XV

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Quand Séverine était arrivée ce lundi matin, Viviane était en pleurs.

— Qu’est-ce qu’il y a ? entendit-elle Louise demander.

— Ils m’ont encore réprimandée sur mon hyperactivité ce week-end, avait-elle balbutié. Personne ne fait 14 km pour aller acheter du pain !

Les mots s’étaient figés sur ses lèvres. Elle n’avait pu que hocher la tête, compatissante.

Séverine avait arrêté les dépenses physiques superflues depuis cette semaine. Le docteur Di Milano l’avait félicitée, cela devait être dur.

Lorsqu’elle lui avait demandé d’exprimer ses difficultés, Séverine lui avait confié qu’outre le fait de devoir manger sans avoir faim, il lui était impossible d’accepter mentalement la reprise de poids. Elle a peur de regretter après coup. Que ça n’ait pas été assez. Il suffisait d’un coup d’œil, l’envie lui coupait le souffle. La quête d’un idéal, cette idée d’un point, d’un poids où tout serait merveilleux. Le bonheur absolu. C’est ça qu’il faut qu’elle déconstruise. C’est le cœur du problème.

— Ce ne sera jamais assez, avait déclaré le médecin. Même avec un IMC plus faible, ce ne sera jamais assez. Vous ne serez jamais satisfaite. Vous êtes en situation de dénutrition extrême, une voiture qui roule sur la réserve.

— C’est ce que j’essaie de me dire rationnellement.

— Vous n’avez pas besoin d’utiliser votre corps pour exprimer votre souffrance, pour mériter d’être aidée. Même à un poids normal, vous aurez toujours le droit d’être accompagnée. Vous êtes légitime. Votre corps n’a rien fait de mal.

Quand Séverine avait évoqué sa crainte de ne pas réussir à tenir ses objectifs dans le temps imparti, le docteur Di Milano avait semblé lui faire confiance. Elles reparleraient ensemble de la suite le moment venu. Tout pouvait s’imaginer, elles trouveraient ensemble la solution la plus adéquate.

— Tout ne sera pas résolu en quelques semaines, mais nous verrons alors, avait-elle conclu. Un pas après l’autre. Demain est un autre jour.


Quand elle paniquait, Viviane achetait des salades. Ce à quoi l’on se raccroche quand tout autour s’agite et se brouille, l’ancre sur laquelle on peut compter. Séverine se rappelle les pleurs de la jeune femme lorsqu’elle leur avait confié cela dans la petite salle, comme si elle réalisait soudain la misère de sa vie. Elle embarquait ses enfants au supermarché dès la sortie de l’école et les obligeait à faire des détours ; Viviane était tellement active qu’elle ne supportait pas de s’arrêter si l’un de ses enfants tombait. Il fallait vite se relever, non ce n’est rien, avancer, marcher, toujours marcher.

Changer des habitudes était dur. L’objectif de la semaine fixé par la diététicienne était la diversification des desserts, en autonomie chez elle. Il fallait dire que Séverine s'était découvert une passion pour les pommes. Chantecler, Rubinette, Braeburn, elle connaissait toutes leurs variétés. Sa préférence allait aux Chantecler. Crues, cuites ou en compote avec des pruneaux, elles étaient devenues son unique dessert. Sa récompense. Son temps pour elle.

Séverine ne parvenait pas à faire taire l’appréhension stupide teintée d’envie qui se manifestait à la pensée d’acheter des crèmes desserts. Elle s’en était ouverte à Bastien. L’idée était tenace, son corps en éclaterait.

— J’ai l’impression que ça me ferait prendre trop de poids.

— Il vous faut du temps pour le dire ! avait clamé Bastien. Vous avez peur de prendre du poids, vous ne voulez pas.

— C’est ça. Mais du coup je me sens coupable, je m’en veux de ressentir ça car je suis ici, c’est contradictoire.

— C’est normal. C’est pour cela que vous êtes ici. C’est pour ça que c’est une maladie grave. Comme un cancer.

— Je trouve que ce n’est pas pareil, avait-elle objecté. Un cancer c’est médical…

— Mais ici aussi, c’est médical. Vous êtes à l’hôpital, non ?

Séverine s’était tue. L’infirmier lui avait expliqué que c’était pareil. Pour parler vulgairement, le cancer du foie il y a une case du foie qui déconne, l’anorexie c’est une partie du cerveau qui déconne. Ici on décide de soigner cette maladie. Quoique un peu rassurée, il ne l’avait pas convaincue. Elle n’avait pu s’empêcher de quitter l’entretien avec un sentiment d’imposture.

La psychologue animait un groupe d’écriture. Séverine mâchait son style. Séverine respirait. Elle promena son regard sur les filles, qui écrivaient en s’appliquant. À la fin de la séance, Viviane lui a posé la main sur l’épaule et a dit qu’elle était calme et que ça l’apaisait, ça lui faisait du bien.

Elles goûtèrent à un gâteau cookie préparé par Reine et Manon. Ce goûter maison fut apprécié, il changeait des plateaux, quoique corrects, de l’hôpital. Il était vrai que la situation les avantageait, car elles ne perdaient rien au change – une pâtisserie équivalait à un complément. Après qu’elles eurent fini, Bastien s’était approché du chariot.

— Il reste une part si vous voulez !

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