rencontre avec Pauline

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Quelques minutes plus tard, je retrouvai Vivien et Dimitri.

« Salut Fabien, comment ça va ?

– Moi ? Ça peut aller ; c’est plutôt à vous qu’il faut demander ça, répondis-je.

– On fait avec. Mais les morts s'amoncellent. D’abord Juliette et sa mère, ensuite Brice... décompta Vivien.

– C’est sûr, y'avait déjà pas grand monde dans le village, ça devient inquiétant, renchérit Dimitri.

– J’ai appris que Brice avait brûlé.

– Tu l’as dit. Bouffi s’est fait cramer. Un accident stupide, commenta Dimitri.

– C’est pas gentil de l’appeler comme ça, tacla gentiment Vivien. Il était, comme disait Obélix, légèrement enrobé. »

Sur ces mots les trois adolescents se mirent à rire, et l’atmosphère se détendit un peu. Je pressentais que Dimitri et Vivien avaient besoin de prendre du recul, de ne plus penser aux terribles événements des derniers jours. Pour ne pas craquer devant moi... Pour ne pas se dire qu'ils pourraient être les prochains sur la liste du "Destin".

Cependant, certains signes ne trompaient pas : des larmes séchées, les cheveux en désordre, des cernes - oui, malgré leur jeune âge ! - marquaient leur visage...

Je me devais de continuer ce petit jeu, pour ne pas rompre cet équilibre fragile.

« Et sinon, vous avez prévu quoi pour la journée ?

– D’abord, on va passer chez Pauline présenter nos condoléances, ensuite on fera un tour dans la forêt, déglutit Vivien avant de continuer, Brice aimait s’y retrouver de temps à autre.

– Si tu veux, tu peux venir avec nous. Tu ne connais pas Pauline et tu n’as joué qu’une seule fois avec Brice, mais vu ton niveau de jeu au foot, je suis sûr que vous seriez devenus de grands amis.

– C’est certain, Brice aimait jouer les fortes têtes, mais il respectait les autres. Il t’aurait bien aimé, affirma Vivien.

C’était surtout un psychopathe en culotte courte. C’est pas plus mal qu’il soit mort, même si personne n'en mérite une aussi atroce. Cependant, je me vois mal décliner la proposition sans que Vivien et Dimitri ne se posent de questions. J’ai également envie de voir la mère de Brice pour lui montrer que je n’ai pas peur d’elle.

– Je viens avec vous. »

*

Le trajet dura un certain temps. On essayait de blaguer tout au long du chemin, mais le cœur n’y était pas.

On appréhendait la réaction de Pauline et espérait qu’elle ne se mette pas à sangloter devant nous.

Moi seul savais ce dont Pauline était capable !

« On arrive bientôt. Tu vois le chemin à droite ? interrogea Vivien.

– Oui.

– La ferme de Pauline est au bout. Préparons-nous. »

Nous avançâmes sur la route, de plus en plus lentement.

Un peu plus tard, je découvris la ferme. Une sensation s’imposa : tout respirait le mal dans ce lieu : les arbres étaient tordus et tenaient miraculeusement debout, le jardin était en jachère, grillé, tandis que le vent sifflait en rafales, chargé d'une odeur de souffre...

J’en eus le souffle coupé et mes jambes ne m’obéirent plus pendant un instant.

« Tout va bien ? questionna Dimitri. On ferait mieux de se bouger, le vent commence à se lever.

– Oui, c’est juste que je n’ai pas l’habitude de voir des maisons si grandes, bredouillais-je.

L’excuse était bidon, mais je n’avais rien trouvé de mieux.

– On voit bien que tu n’es pas du coin, toi, ajouta Vivien, amusé.

– En avant marche, continua Dimitri.

*

Nous entrâmes dans la ferme. Une femme s’occupait de son jardin, ou du moins de ce qu'il en restait.

À notre arrivée, elle releva la tête et un sourire se forma sur son visage. Il semblait amical mais je savais qu’il était faux. Elle me regarda avec avidité, comme si elle voulait me dévorer... j'en frissonnais !

« Ainsi te voilà. Tu oses te jeter dans la gueule du loup.

– Je n’ai pas peur de vous.

– C’est qu’il mordrait s’il avait des dents. Tu as de la chance d’être venu accompagné.

– Je suis téméraire, mais pas fou.

– Je t'aurai mon petit. Lorsque tu t’y attendras le moins.

– Vous ne pouvez rien faire contre moi.

– Tu oses me provoquer ? Tu ne vas pas rire longtemps et tu paieras bientôt pour ton crime.

– Mon crime ? Alors que vous avez tué votre propre fils ? Qui peut être assez folle pour tuer son enfant ?

– Ta gueule ! Tout est de ta faute ! Si tu ne l’avais pas provoqué, il aurait attendu mon aide et à nous deux, nous t’aurions vaincu. »

Cette dernière pensée m’avait fait reculer d’un pas.

« Tout va bien ? me demanda Dimitri.

– Oui, je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai failli perdre l’équilibre.

– Bonjour, vous allez bien ? commença Pauline.

– Bonjour. Nous venons prendre de vos nouvelles, s’enquit Vivien.

– C’est gentil à vous. Comme vous le voyez, je m’occupe pour ne pas penser à… »

La femme se tut soudain.

