Chapitre IX
Malgré la civilisation disparue de ce petit havre de paix, la fontaine continue de s’écouler. Une mélodie constante, qui couvre tous les bruits des alentours. Un véritable merdier, même si j’admet que son diablotin cracheur d’eau est élégant.
J’ai d’abord fouillé le tabac, et trouvé par chance caché sous un plancher plusieurs boites de cigarette. La marque, je m’en branle, il me faut juste tirer un coup sur quelque chose. Laetitia m’a attendu à l’extérieur, pour qu’ensemble, nous allions visiter l’épicerie.
Petite, poussiéreuse, mais étrangement encore bien rangés. Je ne doute pas que des gens puissent être passé par là : il manque des articles sur quelques étagères. C’est la première fois que je vois un magasin dans un si bon état.
Ça cache quelque chose. Et ça pue fort.
— J’ai trouvé un sac ! s’exclame Laetitia en me l’exposant comme un trophée. Je mets quoi dedans ?
— Réfléchis deux minutes, et tu sauras.
Il faut le faire, pour poser une question aussi stupide. Laetitia ne me répond pas, et se contente d’explorer les tréfonds de l’épicerie. Je l’entends remuer ce qui s’apparente à des boites en métal ; surement des conserves.
De mon côté, je récupère de l’eau que je verse dans ma gourde ; des conserves de légumes, de pois chiches et de lentilles ; des bandages (ça peut toujours servir). Je prends même un nouveau crayon ; le mien est si petit que je ne peux plus le tailler pour écrire correctement.
L’épicerie est définitivement trop fournie.
— Quand tu es passée proche d’ici, il y avait des monstres ? je questionne Laetitia, malgré la certitude de la réponse.
— Je n’en avais pas croisé, (me lance-t-elle après m’avoir rejoint. Son sac est trop chargée pour qu’elle puisse le porter à un bras.) Je me souviens que ça hurlait beaucoup les nuits.
— On a pas croisé de monstre depuis hier.
Quelque chose cloche. Si des monstres trainaient habituellement autour du village, où étaient-ils ? Cela n’avait pas de sens. À moins que…
— Bonj…
Une voix inconnue. Ma main attrape mon arme, la pointe sur l’homme qui vient d’entrer dans l’épicerie. Il est face à moi, environ cinq ou six mètres. Sous ma réaction, il a attrapé un pistolet pour le pointer en ma direction.
Laetitia sursaute face à la situation. Elle lâche son sac, recule de trois pas.
— Chéri, que ce passe-t-il ?
Une deuxième personne arrive. Une femme. Elle me remarque, moi et mon arme chargée, et se fige, la bouche entrouverte. Je perçois trois ou quatre formes plus ou moins grandes.
Des enfants ? Nan mais sérieusement…
— Ce n’est rien, mon amour. Je viens juste de…
— Rentrer sans permission, je le coupe. Partez, sinon je vous flingue.
— Sasha ! se plaint Laetitia.
Bordel, et si elle s’y met elle aussi. Je sens ses mains dans mon dos qui essaye de me persuader de baisser mon arme.
— Nous ne voulons aucun mal, déclare l’homme. Il n’y a aucune raison de faire couler le sang.
— Pour la survie, j’hésiterais pas, je lui crache.
— Ils ne veulent pas nous blesser Sasha, baisse ton arme, me murmure Laetitia.
—C’est la vérité, écoute ton amie, continue l’homme en abaissant un peu son pistolet.
Pour ma part, je ne baisse pas le fusil. Il reste bien droit, pointé sur le crâne de cet adversaire venu piller cette épicerie. Tout comme moi.
— Maman j’ai peur, se lamente un gamin derrière la femme, le visage rouge de larme.
— Tout va bien se passer… essaye-t-elle de le rassurer alors que son père est menacé.
— S’il te plait Sasha…
J’ai arrêté d’écouter. Mes oreilles ne se concentrent que sur ce qui se passe derrière moi. J’ai remarqué la porte en entrant, bizarrement fermé, un cadenas toujours accroché à la poignée. C’était silencieux de l’autre côté, mais maintenant, je crois que quelque chose s’est réveillé. Pas n’importe quoi j’en ai bien peur.
