Chapitre 108

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Appuyé contre l'une des murailles ceinturant le lycée, Luc patientait dans la cour, le visage grave. En enquêteur sérieux, il scrutait chaque allée et venue des élèves en franchissant les grilles, à la recherche d'une certaine personne. Quand il l'aperçut, il se redressa, puis l'accosta brusquement. Pris de court, la jeune fille recula de quelques pas, et fronça les sourcils.

- Qu'est-ce que tu veux ?!

- Bonjour, Amandine.

Les poings de l'adolescente se refermèrent sur les bretelles de son sac à dos et son œillade, noire, furetait le garçon. Enfin, une impatience mêlée à une certaine inquiétude se fit sentir. Elle tenta de reprendre son chemin, mais Luc l'en empêcha. Il lui indiqua un endroit désert où ils pourraient s'entretenir sans attirer l'attention des autres, et dut faire appel à la force face à sa résistance. Il lui attrapa le bras pour la conduire lui-même dans le lieu solitaire en supportant sa rebuffade. Seuls, il la lorgna avec insistance tandis qu'elle croisait les bras, plus agacée que jamais.

- C'est quoi ton putain de problème ?

Luc pouffa, exaspéré.

- Ce serait trop te demander de parler avec civilité ?

- Qu'est-ce que je fous là ?! continua Amandine, implacable.

Le grand brun regarda tranquillement autour de lui, se retourna vers la jeune fille, puis empoigna furieusement son cou en la soulevant légèrement de terre.

- Tu veux vraiment jouer ? Tu comptes te foutre de ma gueule encore longtemps ?

La lycéenne suffoquait. Incapable de parler, elle fixait sur l'étudiant des yeux exorbités.

- Tu vas m'expliquer ce que tu comptes infliger à Fanny et pour quelle raison tu te fous d'elle depuis le début. N'omets aucun détail, parce que je saurai si tu m'entubes ou non.

Il relâcha sa compagne qui haleta le temps de reprendre son souffle. Elle dévisageait l'adolescent avec horreur.

- Fanny est mon amie ! Je ne lui ai jamais fait tort !

Luc s'avança à nouveau, mais Amandine recula, terrifiée.

- Bon écoute, Fanny t'apprécie. Alors pour son bien, je ne te ferai pas de mal. En revanche, tu vas aller lui dire sur-le-champ ce que l'on sait tous les deux. Parce que si tu ne le fais pas, je le ferai.

Sa partenaire frémit. Livide, elle secouait la tête, interdite.

- Je sais pas ce qu'on t'a raconté sur moi, mais je te jure que je ne lui ai jamais fait de mal.

- C'est marrant, ça ! Parce que je t'ai vu discuter avec une fille l'autre jour !

- Une fille ?

- Ouais.

La lycéenne fit une moue confuse.

- T'as besoin que je te la décrive ? Ta mémoire te fait défaut ?

Silence.

- Très bien, reprit Luc. Brune, grande et sanguinaire... Genre Blanche-neige se promenant avec un couteau dans le dos dans l'idée de planter des personnes sans défense comme Fanny...

Amandine entrouvrit la bouche, stupéfaite.

- Tu m'espionnes ?

- Je protège les êtres qui me sont chers.

- Espèce de malade ! Faut te faire soigner !

- Ça ne résout pas notre problème... Réponds à ma question : Qu'est-ce que tu foutais avec Sophie un vendredi soir au beau milieu d'un hangar abandonné ?

L'étudiante se tortilla sur place, mal à l'aise.

- Je ne vois pas de quoi tu parles...

Luc fit un pas de plus, menaçant. L'adolescente tressaillit.

- Ok, Ok !... On faisait affaire, voilà...

- Quelle affaire ?

- Hmm... Un truc pas très net...

- Pas très net ?

La jeune fille se mordilla les lèvres.

- Je lui refilais de la coco... T'es content ?!

Le garçon se redressa et haussa un sourcil, surpris.

- Vous faisiez quoi ?!

- Je lui filais de la came en échange de fric ! T'as jamais pris de stupéfiant ou quoi ?

Luc hésita, perplexe.

- Non, bruit-il avant de retrouver sa voix dure et imposante. Comment tu peux faire un truc pareil à Fanny ? Et avec Sophie ?!

Amandine croisa les bras.

- J'ai une politique ; je sépare toujours ma vie publique de ma vie privée. Ce que je fais en dehors du lycée ne concerne que moi. Et ce n'est pas une question d'amitié. Je ne porte pas Sophie dans mon cœur, tu peux me croire ! Mais si j'ai la possibilité de gagner de l'argent, je me fous pas mal du camé que j'ai en face de moi. Tant qu'il a l'oseille, je marche.

L'étudiant poussa un râle écœuré. Consterné, il observa sa compagne avec mépris.

- J'arrive pas à croire que tu sois tombée aussi bas ! Fanny a confiance en toi !

- Tu vois, c'est pour ça que t'es si coincé ; tu vis en dehors de la réalité ! Tu suis les gens dans leur intimité parce que t'as pas de vie, et tu joues les détectives privés pour passer le temps ! C'est bon, me regarde pas comme ça. Je sais que tu te prends pour Inspecteur Gadget depuis que l'affaire de Fanny a commencé. Elle me l'a dit... Et franchement, ça te rend pitoyable !

Luc s'empourpra. Les muscles de sa mâchoire se contractèrent, et son œillade, terrible, intimida la fougueuse adolescente.

- Tu n'as pas la moindre idée de ce que je subis au quotidien, alors n'essaye pas de m'analyser ! Et entre nous, ce n'est pas moi qui suis pitoyable. J'ai encore assez de dignité pour placer mes amis au-dessus de vils intérêts ! Si tu as raison sur une chose, c'est que je n'ai pas beaucoup de camarades. Cela me rend plus protecteur envers eux... Pour autant, je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose.