« C’est normal, ça nous a fait un coup à nous aussi, murmura Dimitri.

– C’est pas évident aujourd’hui c’est sûr, approuva Pauline. Mais je dois rester forte, Brice n’aurait pas voulu que je me lamente. »

Elle m'adressa ensuite la parole.

« Vous devez être le nouveau. Brice m’a parlé de vous ; c’est plutôt rare de sa part lors d’une première rencontre ; vous lui aviez fait de l’effet.

« Et tu l’as tué, espèce de vermine. Tu es pourtant bien chétif ; pas bien grand et pas bien costaud non plus ; une demi-portion. Brice aurait dû t’avaler en une bouchée mais tes dons t’ont sauvé. Cela ne sera pas toujours le cas. Je vais venger mon fils. Tu n’auras pas deux fois la chance du débutant.

– Vous causez beaucoup, mais vous ne me faites pas peur.

– Tu devrais me craindre pourtant. Tu ne connais pas l’étendue de mes pouvoirs.

– Nous verrons bien.

– Je te promets que tu vas souffrir, mon petit. »

J’essayais de ne pas le montrer, mais, à l’intérieur, j’étais fébrile. La peur m'envahissait insidieusement, mais il était hors de question de la dévoiler à cette folle. Elle pourrait s’en servir contre moi, d’après ce que j’avais vu la nuit précédente.

« Tu ne pourras résister...

– C'est ce qu'on verra. Vous feriez mieux de nous donner à boire. On a soif, la coupai-je.

– Pour qui tu te prends ? s’énerva Pauline en reculant de quelques pas.

– Tout va bien ? demanda Vivien.

– Oui, un simple vertige, rien de bien méchant, assura Pauline.

– Vous êtes sûre ? On peut repasser plus tard si vous voulez.

– Non, c’est gentil à vous d’être venus. On va s’installer dans la maison et je vais vous offrir une limonade.

– Avec plaisir, il fait chaud aujourd’hui. », répondit Vivien.

Nous entrâmes dans la cuisine, et sirotâmes notre boisson bien fraîche.

Pauline reprit la conversation.

« En tout cas, c’est très gentil à vous d’être venus me voir ; ça fait plaisir de me sentir soutenue dans ces moments-là.

– De rien, c’est tout à fait normal. Brice était notre ami, rappela Vivien.

– Qu'avez-vous prévu ensuite ? Vous n’allez pas veiller sur moi toute la journée tout de même ? plaisanta Pauline.

– Non, rassurez-vous. On va vous laisser tranquille. On a décidé d’aller dans les bois et de se recueillir en l’honneur de Brice.

– Cette attention me touche beaucoup. Vous êtes de bons p’tits gars, souffla Pauline avant de nous proposer une part de tarte aux fruits rouges.

– Avec plaisir ! », s’exclamèrent Dimitri et Vivien.

Brusquement, une image se cristallisa devant moi. Un cœur battait au centre de la galette ! Il se levait et s’abaissait en un rythme régulier et de cette chose partait un nombre infini de sillons d’un rouge sombre qui recouvrait toute la pâte !

Soudain, une bouche se dessina. Les lèvres remuaient, mais ne proféraient aucun son ; comme si on avait arraché les cordes vocales.

C’est alors qu’elles se tordirent et formèrent le mot « SOS » en lettres de sang !

Ensuite, un œil apparut et grossit, grossit, grossit… jusqu’à ce que la pupille soit catapultée du globe oculaire et s’écrase dans un grand « splash » en-dessous de l’appel d’aide.

Je retins difficilement mes nausées et courut vers l’évier pour rendre mon petit déjeuner !

Pauline s’avança vers moi et me demanda faussement inquiète :

« Tout va bien ?

– Ça va passer. Je suis un peu barbouillé.

– Tu ne veux pas manger de la tarte ? interrogea mielleusement la maman de Brice.

– Non merci. C’est gentil à vous, mais je n’ai pas trop faim.

– Tu as tort. Regarde comme ils se régalent. »

Pauline se décala et j’observai en effet Dimitri et Vivien manger avec appétit la pâtisserie qui semblait excellente.

Je devais me reprendre et contrôler les spasmes de mon estomac. J’avais été victime d’une hallucination. Rien de plus. Ce n’était pas le cœur de Brice, mais de simples mûres et framboises qui composaient le dessert !

Cette femme n’aurait pas le dernier mot avec moi. Je décidai de retourner à table et de me servir un morceau.

Je ne le regrettai pas : le gâteau était succulent !

« C'était bon les garçons ?

– Très, affirmèrent Vivien et Dimitri. »

Pauline prit leurs mains dans les siennes avant de continuer :

« Merci d’être venus, mais vous savez ce que c’est : la nature n’attend pas, déclara-t-elle en souriant.

– Merci pour votre accueil. », termina Vivien.

Sur ces paroles, nous nous levâmes et sortîmes de la cuisine. Mes compagnons ne relevèrent pas que le jardin était en friches ! Pour eux, ce dernier n'était qu'une excuse.

Contrairement à moi ils ne connaissaient pas son rôle dans la tragédie...

« Bonne balade en forêt. », conclut Pauline.

Après un dernier salut de la main, nous quittâmes la ferme pour nous enfoncer dans les bois.

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