Chapitre 8 : Abyssombre

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Les domestiques entrent et sortent des différentes salles, traversent les couloirs dans les deux sens et montent et descendent l'escalier sans s'arrêter un seul instant. Leurs bras sont chargés de malles et de paquets, mais je ne leur porte aucune attention. Mon regard est rivé sur le bras que m'offre le comte d'Abyssombre.

  • Bonjour, Aïna. Comment allez-vous ? Votre nuit s'est bien déroulée ? Rien n'est venu troubler votre sommeil ?

Je sursaute presque en entendant l'intonation de sa voix : aucun agacement ou mépris, comme ça a toujours été le cas jusque-là. Pourtant, il n'a pas l'air de se jouer de moi : je ne détecte aucune moquerie ou ironie dans son regard. Je n'en reviens pas. . . Est-ce qu'il vient vraiment de me parler avec douceur. . . de bon coeur ?

Je secoue la tête. Non ! C'est impossible ! Je ne peux pas croire cela de lui en me rappelant la façon dont il m'a traitée le soir de mon arrivée dans cette tour et, pourtant. . . Quelque chose semble avoir changé, depuis hier. Comme s'il avait eu une subite révélation pendant la nuit. Qu'a-t-il bien pu se passer pour qu'il se montre soudainement si attentionné envers moi ? Jamais je ne me serais imaginée qu'il me demanderait comment j'allais en me proposant son aide pour descendre l'escalier, comme il vient de le faire. . .

  • Je vous retourne la question, lui répondé-je enfin. Vous n'êtes pas dans votre état normal, aujourd'hui. . .
  • Tss ! fait-il en détournant la tête. J'essaie de faire des efforts, parce que je me suis rendu compte que. . .
  • Que ? demandé-je en me penchant pour tenter d'apercevoir son visage.
  • Que. . .

Il pousse un soupir agacé et me refait face en grommelant, mais sans hausser la voix :

  • Nous n'avons pas le temps d'avoir ce genre de conversations maintenant. Nous avons un long chemin à faire.

Il semble embarrassé, mais il ne se doute certainement que je suis la plus embarrassée des deux. Je suis partagée entre mon mépris et ma méfiance envers ce cruel vampire et ma volonté de croire qu'il puisse cacher en lui quelque chose de positif. Quelque chose qui n'attend qu'à ce qu'on l'encourage à s'éveiller.

"Personne ne naît mauvais."

Mes yeux roses s'écarquillent. Ces mots. . . C'est comme s'ils avaient été prononcés pour cet instant. . .

J'approche donc timidement mon bras du sien, mais au moment où je m'apprête à le glisser précautionneusement sous ce dernier, j'entends Judith passer à côté de nous en murmurant à l'une de ses collègues :

  • Je ne l'avais encore jamais vu sourire de la sorte. . . Je n'ose penser à ce qui arriverait si Sa Majesté l'apprenait. . .

La Reine de la Nuit ! Voilà qui explique tout !

J'éloigne brusquement mon bras en déclarant, sourcils froncés :

  • Je comprends enfin. Vous vous êtes rendu compte qu'il serait plus facile de me plier à la volonté de votre souveraine en m'amadouant, c'est ça ? Je n'ai pas besoin de votre aide pour descendre cet escalier, poursuivé-je sans lui laisser le temps de répondre.

C'est dans la même optique que j'attrape les pans de ma robe blanche, s'ouvrant sur une jupe rose, afin de descendre les marches sans trébucher.

  • Judith ? Peux-tu me dire où se trouve la baronne de Véresbaba ? Il me semble qu'elle devait nous accompagner à Abyssombre. . .
  • Tout à fait, Madame, confirme-t-elle en s'inclinant. Elle est déjà installée dans l'automobilis.
  • Merci, lui dis-je avec un petit sourire en me dirigeant vers l'extérieur.

Plusieurs serviteurs s'affairent autour du véhicule pour le faire briller et charger les bagages.

  • Bonjour à tous ! leur adressé-je avec un large sourire. Merci pour vos efforts !

