Une journée comme les autres

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Dans un espace et dans un temps différents des nôtres, le jour se lève sur Téleïa. Les lumières d’un soleil magnifique brillent d’abord sur l’océan oriental et sur l’archipel des Circades. La clarté illumine ensuite les côtes du continent qui fourmillent d’activité dès les premières lueurs. L’aube poursuit alors son chemin à travers la contrée, éclairant les steppes et les montagnes du nord ainsi que les plaines fertiles du sud. La lumière touche enfin les toits d’Altéïa, la capitale, qui se réveille dans un vacarme grandissant. Des dizaines de milliers d’habitants sortent de leurs maisons aux toits de chaume pour aller travailler et participer ainsi à la grandeur de leur nation. En périphérie, les tubes souterrains se gorgent de navetteurs. Ils s’en vont gagner leurs lieux de travail et l’argent qui leur permettra de faire fonctionner la glorieuse économie du pays.

Et tandis que tout ce beau monde se met en branle, dans les couloirs du palais – situé sur la deuxième colline en partant de la droite (remarquable à ses colonnes ouvragées et sa porte chryséléphantine qu’on peut difficilement manquer) – le roi Tyriarque consulte les éditions matinales des journaux. En ce jour, les gros titres sont presque tous les mêmes. Ils concernent les attaques des hommes du roi Dragon, qui continuent de semer le chaos dans de nombreuses villes du pays, spécialement dans l’ouest où ils reçoivent de l’aide des pays frontaliers. Le roi parcourt la première page du journal principal, puis passe rapidement les autres pages jusqu’à la septième. Un petit filet s’interroge sur l’absence prolongée du prince qui était encore absent lors de la dernière réception organisée au palais, alors qu’une source non-officielle aurait démenti tout voyage diplomatique le concernant. Le roi revient enfin à la page cinq, pour lire un article qui parle brièvement de la récente insurrection de Bauronos qui s’est déclarée ville-franche avant-hier, sous l'influence du mage noir, Orbarax. Au fil des lectures des autres journaux, la matinée du roi avance doucement.

Tandis que le roi parcourt maintenant son cinquième journal, La Capitale, qui donne généralement un avis plus fouillé sur la politique intérieure, quelqu’un frappe quelques coups secs à la porte. Le vieil homme ne dit rien et les gonds grincent légèrement tandis que l’huis s’ouvre sur un homme à l’allure banale et au regard triste. Il ressemble un peu à un cocker réincarné en homme, qui aurait conservé quelques traits canins de sa vie d’antan : les yeux mouillant, la mine triste et résignée. Le chambellan, puisque c’est de lui dont il s’agit s’avance et attend que le roi finisse la lecture de sa page avant de prendre la parole. Il parle doucement, comme s’il prenait la poussière de lustres en cristal infiniment plus précieux que sa vie.

– Sire, pourquoi perdre autant de temps tous les jours avec ces journaux ? Vous seriez tout aussi vite informé, et bien plus rapidement en regardant les journaux téléscopés.

– Vous savez très bien que je préfère éviter la téléscopie tant que j’en ai la possibilité. J’ai besoin d’information, pas d’émotion. J’aime prendre le temps de lire un texte qu’on a pris le temps d’écrire.

Le chambellan ne répond rien. Un léger silence s’installe tandis que le roi continue sa lecture, oubliant presque la présence du petit bonhomme couvert de dorures. Enfin, celui-ci se permet une légère toux afin de signifier qu’il n’est pas parti. Le roi relève la tête et ses sourcils font de même. Il ne se donne même pas la peine de formuler à voix haute la question que son chambellan attend.

– C’est… au sujet du prince, sire. Les services gouvernementaux me font savoir qu’ils ont épuisé les pistes qu’ils exploraient jusqu’à présent. Ils continuent les contrôles aux frontières ainsi que les arrestations de tous ceux qui sont fichés pour des raisons révolutionnaires, mais nous n’avons pour l’instant aucun résultat. Le seul événement nouveau est le témoignage de paysans qui disent avoir vu son écuyer à quelques dizaines de kilomètres au sud de la dernière position connue du prince. Mais vous savez comment sont les hommes du peuples. Difficile de savoir si le témoignage est fiable ou s’ils ont un peu trop abusé du jus de la treille.

