Chapitre 3

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Milia se réveilla au petit matin alors qu’un fin filet de lumière s'immisçait par les rideaux poisseux de la fenêtre. Allongée dans les bras d’Erwan, elle se sentait bien. Elle se sentait en sécurité dans la chaleur de son corps et n’en serait jamais sortie si elle le pouvait.

Elle se faufila pourtant en dehors du lit qui grinça à chacun de ses mouvements. Erwan grogna avant de se retourner. Il se mit même à ronfler faisant sourire la jeune femme jusqu’aux joues.

Elle remit sa chemise de lin, son pantalon, ses bottes et n’oublia pas son bandeau qu’elle passa au-dessus de sa tête. Elle sortit de la chambre à pas de loup. Son compagnon dormait comme un loire et elle comptait bien le laisser se reposer alors qu’elle n’avait plus sommeil.

L’air était humide dans les couloirs de l’auberge. Les fenêtres ne fermaient plus comme à la construction du bâtiment et plusieurs carreaux n’avaient jamais été réparés après que des briques soient passées par là. Milia frissonna, et porta ses mains sur ses bras pour se réchauffer, se refusant de retourner chercher une veste.

Dans la grande salle, seule une poignée d’hommes était installée. Assis près de la cheminée, ils profitaient de la chaleur qu’émettait le feu déjà ardent. La saison des pluies arrivait à sa fin et les beaux jours n’allaient pas tarder à montrer le bout de leur nez, pour autant, les matins restaient bien frais.

Milia leur fit un signe de la main qu’ils lui rendirent d’un mouvement de tête. Elle ne les connaissait pas vraiment. Ils naviguaient tous ensemble, or elle passait beaucoup plus de temps en l’air, profitant de la vue postée en haut des mâts, que sur le pont du navire. Les seuls qu’elle avait appris à connaître étaient les autres gabiers avec qui elle s'entraînait et les quelques amis proches d’Erwan.

À sa demande, on lui servit un verre de lait de Kelu. Ces étranges chèvres bicolores donnaient un lait naturellement sucré que Milia appréciait. Elle mangea un morceau de pain rassis. Il fallait dire que Bieran n’était pas réputé pour sa gastronomie.

— Il est rare de voir une femme au milieu de pirate, s’adressa à elle l’aubergiste. À mon époque, personne n’en aurait pris une à son bord encore moins une jolie fille.

Milia leva son regard vers lui. La trentaine passée avec une barbe bien garnie, des marques de strangulations étaient toujours visibles autour de son cou. Ses yeux perçant ne laissèrent aucun doute à la jeune femme.

— Tu as encore l’âge d’être en mer alors où sont tes frères ? lui demanda-t-elle sans faire attention à sa remarque.

— Pendus pour la plupart, au fond de l’eau pour les autres.

La pendaison était la peine la plus répandue pour les pirates quel que soit le royaume. Ils ne faisaient rien d'autre que voler, pourtant si les voleurs étaient envoyés dans des camps, des champs ou des mines, forcés au travail, les pirates, eux, étaient pendus.

Erwan ne lui avait jamais caché ce qu’elle risquait en venant avec lui à bord de l’Aiguille. Malgré les dangers, elle n’avait pas hésité une seule seconde pour le suivre.

Son déjeuner fini et les mains pleines d’un verre de lait et d’un biscuit, elle remonta les escaliers pour aller réveiller son compagnon. Elle était tout juste arrivée dans le couloir quand elle fut arrêtée par deux de ses frères de la côte qui lui bloquaient le passage.

— Dites donc vous n’y êtes pas allés de main morte cette nuit, tout l’étage vous a entendus, lui fit remarquer Alban, un grand brun tout en muscle.

— C’est plutôt dommage qu’Erwan soit le seul à en profiter, enchaîna Meri en passant derrière elle, lui empêchant tout repli.

— Si vous avez besoin de compagnie, vous n'avez qu’à vous payer une Siresse. Maintenant dégagez de là.

—Allez Milia, depuis le temps que tu navigues avec nous, tu vas quand même pas refuser.

Il lui effleura le bras avec un sourire de prédateur sur le visage. Meri ne comptait pas la laisser partir si facilement.

En cinq ans, elle avait déjà eu le droit à des gestes et des mots déplacés, cependant jamais personne n’avait osé aller autant au contact avec elle. Erwan était toujours dans les parages pour décourager les plus envieux. À ce moment précis, elle était toute seule et ils le savaient très bien.

Ils n’avaient donc aucune raison de se retenir. Meri posa sa main sur les fesses de la pirate, un sourire malsain sur le visage. Milia n’en revenait pas, une sombre colère était en train de monter en elle. Elle leva son index, lui intimant d’attendre quelques secondes afin qu’elle puisse déposer ce qui lui encombrait les mains. Libérée du petit déjeuner, elle revint vers le pirate. Elle le regarda droit dans les yeux avant de le gifler. Sa joue tourna immédiatement au rouge alors que la trace de ses doigts se formait sur sa peau. Avant qu’il ne puisse réagir, elle arracha la petite dague qu’Alban portait à sa ceinture et posa sa pointe contre la gorge de Meri.