Amandine grimaça.

- Tu l'aimes ? supposa-t-elle après un moment.

- Pas toi ? répliqua le grand brun, impassible. Je crois que tu l'apprécies. Seulement, les actions que tu mènes avec les connards qui veulent sa peau montrent que tu ne l'estimes pas assez.

La jeune fille ne répondit rien. Ayant souvent jalousé Luc pour son amitié particulière avec Fanny, elle reconnaissait maintenant ses qualités. Il avait bon cœur, mais vivait décidément dans un autre monde - plus paisible, moins compliqué.

Amandine avait rapidement pénétré les sentiments de sa meilleure amie, et aujourd'hui, plaignait sincèrement le garçon. Fanny ne l'admettait pas, mais son cœur était pris par quelqu'un depuis un temps qui précédait largement sa rencontre avec Luc.

- Tu te trompes, dit-elle. Je l'estime pour être l'exact opposé de ce que je suis... Et j'admire sa bienveillance autant que je la regrette, car son innocence finira par la perdre. Nous pourrons faire tous les efforts du monde pour l'altérer, son sort est scellé ; tu le sais.

Le lycéen détourna le regard. Il refoulait comme il pouvait ses sentiments, amers.

- Tu vas continuer de fournir de la coke à Sophie ? s'enquit-il sombrement.

- Non, répondit l'adolescente sans hésiter. Je ne faisais que remplacer son dealer "officiel" le temps d'une vente. Une gamine m'a contactée et m'a dit que Sophie voulait que la transaction se fasse directement de trafiquant à consommateur. Quand elle m'a reconnue près du hangar, elle était prête à prendre ses jambes à son cou. Et elle l'aurait fait, si elle n'était pas si accro...

- Je ne savais pas qu'elle se droguait continuellement.

- Personne ne le sait, murmura Amandine en s'effleurant malicieusement le nez. Pour avoir acheté mon silence, je dirais même qu'elle en a honte.

- Pourtant, les drogues se consomment comme des petits pains en soirée...

- Oui, mais aujourd'hui, Sophie ne se met plus en scène. Je te l'ai dit, elle a dépassé ce stade... C'est une vraie junkie !

- "La toxico des banlieues chics"... Plutôt vendeur pour un titre de bouquin.

- Mais pas bien vu dans les banlieues en question, fit l'étudiante dans un clin d'œil moqueur.

- Tu sais pourquoi elle est devenue accro ?

La jeune fille haussa les épaules.

- On dit qu'elle a vécu une rupture amoureuse au lycée. Si on en croit les dates, le moment où elle a commencé à se droguer coïncide avec celui où elle a arrêté de tourner autour de Gatien. Enfin, à ce que j'ai compris... Alors, ça a peut-être un lien... J'en sais rien... Eh puis, elle a perdu beaucoup de poids durant cette période. Et elle continue d'en perdre... Moi, je plaisante pas avec la boulimie. Ma tante était boulimique, et ça n'a rien de marrant... Enfin bref. Je dirais que la rupture amoureuse est la cause la plus vraisemblable à son état actuel.

Luc hocha légèrement la tête, en pleine réflexion.

- Tu peux me donner le nom de la fille qui t'a contacté ?

L'adolescente fronça les sourcils.

- Tu continues ton enquête ?

- Puisque je n'ai que ça à faire, répondit le grand brun, sarcastique.

Amandine se détendit et contempla favorablement son acolyte.

- Tu sais, en ce moment, tu me rappelles Fanny.

Luc sourit.

- Je ne doute pas qu'il s'agit d'un compliment.

- Evidemment, plaisanta la jeune fille avant de retrouver un minimum de sérieux. J'ignore l'identité de cette fille. Elle s'est contentée de me donner les infos que Sophie voulait que je reçoive, puis a raccroché.

- Mais tu n'as pas gardé son numéro ?

- Le numéro était anonyme... C'est un truc que font souvent les junkies par sécurité.

- Est-ce que je peux t'emprunter ton téléphone ? Je connais quelqu'un qui pourrait peut-être localiser son portable.

Amandine lança un "Oh !" des plus hostiles.

- Minute ! A quoi ça te servirait ?

- A faire avancer mon enquête !

- T'as pas besoin de ça pour ton enquête ! Eh puis, je veux pas que mon nom soit associé à tes recherches ! T'imagines si les flics tombent dessus ?!

- Je n'indiquerai ton nom nulle part, je te le promets.

- Et mon téléphone, hein ? S'ils le découvrent, je suis foutue !

- Mon ami s'occupera de ça aussi ; ne crains rien.

- C'est qui ton ami ? largua la lycéenne, peu convaincue.

- Un geek bien informé sur ces choses-là. Je suis certain qu'il trouvera un moyen de te dédouaner de tout ça. La seule chose qui m'intéresse, c'est ce numéro... S'il te plait, Amandine. Fais ça pour moi... pour Fanny.

L'adolescente hésita. Sa main tremblait lorsqu'elle déposa l'appareil dans la paume de son complice qu'elle fixa gravement.

- S'il arrive quoi que ce soit, t'es mort.

Le jeune homme acquiesça avec le même sérieux.

- Compris.

Alors qu'Amandine s'en allait, Luc la retint par le bras.

- Une dernière chose, fit-il. Je ne t'ai pas suivi jusqu'au hangar, ce jour-là. Je rentrais simplement chez moi quand je vous ai vu, Sophie et toi...

Puis, s'amusant de son air hagard :

- Tu me crois vraiment assez sportif pour courir après tous mes suspects ?

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