L'impossible pardon

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Prenez garde aux récits des musiciens et des poètes, ce qu'ils vous content ne révèle souvent qu'une vérité partielle ou déformée. Un récit peut avoir différents visages, différentes voix, différentes perceptions en fonction de la personne qui le raconte. Les rapports de guerre ne sont pas les mêmes en fonction de qui les établit entre les vainqueurs et les vaincus.

La prière martiale avait été édictée dans un ambiance mystique et fervente. La chamane avait rassemblé les stratèges sur la plage de galets en contrebas de la falaise pour accomplir le rituel. Elle avait amassé les pierres sacrées et mis le feu au totem du clan, diffusant ainsi une fumée noire qui éveillait les sens. Puis les voix gutturales et les percussions lourdes et régulières invoquèrent les esprits pour encourager les guerriers dans leur combat.

Le lendemain, Jera, première générale de la tribu des Magnai, avait rassemblé son armée sur le champ de bataille. L'esprit féroce de ses berserkir transpirait, les cris de guerres rugissaient. L'union des épées et des boucliers à ses côtés démontrait toute la puissance des troupes du clan, et Jera avait décrété que les dieux étaient de leur côté en ce jour particulier.

Puis elle donna la charge d'un son de corne. Jera avait senti la rage dans le coeur de ses guerriers, et vu la peur inonder le regard de l'ennemi à mesure que le terrain vrombissait et que le ciel s'assombrissait. Les hâches volèrent en un ballet puissant et macabre, les boucliers furent brisés comme le destin de leurs malheureux porteurs.

Des heures durant, les guerriers s'étaient encastrés en travers des lignes ennemies, piétinés, rués de coups. Des heures durant, il s'étaient brisés le crâne à coups de marteau, tranchés le cou, transpercés de flèches, dans un fracas assourdissant et des cris accablants.  Des heures durant, le sang des plus valeureux avaient engorgé la terre rocheuse et sombre.

Berkano, un des berserkir Magnai, et ses sbires ne parvenaient pas à perçer les défenses que Todogen, le chef de guerre Korchi, avaient mises en place. Il fallait faire diversion. Après tant d'efforts, l'ennemi ne pourrait tenir efficacement sur deux fronts. Berkano envoya donc Gebo, son frère d'armes, encercler Todogen par l'est pour l'affaiblir.

La manoeuvre avait fini par payer malgré le sacrifice offert. Berkano avait pu approcher de près le chef de guerre Korchi et abattre lourdement sa hâche par deux fois sur sa nuque, avant de brandir son casque au dessus de la mêlée. Gébo, le visage ruisselant de sang, en finit avec un archer avant de se tourner vers son ami glorieux, puis leva son glaive en hurlant la fin de la bataille. Berkano, dans un geste aussi victorieux que dédaigneux, porta le casque du redouté chef de guerre à ses hommes, forcés de s'incliner. 

Puis vint l'heure de rassembler les morts et de soigner les blessés. Jera marchait parmi des cadavres aux yeux vitreux. Ses ennemis, vaincus. Mais également des membres de son clan. Des jeunes hommes et femmes qui lui avaient prêté allégeance et pour qui elle était source d'inspiration. Des vieux guerriers affirmés, mais las de leur existence et qui préféraient mourir au combat à ses côtés plutôt que dans leur lit. Elle leur fermait les yeux en priant ou leur remettaient leur arme au poing qu'elle rabattait sur leur poitrine. Ils répondraient alors dignement à l'appel d'Odin quand l'heure viendrait pour eux de livrer leur ultime combat.

"RELEVE-TOI".

Jera préféra ignorer cette voix qu'aucun mort autour d'elle n'aurait pû prendre. 

"RELEVE-TOI. REGARDE".

Cette fois, elle ne put ignorer l'avertissement. En levant les yeux devant elle, la première générale se leva et marcha lentement vers un soldat Korchi qui rampait misérablement à terre.

"Tu rampes vers la mauvaise direction, Korchi. Tes terres sont là-bas, derrière ces rochers."

"TUE-LE OU SAUVE-LE. LAISSE-LE SE VIDER DE SON SANG SUR CES PIERRES TRANCHANTES OU ACHEVE-LE".

"Ici vivaient mes ancêtres Magnai, et tu n'iras pas plus loin."

Jera prit une grande inspiration avant d'enfoncer sa lance dans le dos du guerrier Korchi et tourna la lame d'un quart de tour, laissant son ennemi mourir dans un cri étouffé.

"TUE-LE OU SAUVE-LE. LAISSE-LE MOURIR OU ACHEVE-LE." La voix inconnue ne pouvait plus se taire. Etait-ce son moi intérieur qui lui parlait, était-ce les esprits de la guerre qui avait pénétré son esprit ? La voix ne cessait de répéter ces mots, forçant Jera à s'agenouiller au sol, en se couvrant les oreilles."TUE-LE OU SAUVE-LE. LAISSE-LE MOURIR OU ACHEVE-LE." Ce n'était plus des mots, mais des  ordres vociférés, aboyés, Jera ne pouvait plus bouger, sa tête s'enflammait alors qu'elle hurlait, dans l'incapacité totale de se défendre.

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