— Je te conseille de ne plus jamais faire ça. La prochaine fois, je n’hésiterai pas à te laisser une cicatrice, est-ce clair ?

Meri était rouge de honte de s’être fait avoir si facilement par Milia. Son honneur de pirate en avait pris un coup tandis qu’Alban attendait sans rien faire. Contrairement à son ami, il savait que Milia était au-dessus et qu’il valait mieux ne pas trop la chercher.

— Vous avez fini ! gronda une voix derrière eux.

Virens venait de sortir de sa chambre. La chemise grande ouverte, ses muscles saillants semblaient forgés dans la pierre. Ses bras tatoués de noirs et sa boucle d’oreille lui donnaient un air de mauvais garçon.

— Ce n’est pas parce que tu es une femme que les ordres ne s’applique pas à toi. Aucune bagarre n’est acceptée entre les membres de l’équipage. Maintenant, barrez-vous de là.

Il ne laissa place à aucune contestation. Il fallait dire que Virens était imposant, personne ne souhaitait s’opposer à lui, et tous savaient de quoi il était capable au combat.

En tant que maître d’équipage, Virens avait pour rôle d’abord de veiller sur chacun d’entre eux, ensuite de faire régner la discipline et l’ordre, en mer comme sur terre.

Tous bégayèrent quelques excuses. Meri et Alban sortirent de l’auberge sans rien ajouter de plus tandis que Milia se baissait pour récupérer le verre de lait. Elle laissa le biscuit dont les mites n’avaient pas attendu pour s’en faire un casse-croûte.

—Quand je dis que tu n’es rien d’autre qu’un problème.

Sans rien ajouter de plus et sans même lui accorder un regard, il descendit dans la salle principale laissant Milia seule en haut des escaliers.

Elle resta un moment à le regarder. Virens était un homme qu’elle respectait énormément. Le chasse-partie entre le capitaine et l’équipage qu’il menait était pour le maître d’équipage une véritable ligne de conduite. Il ne s’en éloignait jamais et le faisait respecter à tout moment.

Elle finit par remonter dans sa chambre où elle trouva Erwan assis sur le lit encore à moitié endormi. Elle s’assit à côté de lui posant ses yeux bleu-gris sur son corps fin et élancé. Elle aurait aimé embrasser chaque parcelle de son torse mis à nu. Elle voulait poser ses lèvres sur les quelques cicatrices de combats qui barraient ses côtes ou ses pectoraux et qu’il détestait tant. Elle se contenta de suivre les lignes de ses blessures d'antan du bout des ongles.

Elle joua de ses doigts avec la chaîne de son collier avant de s’attarder sur la petite boussole qui lui servait de pendentif.

— Tu m’as jamais dit pourquoi tu gardais cette relique en permanence. Elle ne marche même plus.

— Cette relique, comme tu l’appelles, est un vrai trésor. Ou plutôt la carte qui y mène.

— Et comment elle est censée t’y amener? s’amusa-t-elle en la retournant dans ses mains. Elle indique rien du tout et encore moins un trésor. Je crois surtout que tu t’es fait avoir en la prenant.

— C’est ma mère qui me l’a donnée, la dernière fois que je l’ai vue, se contenta-t-il de répondre d’un air maussade.

Le sourire sur le visage de Milia s’éteignit aussi vite qu’il était apparu. Elle s’en voulait d’avoir ri. Elle savait que parler de sa mère était un sujet tabou. Comme ses parents, la mère d’Erwan était décédée. Des années plus tard, après le décès des siens, le Lamor était apparu et l’avait emportée. Cette maladie survenue huit ans auparavant avait touché tout le continent sans aucune exception.

Personne ne savait d’où elle était arrivée. La seule chose à peu près sûre est qu’elle n’avait pas traversé les océans comme si l’air marin avait formé une barrière mettant en exil tout le continent de l’Orloin. Elle l’avait fermé au reste du monde. Même à présent que plus aucun cas n’était détecté les marchands d’Egrevin, le second plus grand continent du monde, n’approchaient plus des terres d’Orloin.

Ce mal avait emporté avec lui de nombreuses personnes et avait fait de beaucoup d’enfants des orphelins sans plus personne pour veiller sur eux. Il avait été un fléau sans nom qui avait disparu aussi mystérieusement qu’il était apparu.

— Tu veux me parler d’elle ? lui demanda-t-elle, posant sa tête contre son épaule.

Il sourit gentiment, l’embrassa sur le front et se releva en lui tendant la main.

— Tu viens ? répondit-il simplement.

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