— Il y en a un pas loin.
Ma phrase est suivie par le silence de tous. Je sens les doigts de Laetitia se crisper dans mon dos ; ses yeux sont posés sur moi, implorant que ce soit une blague. Dommage que ce ne soit pas ça.
L’homme parait confus, sa famille encore plus.
— Il n’y a plus aucun monstre ici, me dit-il.
— Comment vous pouvez en être si sûr ? je demande sans le quitter des yeux.
— Nous venons du nord, ma femme, mes enfants et moi. Nous les avons vu un soir. Une quinzaine au moins ! Il courrait tous furieux vers le sud. Il y a un camp militaire là-bas, et l’armée a dû utiliser quelque chose pour les attirer.
— Des ultrasons. Ils sont sensibles au son, particulièrement à ce qu’on ne peut pas entendre. Mais il en reste.
L’homme ne comprends pas. Je lève les yeux au ciel ; voilà pourquoi je déteste les interactions. Les gens sont stupides.
— Écarte-toi de moi, j’ordonne à Laetitia qui s’accroche à moi.
Au vu du ton que j’ai pris, elle n’ose pas contester. Elle recule sur le côté, disparait dans un rayon du point de vue des inconnus.
— Il ne doit plus en avoir un seul dans ce village, je vous promet, souffle l’homme.
— Et moi je vous promets qu’il en reste. Au moins un. Non-loin de nous.
Je suppose que j’ai réussis à leur foutre la pression, à tous. L’homme tient fermement son pistolet, regarde autour de lui.
— Je sais ou il est, je prononce.
Je recule pour atteindre la porte derrière moi. Mon dos la cogne. Je peux distinguer une respiration saccadée et forte de l’autre côté. Un grognement retentit, frappe mon crâne comme une baguette sur un tambour. Il n’a pas l’air très amicale.
— On l’a réveillé. On va le flinguer.
Je n’aime pas à avoir à faire équipe avec quiconque. Compte tenu de la situation, on va dire que je n’ai pas le choix. Même si la bête sort, je n’aurai pas le temps pour m’enfuir. Tout dépendra de la réactivité de ses pleutres, à vrai dire.
Ma main recherche quelque chose qui pourrait s’apparenter au toucher à une poignée de porte. La seule chose que je trouve ne permet pas l’ouverture de cette fichue porte ; aussi j’entends le monstre grogner derrière, plus furieux que jamais. Je n’ai pas le temps de penser, que je saute sur le côté pour éviter un coup de griffure dans l’abdomen. Bordel, ça a traversé l’acier…
La panique les gagne tous. Laetitia est tétanisée à la vue de ses doigts acérée qui lacère le métal. Faudrait qu’elle commence dès maintenant à guérir, sinon elle va y passer dans quelque instant. La famille se réfugie dans les rayons. Pas sûr que leur discrétion soit au point : l’un des gamins pleurniche trop fort.
Un fracas. Un cri strident à déchirer les tympans. Le monstre est sorti, plus dégueu que jamais. Sa peau est tellement laiteuse qu’elle peut aveugler un aveugle. La seule chose qui déteint de ce blanc, c’est le rouge séché autour de ses lèvres. Il se démarque un peu des autres, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Il a l’air d’être enfermé depuis un moment, ce qui veut dire une chose : il a faim.
Sa tête vacille pour percevoir les sons. Il ne met pas longtemps à repérer les pleurs du garçon, et la famine le dévorant de l’intérieur, il effectue un saut très surprenant. Il se fracasse la tête au plafond, gémit, et tombe sur les rayons dans une cacophonie.
La situation est en ma faveur. S’il s’attarde sur la famille, il ne remarquera même pas le son de mes pas. C’est le moment. J’attrape le sac que j’ai laissé tomber à terre, et marche jusqu’à la sortie sans quitter le montre des yeux. Il trébuche sur le bordel à terre, n’arrive pas à atteindre les hurlements de terreur des enfants. Le père essaye de lui tirer dessus, mais la maladresse le gagne.
Je ne bouge plus. On vient de m’attraper le bras. C’est dingue comment je ne l’ai pas remarqué s’approcher de moi. Elle m’exaspère.