Ils se figent, surpris, puis, tandis que certains détournent le regard en marmonnant avec gêne que ce n'est que leur devoir, d'autres me rendent timidement mon sourire. Je glousse, mais au moment où je m'apprête à monter dans l'automobilis pour rejoindre Élisabelle, une main gantée se présente à moi. Je tourne vivement la tête pour découvrir mon "époux", qui soutient mon regard sans un mot.

  • Je peux aussi monter seule, répliqué-je en joignant le geste à la parole. J'avais l'habitude de grimper à des arbres géants, sur mon île.

Je l'entends pousser un profond soupir, comme s'il cherchait à prendre sur lui-même pour conserver son calme, tandis que je m'installe à côté de la baronne en la saluant :

  • Bonjour, Élisabelle.
  • Bonjour, ma fille. Ce mantelet rose te va à ravir !
  • Je me demandais justement si l'associer à ce chapeau n'était pas un peu excessif. Ça fait deux rubans rouges qui se touchent presque, entre celui qui ferme mon mantelet et celui qui maintient mon chapeau sur ma tête.
  • Oh, non, ne t'en fais pas. Les fleurs de ton chapeau permettent de rééquilibrer en apportant un peu de changement.
  • Si tu le dis, me voilà soulagée.

Nous éclatons de rire, tandis que Forlwey ordonne au conducteur de prendre la direction de la gare.

  • Qu'est-ce qu'une gare ? demandé-je à la vampire avec curiosité.
  • Pourquoi ne poses-tu pas la question à ton mari ? C'est lui qui l'a évoquée, il me semble. . .
  • Pourquoi devrais-je lui poser la question quand je peux te la poser ?
  • Aïna. . . lâche-t-elle avec un petit rire amusé. Comment veux-tu que les choses s'arrangent si tu ne fais aucun effort ? Il ne va pas te mordre parce que tu lui demandes des explications sur les choses que tu ne connais pas. Je pense même au contraire que ça lui ferait plaisir que tu engages la conversation avec lui. . .
  • Il l'a fuie à l'instant. . . rétorqué-je en faisant gonfler ma joue, comme à chaque fois que je boude, ce qui ne m'arrive que rarement.
  • Fais-moi confiance, ma fille, me murmure-t-elle avec un air complice.

Je pousse un long soupir résigné et me penche vers l'homme à la longue chevelure blanche, qui est assis à côté d'elle, pour lui demander :

  • Qu'est-ce qu'une gare ?
  • C'est l'endroit où l'on prend le train, m'explique-t-il calmement. Celle d'Adamas est la plus belle et la plus sophistiquée du monde.
  • Euh. . . D'accord, mais qu'est-ce qu'un train ?
  • C'est. . . commence-t-il en fixant un point en l'air, comme pour chercher ses mots, une longue file de compartiments métalliques reliés entre eux à la tête de laquelle se trouve une locomotive. La locomotive est en quelque sorte le moteur du train. C'est elle qui permet de faire avancer tous ses wagons.
  • Je vois. . .
  • Comment faites-vous pour vous déplacer sur. . . Gaïa ?
  • Eh bien. . . À pieds, en volant ou bien sur le dos de certains animaux suffisamment grands et puissants, s'ils veulent bien nous transporter, ce qu'ils acceptent généralement.
  • Je vois. . . se contente-t-il de répondre.

Un silence gênant s'installe. Je me dépêche donc de me remettre bien droite. Je n'en reviens toujours pas. . . Est-ce que je viens vraiment d'avoir une conversation ordinaire avec le terrible Comte Sanglant, sans qu'aucun de nous deux ne finisse par s'irriter de l'attitude de l'autre ? Que se passe-t-il, aujourd'hui ?

Le petit rire d'Élisabelle me sort de ma réflexion. Elle nous regarde à tour de rôle, puis place élégamment son poing devant sa bouche pour glousser.

  • Qu'est-ce qui te prend, encore ? lui demande son ami.
  • Vous êtes si adorables tous les deux, quand vous êtes gênés ! Hi hi hi !
  • Je ne suis pas du tout gêné, rétorque calmement son interlocuteur en regardant à travers la fenêtre, tandis que je détourne timidement le regard.

