Chapitre 19

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Le premier défi concocté par la presse et le peuple nous arrive à la fin de mon deuxième mois de grossesse. On doit cuisiner un repas trois services pour notre famille ainsi que pour trois critiques gastronomes, seuls, sans l’aide de personne et sous l’œil des caméras. Le Roi pense que c’est une bonne idée, que ça va montrer la proximité de la famille royale et de la population et redorer mon image écornée par le procès et la mort de mon père. Nous préparons le menu ensemble, devant la caméra, rigolant de la tête des critiques quand ils verront ce qu’on va leur faire.

En entrée, nous allons faire une île flottante sur un lit de crème au saumon et au jambon, dans une assiette séparée en deux façon yin et yang ; en plat principal, une revisite du spaghetti à la sauce bolognaise à la façon dont Therguthe me l’a apprise et en désert, des Rainbow cupcakes avec une fine couche de pâte à sucre. Toute la journée, nous restons dans la cuisine, rigolant et nous jetant dessus de la farine. On met un peu le boxon dans l’impeccable pièce mais on s’amuse assez que pour ne pas trop culpabiliser. De toute façon, je pense à faire le ménage moi-même, les domestiques n’ont pas à ramasser nos bêtises. Les cupcakes sont prêts et décorés par mes soins, la sauce bolognaise mijote doucement dans une grande casserole et nous décidons d’aller mettre la table. Le service est déjà prêt à être mis en place et, à la grande surprise du maître d’hôtel, nous insistons pour tout faire. Il nous observe, nous corrige et nous gronde quand on ne l’écoute pas mais il rit avec nous et nous apprend beaucoup de choses, malgré le fait que nous avons toujours connu des services de table irréprochables.

À dix-huit heures, tout est fini et nous redescendons en cuisine faire un brin de ménage avant de commencer à dresser. Nous allons nous changer et accueillons nos hôtes, un peu perplexes. Après tout, nos familles ne savent pas que nous savons cuisiner et qu’ils ont déjà mangé quelques-uns de nos petits plats. Les critiques ont des mines sévères et un peu effrayantes. Je comprends pourquoi les restaurateurs paniquent toujours un peu quand ils arrivent dans leur établissement. Dans la cuisine, nous finissons les îles flottantes et les faisons monter, le maître d’hôtel nous ayant interdit de le faire. Quand nous arrivons, les assiettes sont servies et les critiques ont un peu perdu de leur sévérité. Nous mangeons en silence et, heureusement pour nous, c’est bon.

Le premier plat terminé, nous redescendons peaufiner le second, ajoutant un peu de parmesan fraichement râpé et une feuille de basilic pour la décoration. Le repas est très calme, contrairement à notre habitude où nous racontons notre journée aux autres. Sans doute présence des caméras et des trois étrangers nous perturbent assez que pour obliger à rester calmes. Mon beau-père nous félicite tout de même pour l’excellence de notre cuisine avec un grand sourire. Mère a reconnu la bolognaise de Therguthe et me taquine doucement à ce sujet.

Le dessert se finit avec des expressions d’émerveillement quand nos hôtes s’aperçoivent que les gâteaux ne sont pas aussi simples qu’ils en ont l’air. Même les deux hommes et la femme laissent tomber leur poker face et nous complimentent dessus. Je vais chercher le café à la fin du repas, dans une atmosphère plus détendue, reprenant nos coutumes. Nous nous installons dans le salon et bavardons tranquillement de nos journées. Les critiques vont faire le compte rendu devant les caméras. Ensuite vient notre tour. Main dans la main, nous rions de nos bêtises en revoyant les images de notre démonstration de couple heureux et nous faisons un plaisir de nous démonter nous-mêmes.

Tard ce soir-là, nous remontons vers notre appartement, le sourire aux lèvres. En repensant à cette journée, je m’étonne que la présence des caméras ne m’ait pas plus dérangée que ça. Je n’étais centrée que sur Daniel, notre cuisine et moi et elles n’existaient plus dans mon esprit. Je suis heureuse et contente de ce que nous avons fait. Je sais que ce n’est qu’un petit pas pour faire changer la mentalité des détracteurs et des haters mais chaque chose que l’on fait ensemble pourrait les produire un recul de leur nombre. Daniel me regarde, un secret dans les yeux. Que me cache-t-il encore ? De la crème fraiche ? Des fraises et du chocolat ? Qu’est-ce que je raconte ? Je dis n’importe quoi à force de rester collée à lui…