Tyriarque referme son journal et ôte ses lunettes de lecture. Il a l’air fatigué de celui qui dort mal et peu depuis quelques nuits déjà. Sous ses yeux se dessinent des traces sombres qui le vieillissent encore plus que ses cheveux blancs.

– Renforcez la surveillance de l’inter-réseau, Archélas. Et demandez à la garde de Lompares de continuer à fouiller les derniers endroits où le prince Jan a été vu pour la dernière fois. Et que les mages de la cour essaient encore de trianguler sa position à partir de la trace que pourrait laisser son épée. Y a-t-il autre chose dont vous voudriez m’entretenir ?

– Non, sire. Il y a d’autres questions dont nous devrons discuter lors du Conseil, mais rien d’aussi urgent. Je me permets de vous signaler que votre agenda de la semaine a été préparé, si vous voulez bien y jeter un œil et le valider. La grande-salle est déjà en train d’être apprêtée pour le bal de gala de ce soir.

Le chambellan prend congé et Tyriarque reprend brièvement la lecture des nouvelles du jour. Après un court instant, il relève les yeux et repose encore une fois ses lunettes sur la table pour se tourner vers la grande baie vitrée. Le soleil semble immense sur l’horizon, déchirant le ciel aux nuances turquoises de stries oranges et rouges. Le roi finit par pousser un soupir avant de se diriger vers ses appartements.


À quelques centaines de mètres des murs du palais, le marché aux légumes accueille déjà de nombreux clients. Les pavés qui ont été battus par la pluie et le vent cette nuit sont maintenant battus par la foule des Altéïens. Le vacarme commence à être assourdissant. Le quartier est de la ville est connu pour sa population riche en diversité. Il a le charme des quartiers les plus pauvres de la ville sans en avoir l’odeur. Les rues débordent de vie, comme disent les touristes qui justifient comme ils peuvent le fait qu’ils viennent de se faire voler leur portefeuille par un jeune vaurien. Les gens se connaissent tous, unis par des liens de solidarité que l’on retrouve beaucoup moins dans les quartiers Sud, peuplés de villas et de prétentieux, de l’avis de tout le monde ici. Lors du jour du marché, tout le monde descend dans les rues, même ceux qui n’ont rien à acheter. Il s’agit avant tout de rencontrer du monde et de discuter avec les voisins en profitant des premiers rayons du soleil de l’année.

Sur la grand-place, des hommes et des femmes échangent les nouvelles du jour, s’inquiétant sur les attaques qui ont eu lieu à l’ouest du pays cette nuit. Les bonnes gens se rassurent en disant que ce n’est pas le genre de chose qui pourrait arriver à Altéïa.

– La police veille au grain, ici.

– C’est vrai, mais on raconte que la capitale serait la prochaine cible des terroristes à la solde du nécromant. Au J.T. d’hier, y avait un reportage sur les réseaux nécromantiques qui recrutent de plus en plus de jeunes sur l’inter-réseau. Moi, j’comprends pas comment le gouvernement peut laisser une situation comme ça se développer sans réagir. Ils devraient mettre les suspects directement en prison, moi j’dis.

– Quand tu vois que les gosses qui vont en prison ressortent encore pire qu’avant, le mieux ce serait de les garder en cabane du début jusqu’à la fin, avant qu’ils puissent récidiver. Un voleur ou un meurtrier, ça change jamais, de toute façon.

Entre deux conversations comme celle-ci, on entend parfois quelque réflexions sur le temps qui est encore un peu frais pour la saison, ainsi que des questions sur la santé du petit dernier qui a fait une petite grippe il y a pas longtemps. Parfois, le bruit des conversations est couvert par le cri d’un maraîcher qui a décidé de faire la promotion d’un fruit ou d’un légume en particulier, dépêchez-vous avant qu’il y en ait plus, mesdames et messieurs. Aux portes du palais, la vie bat son plein.

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