Chapitre 52E: décembre 1803 - mai 1804

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Auguste, quelque peu revigoré par cette visite absolument inattendue que nous attendions tous depuis trois ans, profita d’un dîner bien arrosé à la maison pour nous affirmer que nous étions invités chez sa belle-mère au Petit-Quevilly, pour passer la Saint-Nicolas. Avec Marie, nous restâmes bouche-bée, car nous connaissions Alice depuis plus de onze ans et sauf le jour du mariage, jamais madame Fleuret ne nous avait conviés chez elle. Après une courte hésitation à emmener Alice, et devant la grippe de Jeanne qui ne la rendait pas au mieux de sa forme, nous décidâmes de lui laisser seulement Frédéric. Le souper aurait normalement lieu le soir du mardi six décembre. Mon fils traça le chemin sur la carte avec son crayon gras pour visualiser la route et ne pas se perdre. Nous nous mîmes sur notre trente et un, parfumées, coiffées, bien habillées en tenue du dimanche, et les petites particulièrement soignées dans leurs jolies robes dominicales. On avait toujours pas réussi à retirer définitivement les langes de Louise – Marie, bien qu’elle ailles sur ses trois ans et juste avant de partir, Jeanne remarqua une mauvaise odeur. Je me dépêchais donc de monter la changer, mais ce fus un peu plus compliqué que prévu. Je hélais donc son père.

—''Léon – Paul ! Pouvez – vous venir me voir un instant ?!

Il monta au pas de course, et constata le problème. La petite, souillée jusque dans le dos, me donna subitement l’impression que jamais la maladie ne nous laisserait tranquille. Il se dépêcha d’aller chercher son remède contre les diarrhées, je la nettoya a sec faute de temps pour un bain, et nous pûmes partir, avec vingt minutes de retard.

Ce fut gênant car madame Fleuret exprima quelque peu son agacement lors de notre arrivée, surtout que tout le monde nous attendait pour commencer a manger, dans la maison où rien n’avait changé depuis la dernière fois. Si ce n’est les enfants d’Auguste, qui avaient énormément grandi, surtout Marie – Léonie, qui avait eu quatre ans le mois d’avant. Sa grand – mère et ses tantes avaient l’air de bien prendre soin d’elle, ce qui me rassura . Nous mangeâmes un bœuf bourguignon et une tarte normande en dessert, repas assez vite avalé puisque la soirée se prolongea en discussions interminables. Alice avait retrouvé sa petite – cousine Marie – Léonie, et avec Louise – Marie qui ne les lâcha pas d’une semelle, les fillettes passèrent la soirée a jouer avec les enfants des sœurs de sa défunte mère.

Léon – Paul bu et fuma de façon conséquente et j’eus peur de le laisser reprendre la route. Nous rentrâmes heureusement sains et sauf, pour retrouver Jeanne et bébé Frédéric, qui dormait à poings fermés. Vers le vingt – deux décembre, je laissais Alice expliquer les principes et l’histoire de la naissance de Jésus à sa sœur cadette, et lui montrer où cacher le petit personnage d’argile en attendant le vingt – cinq décembre à minuit. Elle paru très fière d’avoir accompli son rôle de sœur aînée auprès de Louise – Marie. Elles reçurent chacune une belle orange, car elles avaient été sages durant l’année écoulée. Pour le nouvel an, nous fîmes à l’initiative de Léon – Paul une prière collective, tous agenouillés devant la crèche de Noël avec Frédéric, âgé de vingt mois et même notre fidèle Jeanne, pour espérer la protection et la bénédiction de la Sainte – Vierge. Malheureusement, Marie reçu une lettre quelques jours après la nouvelle année, et s’exclama les yeux écarquillés en s’approchant de moi.

—''Doux Joseph… Zoée est décédée.’’

La petite fille de presque cinq ans, apparemment en colère, leva les yeux au ciel.

—''Tu es sourde ou quoi Marie ? On a prié pour toi, et tu fais mourir ma tante !’’

—''Chut chut chut Alice, calme – toi ma fille. Elle est morte bien avant notre vœux. Ne t’énerve plus jamais contre la figure sainte, tu pourrais avoir des malheurs. C’est clair ?’’

—''Oui maman…’’

La pauvre jeune femme, mariée depuis seulement un an, avait succombé le vingt – deux décembre dernier, quatre jours après avoir mis au monde une petite fille qui n’avait pas survécu non plus. Ma belle – fille n’osa pas demander à son époux la permission de prendre une voiture pour se rendre jusqu’à son village natal, car elle avait peur d’une réponse négative. Louise – Marie commença a être propre durant la journée au mois de mars, mais le problème, c’était la fréquence de ses diarrhées qui rendaient cet apprentissage très compliqué pour la nuit. La première et dernière fois où sa mère tenta, elle dû aider Jeanne à frotter les draps et la robe souillés pendant une matinée entière. On avait pas de solution. Léon – Paul nous affirma que ces maux de ventre passeraient en grandissant, et j’espérais car je me voyais mal continuer à la langer à cinq, six ans.