*


Je contemple le monde sous-marin à travers l'immense vitre du vaisseau, tandis que les deux nosferatus discutent entre eux, assis un peu plus loin. Je ne cesse de repenser à l'attitude étrange du comte. Il a continué à m'offrir son aide pour descendre de l'automobilis, les escaliers menant la gare, monter dans le train, puis en descendre, puis enfin, monter à bord de son vaisseau, une fois arrivés sur le port. À chaque fois, j'ai refusé. Je ne veux pas lui faire croire qu'il est parvenu à m'amadouer. Je me dois d'être honnête avec lui, autant qu'avec tous les autres.

  • N'êtes-vous pas fatiguée ?

Je tourne la tête pour constater qu'il se tient à mes côtés, le regard rivé vers le lointain.

  • Euh. . . Non, ça va, merci.

Ce n'est que lorsqu'il me jette un regard surpris que je réalise que je viens de le remercier. Je plaque ma main sur ma bouche, comme si j'avais dit une bêtise. C'est sorti tout seul, par habitude, mais je viens tout de même de remercier un vampire qui, quand il ne se montre pas violent à mon égard, fait preuve d'hypocrisie pour parvenir à ses desseins.

  • Par rapport à votre question de tout à l'heure. . . commence-t-il suite à un long silence.
  • Hum ?
  • Ce n'est pas pour vous amadouer que j'agis ainsi. . . Je me soucie vraiment de votre bien-être. . .
  • Oui, parce qu'il est indispensable aux plans de votre reine, répondé-je sur un ton sec en reportant mon attention sur les paysages défilant devant nous.
  • Pas seulement ! rétorque-t-il.

Je lui lance un regard surpris. Il serre les poings pour tenter de cacher les tremblements de ses mains, mais ses traits restent impassibles.

  • Vous êtes en train d'avouer que c'en est quand même une raison, déclaré-je en croisant les bras sur ma poitrine, mais quelle est l'autre ?
  • Vous êtes malheureuse. Je me trompe ?

Je devine à l'intonation de sa voix et au regard qu'il m'adresse que c'est plus une affirmation qu'une question, mais je souffle quand même :

  • Qui ne le serait pas dans ma situation ? Enfin, j'ai tout de même la chance d'avoir des personnes bienveillantes à mes côtés, ajouté-je en souriant.
  • Élisabelle va passer quelques jours avec nous, mais quand elle rentrera, quelqu'un devra bien prendre le relais pour s'occuper de vous. C'est mon rôle en tant qu'époux, de toute façon.
  • Quel est le rapport avec ma question ?
  • S'il est vrai que votre bien-être est indispensable pour mener à bien les projets de Sa Majesté, ce n'est pas la seule raison pour laquelle j'agis ainsi. Je suis aussi lassé de nos disputes quotidiennes. Je pense que ce serait mieux pour nous deux qu'on entretienne des relations au moins cordiales et, puis. . .

Il se tait. Je lis l'hésitation dans son regard. Il finit par secouer la tête en lâchant :

  • Rien. C'est tout.
  • Ah, non ! C'est injuste d'attiser ma curiosité et de ne même pas la satisfaire ! plaidé-je en gonflant à nouveau ma joue dans une moue boudeuse.
  • C'est bon, je vous dis, insiste-t-il en s'éloignant. Je vous laisse réfléchir à ce que je viens de vous dire.

Sur ces mots, il retourne s'asseoir à côté d'Élisabelle, qui engage aussitôt la conversation avec lui.

Je passe le reste du voyage à contempler les paysages sous-marins s'offrant à moi, tout en réfléchissant aux mots du comte. Comme je l'avais bien deviné, son attitude est dûe à des raisons purement égoïstes : remplir sa mission et s'assurer la tranquilité, mais il semble que ce ne soit pas tout. Quelle peut bien être son autre motivation ? Et, surtout, pourquoi refuse-t-il de m'en parler ?

