K.O.
de
dbanville

J’écris comme on balance une boîte de cassoulet dans une casserole trop chaude.
Sans précaution. Sans conviction. Juste parce qu’il faut bien bouffer.
Juste parce que si je le fais pas, j’vais m’retrouver à errer comme un clebs sous la flotte, la queue basse et l’estomac vide.
Si faut remplir le ventre, faut surtout remplir l’esprit, faut lui donner à bouffer, à lui aussi. Sinon il s’effondre. Il devient un putain de terrain vague où plus rien ne pousse mais où trop de monde passe. La colère, l’angoisse, la solitude, l’envie d’pleurer aussi timidement qu’un ado comprend qu’il ne jouera plus à Fortnite. Et moi, je veux pas finir comme ça. Pas encore. Moi j'veux jouer.
Alors j’mets les doigts sur le clavier et je frappe.
Pas parce que j’y crois, non.
Parce que j’ai pas d’autre choix.
Parce qu’il faut bien qu’on entende ce que j’ai à dire, même si la seule personne qui m'écoute est une page blanche.
J’envoie des textes. Partout.
À des maisons d’édition qui m’lisent comme on feuillette un flyer trouvé dans l'métro.
D’un œil distrait, entre deux gorgées de café tiède, avant de le foutre à la poubelle.
Y en a pas un pour me répondre. Pas un seul.
Juste le silence.
Le même silence qu’on trouve après un K.O. sur le ring.
Quand le type est à terre et qu’il sait déjà qu’il se relèvera pas.
Mais j’suis encore debout.
La tronche en ferraille, mais debout.
Parce qu’il y a toujours ce petit espoir con, cette idée qu’un mot, un seul, pourrait changer la donne.
Un bon coup, bien placé.
Suffirait d’un mot, d’un uppercut au menton.
Un mot qui les forcerait à relever la tête, à se dire :
"Celui-là, faut l’imprimer. Celui-là, il a des gants dans la plume."
Mais faut pas trop compter dessus non plus.
Parce que je suis pas un boxeur de talent.
Moi, j’frappe à l’aveugle.
Comme un mendiant qui balance des bouteilles à la mer dans sa salle de bains.
Mais tant que la cloche a pas sonné, j’continue.
J’frappe.
Je cogne.
On verra bien.
Peut-être qu’un jour, quelqu’un ouvrira une de mes lettres et verra pas juste un tas de maux, mais un truc qui charme ou qui saigne. Peut-être qu’un jour, y aura une réponse. Un contrat.
Une couverture avec mon nom dessus.
Ou peut-être que j’aurai la chance de crever dans mon coin, inconnu, avec autant de pages froissées que d’espoirs déçus. Et là, j’pourrai m’dire :
"Putain, on a évité l’pire. Tu te rends compte si t’avais réussi ? Si tes mots puaient la confiture Bonne Maman ?"
Enfin, j’crois qu’j’me dirais plutôt :
"Quelle bande de cons ! Et dire que j’aurais pu m’acheter des amis."
Tu sais, ceux qui sont là que pour le miel,
parce que tant qu’t’as du vinaigre à offrir, y a pas grand monde pour s’attabler.
C’est comme les déménagements :
Si t’as pas de piscine, un bon barbecue et que ça se passe pas du côté d’la Méditerranée,
y a beaucoup moins d’engagés volontaires.
Voire pas un seul, parfois même.
Alors j’bois un coup et j’remets mes gants.
La page est encore blanche.
Et tant que la bouteille est pas vide, y a pas d’raison d’s’arrêter.
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