des voix et des coups de marteau résonnent. Je me sens partir, mais je résiste, je dois résister, je dois tenir pour leur dire de sauver Tom. Je n’entends plus sa respiration, il est froid. J’agite toujours mes lampes.

— Éteins tes lumières, tu nous éblouis ! On descend, on arrive. Tout va bien.

Je distingue un homme qui descend par une échelle de corde, puis un autre, avec un énorme sac à dos. Un autre encore. Je tremble complètement. Ils arrivent en courant. Je leur fais signe de s’occuper de Tom en premier.

— Mon collègue s’occupe de ton copain, moi, je suis là pour toi. Tout va bien aller, c’est fini. On s’occupe de vous.

Il m’examine rapidement, puis avec l’aide d’un autre que je ne vois pas, ils me posent sur une civière. Le premier me regarde et comprend que je veux parler.

— Tu es complètement déshydratée. Je te pose une perf et je vais te mouiller la bouche. Reste calme.

Je me laisse faire. Je tremble comme ce n’est pas possible et le second doit me tenir le bras pour qu’il puisse me piquer. Dès qu’il m’a mouillé les lèvres et la bouche, je commence à me sentir mieux. Aussitôt, je dis :

— Tom, il ne va pas bien. Il a de la fièvre, il a mal à l’épaule et je lui ai cassé le pied en lui tombant dessus. Et Fatine, vous l’avez trouvé ?

— Occupe-toi de toi. Tes copains, on s’en charge. 36 degrés ! Dis donc, tu commençais à partir, toi aussi. Allez, couverture chauffante. On va te remonter.

Maintenant, il y a eu plein de lumière, et ils sont cinq ou six autour de nous, dont deux à faire plein de gestes, tranquillement, autour de Thomas. Mon médecin voit que je suis très inquiète et s’approche d’eux avant de revenir.

— Rassure-toi, il est vivant, ils connaissent leur boulot, ils sont en train de le stabiliser, ça va aller pour lui. Ça prend un peu du temps, car il revient de plus loin. Sa fièvre n’a pas arrangé la situation. Il va bien, il faut juste qu’il soit un peu plus solide pour être manipulé et transporté.

Ils décident alors de me remonter la première. Je refuse, je veux rester auprès de Tom, je veux savoir si on a retrouvé Fatine.

— Ton autre copain, on ne sait pas encore, parce que le fil s’arrête près du trou. On attend les chiens et eux, ils vont le trouver très vite. On te remonte du trou quand même.

Ils m’attachent à la civière, et je vois que c’est une opération compliquée. Ils me l’expliquent, car le bord du trou n’est pas sûr, il ne faut pas qu’il s’effondre et tombe sur Tom et les secouristes qui sont juste en dessous. Ils me remontent plus loin, heureusement, car même en faisant attention, il y a plein de pierres qui tombent.

Nous sommes presque à la porte quand j’entends des aboiements. Il arrive, avec son maitre qui porte un vêtement de Fatine à la main.

— Allez ! Cherche, Tintin !

Le chien file, suivi de son maitre, d’un médecin (celui qui porte le gros sac à dos), d’un pompier avec une civière, d’un autre qui les éclaire tout en déroulant un fil.

On entend les encouragements du maitre qui diminuent, puis on perd leur lumière et les bruits. Ils veulent me remonter, mais j’insiste pour attendre. Comme je m’agite, mon toubib me dit en souriant :

— Du calme, ils vont le trouver. J’ai bien voulu que tu restes, mais tu te calmes, sinon, je te transforme en belle au bois dormant, jolie princesse ! »

Le temps est long. Enfin, la radio grésille : « C’est bon, nous l’avons trouvé. Évanoui, mais état OK. On le ramène dès qu’on peut ».

Bientôt, je vois revenir le chien et son maitre.

— Il a fait plus d’un kilomètre dans le noir, le gamin !

— Bon, toi, on te sort maintenant, tu es rassurée sur tes copains ?

J’ai pleuré, je n’avais plus de force, je lui ai juste dit :

— Merci pour eux, merci, vous êtes formidables.

Puis, je peux enfin lâcher prise.

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