Avec toutes ces questions en tête, je ne vois pas le temps passer et un château en métal se dessine bientôt sous mes yeux. Les façades en sont élégamment sculptées. Celles des tours représentent des ronces entourant celles-ci. Un toit en verre à la pointe scintillante trône au milieu de l'édifice, surplombant lui-même une immense faille sous-marine.

Le vaisseau s'arrête devant l'imposant double-battants constituant l'entrée du château, juste au-dessus de l'abysse. La porte latérale s'ouvre, puis une passerelle se déploie afin de permettre d'accéder aux portes. Pendant que nous la traversons, la baronne de Véresbaba désigne le château d'un large geste du bras en m'expliquant, avec autant de fierté que si c'était le sien :

  • Il est directement inspiré d'un courant artistique lancé par les humains, l'une des seules choses valables qu'ils ont fait de leur existence, selon ton époux. C'est un château dit "de la Renaissance".
  • Oh. . . Et pourquoi cette appellation ?
  • Ils ont redécouvert les civilisations de leurs ancêtres et les œuvres littéraires et artistiques qu'ils ont laissées à la postérité. Ça a été une véritable renaissance pour eux dans bien des domaines et une excellente source d'inspiration pour certains vampires, comme Forlwey.

Elle finit sa phrase au moment où nous entrons dans un grand hall éclairé par un lustre en cristal. L'escalier aux rambardes métalliques représentant des plantes entrelacées ornées de fleurs en or se divise en deux pour conduire aux différentes ailes du bâtiment. Plusieurs esclaves, réunis en demi-cercle, s'inclinent devant nous en s'exclamant à l'unisson :

  • Bienvenue chez vous, Monseigneur !
  • Bienvenue dans ma. . . notre demeure, me dit le comte d'Abyssombre sans leur adresser le moindre regard.
  • Cet endroit n'est pas une maison, pour moi, répliqué-je en détournant le regard.

Élisabelle pousse un soupir, tout en confiant sa cape couleur émeraude à l'une des esclaves, puis commence à monter les marches en annonçant :

  • Je vais me reposer un peu avant le dîner. Je vous conseille d'en faire de même.
  • Laïus, conduis la comtesse à ses appartements, ordonne Forlwey.
  • Bien, Monseigneur, dit-il en s'inclinant. Si Madame veut bien se donner la peine de me suivre. . .
  • Bien entendu, répondé-je en lui emboîtant le pas.

Nous montons l'escalier et nous dirigeons sur la gauche. Le sol est recouvert d'un tapis rouge sang aux broderies d'or. Plusieurs portes s'alignent de chaque côté. L'intendant s'arrête face à l'une d'elles, l'ouvre, puis se met sur le côté pour me céder le passage en me souhaitant :

  • Bienvenue dans vos appartements, Madame.

Je fais quelques pas dans le boudoir, bien plus vaste que celui de la tour.

  • L'agencement des salles est le même, m'explique-t-il en croisant les bras dans son dos.
  • D'accord. Merci, Laïus, dis-je en dénouant mon chapeau.
  • Je vous en prie, Madame. Je ne fais là que mon devoir, répond-il en s'inclinant. Vos femmes de chambre s'occupent actuellement de monter vos effets afin de les ranger. Elles seront à vous dans un instant.
  • Ce n'est pas nécessaire, répliqué-je avec un petit sourire. Je n'ai besoin que d'un peu de repos.
  • Bien. Je dois vous laisser à présent. Il faut que je supervise notre réinstallation au château.

Je lui adresse un hochement de tête, tout en déposant mon mantelet sur le dos d'une chaise, auquel il répond par une révérence, puis il sort à reculons, me laissant seule. Je pousse un long soupir et me laisse tomber sur le divan, installé à côté d'une fenêtre. En regardant à travers celle-ci, je découvre un grand jardin. Les haies, encadrées d'allées de gravier, renferment elles-mêmes des fleurs aux couleurs écarlates, mais ce qui m'intrigue, ce sont leurs formes : arbres, arbustes, haies et parterres de fleurs sont tous nettement délimités pour former des ronds, des carrés, des rectangles, des pics. . . Intriguée, je quitte mes appartements pour rejoindre le jardin.