Arrivés dans notre chambre, il se place derrière moi et m’enlace. Je me laisse aller et faire. C’est agréable. Dans son étreinte, je comprends qu’il était tendu et que moi aussi. Je me détends et me retourne, lui rendant son câlin. Je monte sur la pointe des pieds et pose mes lèvres sur les siennes. Je sens son sourire s’étirer dans notre baiser. Quelle surprise prépare-t-il ? S’il me sort une blague de papa, il s’en ramassera une si elle n’est vraiment pas drôle ; si elle l’est un minimum, il n’aura qu’un râle d’exaspération, si c’est autre chose, je ne sais pas comment je vais réagir… Il me repose par terre, recule un peu et me pose jusqu’au lit. Je m’assieds dessus, intriguée. Il retourne vers la porte et quitte la chambre. Mais que fait-il ? Je l’appelle, pas de réponse. Plus fort, toujours rien. Je finis par lui crier de revenir, sans réaction. Je m’impatiente.

Plus d’une dizaine de minutes plus tard, il rentre enfin. Je me suis étalée tout mon long sur le lit, râlant contre l’égoïsme et l’art du secret que maîtrise à la perfection mon mari. Je soulève la tête avant de la laisser retomber sur le matelas. Mon envie de lui me taraude et je compte jouer un peu avec lui comme il l’a si bien fait avec moi. Je me lève, me déshabille en me tortillant pour sortir de ma robe fourreau ultra-moulante. Je sens son regard se poser sur mon corps, le caresser lentement en s’arrêtant sur mes fesses. Puis, à son grand étonnement et à mon grand amusement, je me glisse sous les draps de soie chauffés par le soleil et lui tourne le dos. Je sais que ça va l’énerver et qu’il va vouloir faire plus que ce qu’il n’avait prévu. Je l’entends approcher à pas de loup et un frisson me recouvre de chair de poule. Sa main passe sous l’étoffe, trouve le bas de mon dos qu’il commence à cajoler. J’essaye de réprimer mon gémissement et un second frisson mais ne réussis que la première partie. Mon corps tremble sous la force du frémissement. Ses lèvres frôlent mon oreille, la pincent et me murmure des propos cochons qui ne font que grandir mon excitation. Je tente de l’ignorer, m’avance plus loin dans la couche, l’invitant à entrer s’il l’ose.

Son besoin de compétition prend le dessus, l’intimant à ne pas hésiter. Sa peau se frotte à la mienne, son érection se place entre mes fesses. J’ai une impression de déjà-vu… N’avions-nous déjà pas pris cette position deux ou trois fois depuis notre mariage ? Je ris sous cape, malgré les tremblements qui secouent mon anatomie. La main qu’il avait posée sur mon dos passe devant, là où le bébé grandit. Il tient quelque chose dedans, quelque chose de contendant. Ce n’est ni mou ni très long mais c’est épais et rigide. Je résiste à l’envie de regarder ce que c’est, trifouillant dans ma mémoire pour trouver l’objet. Ça ne peut pas être une arme, ni fait en bois, ni en métal, ni en pierre. Est-ce du caoutchouc ? Oh mon Dieu ! Ne me dites pas que c’est un sex-toy ! J’ai bien peur que si. Où veut-il le mettre ? Il est bien trop gros pour moi ! Et même si j’ai adoré quand il m’a prise par derrière, je n’ai pas envie de tenter l’expérience d’être prise dans les deux sens en même temps… J’ouvre les yeux, inspire profondément et me retourne vers lui.

Une lueur coquine flotte dans les siens, m’invitant aux jeux les plus pervers. Oui mais non. Pas avec ça. Un ça qui s’avère être bien un godemichet, rose à paillettes, aussi large que mon poignet, même si celui-ci n’est pas très épais. Non. C’est hors de question ! Pas large ainsi ! Il me déchirerait totalement ! Et pourquoi rose à paillettes ? C’est trop bizarre, ce ne sont même pas ses couleurs ni les miennes d’ailleurs. Je recule, me précipite hors des draps, le cœur battant à toute vitesse sous l’emprise de la peur.