Jeanne, notre bonne toujours aussi discrète qu’efficace, vint un jour voir mon fils alors que je lui montrais une illustration remarquable, assis au petit secrétaire de sa chambre.

—''Monsieur…

Il retira ses lunettes, l’air surpris.

—''Oh, Jeanne. J’entends si rarement le son de votre voix que cela me paraît toujours singulier. Que désirez – vous ?

—''J’aimerais vous demander… Serait – il possible de m’accorder tantôt une journée de congé ? J’aimerais…

—''Vous aimeriez, vous aimeriez, mais moi j’aimerais que vous cessiez d’utiliser ce verbe capricieux et enfantin. Vous êtes a notre service Jeanne, comprenez – le, payée, mais a notre service. Je vous écoute.

—''Ce serait pour aller voir mon fils…

—''D’accord, d’accord. Bon, écoutez, demain a priori ce serait possible. Il me regarda. Nous n’avons rien de prévu de particulier de toute façon ?

Je hochais la tête, sans trouver quoi que ce soit pour le contredire.

Elle se mis a sourire et quitta la chambre l’air particulièrement satisfaite. Le soir venu cependant, autour du souper, aux détours d’une conversation Marie s’adressa à notre bonne.

—''En parlant de ça. Demain, il faudra que vous alliez chercher le ramoneur en ville, pour nos cheminées qui s’encrassent et dont personne ne prête attention, que vous me fassiez quelques courses au marché, du pain, un gros sac de sel, et des légumes pour toute la semaine, je vous l’écrirais. Il vous faudra aussi sans doute garder les petits, si nous allons avec Louise voir pour l’inscription de Alice.’’

Jeanne fixa Léon – Paul, l’air étonné. Elle ne comprenait visiblement pas.

—''C’est que, répondit – il, j’ai accordé une journée de repos à Jeanne demain.’’

—''Ah non. Ne me fais pas ça je t’en prie. J’ai absolument besoin d’elle et tu le sais. Tu le sais Léon – Paul et tu l’as fait exprès ! Tu t’en fiches, si je galère avec les trois, puisque quand tu rentres, il sont déjà peignés, lavés et nourris ! Et tu voudrais un autre enfant? Non mais continue de rêver mon pauvre ami, car c’est inenvisageable !’’

Elle ne quitta pas la table, mais se rassit en ayant l’air de réaliser sa crise de nerf. Notre bonne dû user de son expérience pour prendre sur elle et ravaler cette fausse promesse mais pire que ça, le soir, tout recommença entre Léon – Paul et Marie. Les cris, les coups, les sanglots. Les pauvres enfants coincés dans ces conflits comme entre deux tranches de pain vinrent se réfugier à mes côtés, ne parvenant pas a trouver le sommeil.

Ce qui me frappait chaque matin où la veille au soir avait été tumultueuse, c’était le calme olympien qui régnait toujours dans la maison. Un silence presque angoissant.

Au dimanche vingt – cinq mars, l’instauration du ‘’ code civil ‘’ en début de semaine faisait la première page de toutes les gazettes du royaume. Rédigée par quatre hommes influents, elle comprenait notamment le divorce et le mariage civil obligatoire. Ce que nous avions pourtant obtenu une quinzaine d’années auparavant, avec la révolution. C’est ce qui m’intrigua. Mon fils m’expliqua ainsi que rien n’avait changé depuis 1792, si ce n’est que tout avait été inscrit dans un gros livre rouge. Comme surprise, nous lûmes que le droit d’aînesse n’existait plus. Pour nous, ça ne changeait pas grand-chose, car l’aîné était une fille, mais pour d’autres, il allait falloir remettre en question leur politique de natalité. En effet si chaque enfant de la fratrie pouvait à présent revendiquer une partie du patrimoine du père, en avoir trop remettrait en question la part d’héritage de chacun.

Et puis les beaux jours revinrent avec le groupement d’anniversaires annuel en avril. Alice souffla sa cinquième bougie le premier du mois, Louise – Marie sa troisième le quatre, et Frédéric eu ses deux ans dix - sept jours plus tard, le vingt et un. Ce n’était pas un petit garçon souriant et bavard, car nous n’avions encore entendu aucun mot de sa bouche encore édenté. Il commençait à avoir des cheveux en nombre, encore très fins, de couleur châtains-roux, et ses yeux bleus me transperçaient toujours autant, d’ailleurs, chaque personne qui le croisait pour la première fois, à l’église ou en promenade faisait cette remarque.

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