Pour cela, je retourne sur mes pas et descends l'escalier, puis me dirige sur ma droite. Un arc ogival donne sur une galerie carrée, soutenue par des piliers sculptés. Il suffit de passer entre ces derniers pour se retrouver dans le jardin que j'ai vu depuis la fenêtre.

Ce dernier est recouvert du fameux toit en verre triangulaire que j'ai aperçu depuis le vaisseau. Le gargouillement de l'eau parvient à mes oreilles. Il provient d'une fontaine en marbre sombre trônant au centre des plantes, qui apporte à l'endroit une fraîcheur revigorante, intensifiée par un agréable courant d'air, qui fait l'effet d'une douce brise. Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration pour savourer cette sensation, puis défais ma couronne de tresse pour laisser le vent passer entre mes longs cheveux ondulés. Les fleurs d'un rose blanchâtre piquées dans ma coiffure se retrouvent éparpillées dans ma chevelure blond vénitien. Je m'approche d'une haie encadrant des roses rouges. Au centre de celles-ci, un espace où ne pousse que de l'herbe permet de passer au milieu des plantes épineuses pour mieux les contempler. Je retire mes chaussures pour poser mes pieds sur l'herbe fraîche. Les brins verts me chatouillent et j'accueille cette sensation en riant comme une caresse affectueuse de la nature. Je fais quelques pas, puis m'agenouille. Le parfum enivrant des roses envahit mes narines et je prends une grande inspiration pour en savourer l'odeur d'abricot velouté. Tous mes muscles se défendent. Je me sens bien, si bien. . . Quand je ferme les yeux, je pourrais même me croire de retour à la maison, s'il ne manquait pas le chant des oiseaux et les sons d'autres créatures de la forêt, dont les éclats de rires de mes amis fées.

Bien qu'elles ne soient pas matérialisées, je sens mes ailes me démanger, me suppliant de leur permettre de profiter à leur tour de tous ces bienfaits. Je ne les ai plus sorties depuis que le vicomte de Clairecorail m'a capturée. Je les laisse donc lentement apparaître. Elles frémissent d'abord de bonheur, puis commencent à s'agiter lentement pour se dégourdir un peu. Je reste ainsi pendant de longues minutes, assise au milieu des plantes et apaisée par leur présence, jusqu'à ce que je sente quelque chose frôler mes ailes. Je les fait aussitôt disparaître, tout en me retournant en sursaut.

Forlwey se tient là, penché sur moi, les doigts tendus dans ma direction.

  • C'est moi, me dit-il, comme pour me rassurer. Pas besoin de sursauter comme ça.

Seulement, j'aperçois un bref sourire amusé sur son visage et je devine que la peur qu'il m'a inspirée pendant un instant lui fait grand plaisir. . . Je lui demande donc sur la défensive, en prenant bien soin de me relever pour m'éloigner prudemment de quelques pas :

  • Que faites-vous ?
  • Je n'avais encore jamais vu d'ailes de fées. J'étais juste curieux, reconnaît-il. Elles sont si fines et transparentes. . . J'ai l'impression qu'un simple coup de vent suffirait à les briser.
  • Elles sont en effet d'une grande fragilité, même si pas à ce point. Voilà pourquoi j'ai sursauté en sentant vos doigts s'en approcher. Je dois en prendre grand soin, si je ne veux pas définitivement les perdre. . . Moi qui adore virevolter au milieu des oiseaux, des papillons, des libellules. . . commencé-je à énumérer, alors que mes ailes ressortent lentement sous l'influence de ces doux souvenirs.
  • Oui, c'est ça, me coupe-t-il. Elles ressemblent à des ailes de libellule, mais en bien plus grand.
  • C'est vrai, reconnaissé-je avec un petit sourire.