Dieu que j’aime cet homme ! Je pense que je dois le dire beaucoup mais là, je crois qu’il s’est surpassé. Quand il a vu et compris ma frayeur, il a regardé son jouet en plastique, son jouet à lui bien en chair et a jeté l’artificiel par-dessus son épaule, sans y faire plus attention que s’il s’agissait d’un mégot de cigarette. Il est sorti du lit et s’est approché de moi, lentement, comme s’il ne voulait pas m’effrayer encore plus. Il m’a prise dans ses bras, s’est excusé et s’est laissé glisser le long de mon corps avant de me baiser avec sa bouche, une jambe passée par-dessus ses épaules. L’orgasme est magnifique, comme d’habitude mais un peu rapide. Les hormones doivent vraiment avoir quelque chose à voir là-dedans… Puis il m’a portée dans le lit avant de me faire l’amour tendrement. En nous retournant, il m’excuse encore une fois et me dit qu’il m’aime. Je m’endors, bercée par sa respiration régulière et profonde.

Un mois plus tard, un très léger, minuscule petit ventre a commencé à grandir. Je fais une nouvelle échographie mais ne veux pas connaître le sexe du bébé, même si le gynécologue me dit qu’on peut déjà commencer à le savoir. Daniel a hésité avant de refuser aussi car on sait très bien tous les deux qu’il serait incapable de garder une telle information secrète. J’ai cru sentir quelques mouvements, parfois, quand je suis allongée avec la tête de mon mari posée sur mon ventre. Sur l’écran, on peut voir son petit cœur battre, très rapidement. Sa tête me parait énorme pour une si petite chose ! Et, pendant qu’on parle avec le médecin, il ou elle réagit au son de nos voix ! Je suis si heureuse que des larmes coulent toutes seules. Je ne suis pas la seule dans le cas…

Je demande une photo, un peu comme un souvenir, une trace que mon bébé va bien et surtout pour la montrer à Mère qui s’impatiente déjà de ne pas avoir plus de nouvelles. Et elle n’est pas la seule. Le Roi, mon frère, la Cour entière ainsi que la presse nous demandent chaque jour s’il y a un changement, s’ils peuvent se mettre une petite info en plus sous la dent, en attendant la suivante. Je serre la petite image contre mon cœur, la soulève et passe un doigt sur le sien, me sentant si proche mais aussi si loin de lui. J’ai l’impression que ce n’est qu’un rêve et qu’un jour je me réveillerai, seule, allongée dans ma chambre chez mes parents et incroyablement triste. Mais c’est bien la réalité, ma réalité où je suis au comble du bonheur, aimée et choyée comme je l’ai toujours souhaité.

Nous rejoignons le reste de la famille dans le Petit Salon, là où on ne se retrouve que tous les cinq pour partager un moment intime. Ma mère se précipite vers moi et m’arrache le souvenir de mon enfant des mains violement, la déchirant presque. Elle pousse un hurlement de joie qui me brise les tympans et me serre trop fort contre elle, comme si elle avait peur que je m’envole. Ce ne serait pas la première fois… Daniel me dégage de son étreinte pendant que la photo circule entre mon frère et mon beau-père. Lucas ne sait pas dans quel sens la mettre, cherchant un haut et un bas, une tête ou un pied puis la trouve et éclate de rire. Il ne se moque pas de mon bébé, si ? La colère me monte jusqu’aux oreilles et j’ai envie de lui arracher ses dents parfaites de sa bouche pulpeuse. En voyant mon expression, il s’arrête net et essaye de s’expliquer.

Trop tard, je suis partie. Je lui bondis dessus comme un animal, évitant tous ceux qui tentent de stopper ma course folle. Je crie, crache et grogne et il porte ses bras au niveau de son visage pour le protéger un maximum de mes griffes. Quatre bras musclés m’enserrent par la taille et les jambes, m’éloignant de ma proie pour me sortir jusqu’aux toilettes. Assise sur la planche de la cuvette, je me rends compte de ce que je viens de faire et hallucine sur moi-même : je viens d’attaquer mon propre frère parce qu’il avait osé rire en regardant la photo de mon bébé. Oh merde! Qu'est-ce que je viens de faire? Je ne me reconnais pas dans ce comportement.

Une fois calmée, Daniel et moi retournons au Salon et je présente mes excuses à mon pauvre Lucas qui me regarde un peu de travers. Je ne peux pas lui en vouloir, après ce que je viens de lui faire. Cependant, il me présente lui aussi ses repentirs en m’expliquant qu’il n’avait ri que d’incrédulité face à la taille du fœtus après autant de temps dans mon ventre. C’est vrai que j’en suis à la douzième semaine et qu’on ne voit encore pratiquement rien… Nous rions et nous étreignons, gage de notre bonne entente. Bien sûr, Mère voit ça d’un autre œil. Pour elle, mon attaque n’est absolument pas justifiée et me le fait comprendre en refusant de m’adresser la parole jusqu’à la fin de la journée.

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