Laetitia me jette un regard de détresse, partagé avec de l’indignation. Attend, elle croyait vraiment que j’allais me sacrifier pour des vieux et des mômes ? Il semblerait que oui. Elle me tire le bras de toute ses forces pour m’empêcher de sortir. Elle me fixe avec intensité. Ses yeux me rappellent les siens. Ces pupilles bronze qui placent une confiance aveugle en moi, ma force et mon intelligence. Qui laisse émaner la chaleur d’un cœur tendre.
Je me laisse de toute évidence berner par cette garce. J’aimerai lui coller un pain, là, maintenant, me débarrasser d’elle et me barrer au plus vite. Trouver mon havre de paix. Ma solitude. Moi.
Je grogne fort. Je renonce à sortir. Empoigne mon fusil et pointe le monstre enragé. Il venait de creuser un trou parmi les débris, et ses griffes commençaient à agripper une jambe. Elles lacéraient la peau du petit garçon qui hurlait à plein poumon. Le père tentait de trancher le bras du prédateur, en vain.
Une grande inspiration, pour pouvoir ordonner fort et rapidement :
- À TERRE !
L’homme ne m’ignore pas. Encore heureux. Parce que sans hésitation, je tire à bout portant. Un coup de feu des plus sonorisant, qui m’offre de sublimes acouphènes. La balle frappe le crâne du monstre. Elle éclabousse, l’envoi en arrière.
Seulement pour quelques secondes.
Sa tête se relève. Il hurle. Impossible ! Sa cervelle est éclatée, il ne peut pas…
Le prédateur change de cible. Il bondit aussi vite que je n’ai le temps de fuir. J’entraine Laetitia dans ma chute : par réflexe, je le jure. Mon poursuivant se mange la vitrine et laisse des bris de verres partout. Ça ne l’arrête pas pour autant. Il cherche à me dévorer.
Plus le temps de réfléchir. Je sors cette pauvre machette laissée à l’abandon depuis trente-six décembre. Pas le temps non plus de savoir à quel point son tranchant à morflé. Je l’ai chopé, maintenant faut assumer.
Qui de lui ou moi avions été le plus rapide : je n’en sais rien. En revanche, ce que je sais, c’est que la lame de ma machette n’a pas attendu pour traverse l’autre moitié du crâne de cet enflure. Avant que ses griffes ne me plantent. Il gazouille, le sang me gicle le visage. Répugnant.
Bon. La kermesse est terminée. Le monstre s’effondre, salit mes chaussures. Comme si elles n’étaient pas assez pourries… Je remarque à peine que ma respiration est rapide, bientôt je frôle l’arrêt cardiaque. Je crois qu’au fond, mon esprit a craint la prise de risque.
J’aurai réellement dû pousser cette gamine et me barrer aussi vite que pu.
Le père de famille tente de réconforter ses enfants avec la mère. Ils ont les larmes aux yeux. Ils viennent de frôler la mort. Trouillards.
J’aperçois Laetitia se relever, et partir en direction de ce que suppose être une réserve. Je la suis d’instinct, et je l’assure, je ne souhaite pas connaitre la raison. La réserve est autant en bordel que l’épicerie, avec en prime plus de sang que sur une scène de crime. Laetitia s’accroupit proche de reste humain. Ses doigts parcourent le tissu en lambeau du cadavre squelettique.
— Il n’a pas eu la force de finir son ami… murmure-t-elle visiblement peinée.
— On en sait rien, et on s’en fiche, je maugrée. L’importance, c’est d’avoir survécu.
— Je sais…
Elle semble s’attarder sur des notes de papier. Moi, je préfère partir d’ici au plus vite ; ça schlingue, et j’en ai marre de ce village. J’ai eu ma dose d’emmerde pour la journée.
— D’ailleurs, merci pour tout à l’heure.
Ses mots sonnent comme un mauvais glas dans mes oreilles. Quelque chose de sinistre, que je ne souhaitais plus jamais entendre. Ils me hantent l’esprit, me picorent les idées.
Je préfère garder le silence et sortir d’ici.
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