Nous nous fixons en silence pendant quelques secondes, au bout desquelles je finis par lui avouer :

  • Je suis surprise de votre proximité avec la nature, entre votre magie et votre beau jardin, mais laisser pousser ces plantes librement sans interférer dans leur croissance aurait été préférable, sans compter qu'une plus grande diversité de couleurs aurait été plus agréable à la vue.

Il fait claquer sa langue en secouant doucement la tête, puis rétorque calmement :

  • Si j'avais mis des fleurs d'autres couleurs que le rouge, je n'aurais pas l'illusion de mares de sang depuis les fenêtres des étages supérieurs. N'aurait-ce pas été dommage ?

Je plaque ma main sur ma bouche pour étouffer un hoquet d'horreur, puis m'indigne :

  • Même la nature est détournée à des fins malsaines avec vous !
  • Vous êtes entourée de plantes carnivores, vénéneuses ou épineuses, si ce n'est pas les trois à la fois. Qu'espériez-vous d'autre ?
  • Ce que vous dites n'est pas faux, mais il n'empêche que tous ces végétaux sont beaux à leur façon et ont tous leurs propriétés bienfaitrices, plus spécialement en médecine. Certains ont même de nobles significations, ajouté-je avec un sourire attendri.
  • Lesquelles ? me demande-t-il en levant un sourcil sceptique.
  • Eh bien. . . Par exemple, ces roses rouges représentent l'amour passionné, lui répondé-je en caressant du bout des doigts les pétales de la fleur la plus proche.
  • L'amour passionné. . . murmure-t-il en m'observant.

Nos regards se croisent et nous les détournons aussitôt, gênés. Je m'enfuis aussitôt et redouble de vitesse quand le comte me lance :

  • Vos chaussures !

Je remonte en courant dans mes appartements pour trouver Judith, en compagnie de quelques autres femmes de chambre, en train de finir le rangement de mes affaires. Elles me font la révérence et la blonde s'excuse aussitôt au nom de toutes :

  • Nous sommes désolées d'avoir tardé à vous rejoindre, Madame, mais il nous fallait monter vos malles. Heureusement que le contremaitre des mines de Monseigneur a accepté de nous prêter main forte.
  • Les mines ?
  • Oui, c'est de là que Monseigneur tire tous les cristaux ornant ses demeures, ses objets et vos bijoux, aussi, mais à quel prix, finit-t-elle dans un murmure, tandis qu'un voile sombre recouvre ses yeux rouges.
  • Que veux-tu dire ?
  • Ces mines sont le dernier endroit où nous aimerions travailler, en tant qu'esclaves. Ceux qui sont placés là-bas sont ceux qui prennent le plus de risques, mais ce sont aussi paradoxalement ceux qui sont les moins bien nourris et traités en général. . . Le contremaître venait d'ailleurs signaler un regrettable accident à Monseigneur lorsqu'il nous a croisées.
  • Quel accident ? Que s'est-il passé ? l'interrogé-je avec inquiétude.
  • Pendant qu'il nous aidait à monter vos affaires, il nous a raconté qu'une galerie s'était effondrée sur des mineurs. En plus d'être coincés, ils sont gravement blessés. Certains sont peut-être même morts sur le coup, mais il leur est impossible de le vérifier, car ils n'arrivent pas à les dégager.
  • Où se situent ces mines ? lui demandé-je en serrant les poings.
  • Elles se situent dans les profondeurs de la faille que surplombe le château.
  • Bien. Je te remercie pour ces informations. Je vais aller m'allonger un peu, à présent, lui annoncé-je en la contournant pour rejoindre la chambre à coucher.

Ce soir, à l'heure du dîner, je mettrai en toute discrétion de la nourriture de côté afin de l'apporter aux pauvres esclaves travaillant dans ces mines. J'en profiterai pour sauver ceux qui sont coincés, mais il me faut agir vite, si je veux réussir. Partir tôt le matin, à l'heure où tout le monde dort encore, me semble être la meilleure option. C'est le moins que je puisse faire pour eux, surtout en sachant que j'ai porté les cristaux pour lesquels ils travaillent si dur. . .

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