Chapitre 15 : vin et verveine - partie une

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Les ombres tournent continuellement autour de moi, de plus en plus vite. Leurs yeux rouges forment un cercle lumineux dont je suis prisonnière. Mon cœur bat à tout rompre. La sueur perle sur mon front. L’une des silhouettes fond subitement sur moi. Je place mes mains en bouclier. Une vive douleur me réveille. Je me redresse en lâchant un hoquet de terreur. La chambre est vide. J’essuie mon front humide du revers de ma manche, puis masse mes mains, qui me font encore un peu mal. Elles ne présentent pourtant aucune blessure.

Trois coups légers contre la porte me font lever la tête.

  • Oui ?
  • Bonjour, Madame. Nous venons vous aider à vous habiller, me répond la voix de Judith.
  • Je vous en prie.

La porte s’ouvre sur trois servantes, qui m’offrent une révérence. Elles me font couler un bain sur ma demande. Je plonge dans l'eau chaude avec délectation, mais suis surprise de constater que mes mains me picotent, comme si elles portaient une blessure.

Une demi-heure plus tard, alors qu'elles m’aident à enfiler une robe à étages bleu violacée aux longues manches larges faites d'un tissu transparent brodé d’ancolies, je demande à la vampire blonde :

  • La baronne de Véresbaba est-elle déjà réveillée ?

Elle a annoncé la veille, au dîner, qu'elle comptait repartir aujourd'hui pour son domaine. Je tiens à la saluer avant qu’elle ne s'en aille.

  • Voilà longtemps qu'elle est levée. Elle est prête à partir et n'attend plus que les domestiques aient fini de charger ses malles.
  • Ne vous en faites pas, ajoute une autre femme de chambre en passant à mes pieds des chaussures blanches. Nous aurons fini de vous apprêter à temps.

Je lui adresse un sourire reconnaissant. Aussitôt mes cheveux relevés en un demi chignon et piqués d’ancolies, je m’estime suffisamment présentable pour me précipiter en dehors de mes appartements sans prêter attention aux bijoux que me présentent les domestiques.

Je déploie mes ailes pour rejoindre le hall d'entrée plus rapidement sans prendre le risque de me tordre les chevilles. Je trouve Élisabelle en pleine conversation avec Forlwey. Ils s'interrompent lorsque je me pose à côté d’eux. Je prends les mains de la baronne en lui confiant :

  • Je suis heureuse d'être arrivée à temps pour te dire “au revoir”. J’avais si peur de te manquer !
  • Je ne serais pas partie sans te saluer, ma fille. J’attendais que tu te réveilles.

Je jette un bref regard en coin au comte.

  • Je comprends ton besoin de rentrer, mais es-tu sûre que c'est une bonne idée de nous laisser seuls ? murmuré-je à la baronne.

C’est avec l'arrivée d’Élisabelle que les tensions se sont apaisées entre le comte et moi. Qui sait ce qu’il adviendra si elle s’en va ?

  • Ne t’en fais pas. Tout se passera bien. Il vous suffit d’être à l'écoute l'un de l'autre et de vous montrer compréhensifs. Je compte aussi sur vous pour continuer vos entraînements de danse.
  • Tout est prêt, Madame, lui annonce un jeune domestique.
  • Bien. Partons, dans ce cas.

Nos mains se séparent alors qu'elle s'éloigne en direction de la sortie.

  • Au revoir, mes enfants. Nous nous reverrons pour le bal de Sa Majesté.

Elle se retourne sur le pas de la porte pour nous adresser un dernier signe de main. Les lourds battants se referment sur elle. Leur claquement résonne dans le hall presque vide. Je tourne lentement mon regard en direction de Forlwey. Il m’observe avec hauteur et de méfiance.

  • J'ai du travail, dis-je en m’éclipsant.

S’il est vrai que j'ai à faire, à ce moment-là, n'importe quel prétexte était bon pour ne pas rester à ses côtés. Élisabelle est la seule personne capable de le raisonner. Maintenant qu'elle n'est plus là, je crains que toute la violence dont il a fait preuve le soir de notre mariage ne revienne au galop.

C’est avec soulagement que je m’enferme dans mon bureau. Tout est tel que je l'ai laissé hier. Je m’assieds pour reprendre la lecture des documents. Et si je ne trouvais rien ? Par où devrons-nous reprendre ? Quelle autre piste s’offrirait à nous ? Je secoue la tête pour me reconcentrer. Nous n’en sommes pas encore là.

*

Le thé gargouille alors qu’il se déverse dans la tasse. Je la saisis et remercie Judith avec un sourire. Elle me le rend et s'éloigne.

  • Toujours rien ? demandé-je à Laïus, assis en face de moi.

Il pose sa tasse en secouant la tête. Je pousse un soupir :

  • Cette feuille est notre dernier espoir.

Je m’empare du dernier document de la pile et l'inspecte pendant plusieurs secondes.

  • Rien, lâché-je en levant un regard déçu vers Laïus.
  • Je suis sûr que nous trouverons autre chose.
  • Oui, mais comment ? Nous avons déjà examiné tout ce qu’il a laissé et interrogé tous les témoins possibles. . .

Je me fige et me redresse brusquement :

  • Tous sauf un !
  • Qui donc ?
  • Bruce ! C'est lui qui a dévoré l'ancien intendant ! Il a certainement des choses intéressantes à nous raconter.
  • Le mégalodon ?

Je hoche la tête.

*

  • Bruce ? appelé-je en posant ma main sur la bulle d’air.

Celle-ci ondule à mon contact. Deux lueurs apparaissent au loin. Le mégalodon émerge des profondeurs de l’océan. Sa queue s’agite avec majesté.

“Bonjour, Aïna.”

  • Bonjour.

“Tu comptes me présenter un nouveau vampire à chacune de nos rencontres ?” grogne-t-il.

  • Il n'est pas méchant. C'est Laïus, l'intendant du domaine. Il a été nommé récemment, parce que. . . tu as dévoré l'ancien.

“Je m’en souviens bien. Ce repas était donc l’intendant de ton geôlier.”

  • Oui, mais j’aimerais comprendre ce qu'il faisait en dehors de la bulle du domaine. Tu en sais peut-être quelque chose.

“Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il était déjà mort quand je l’ai trouvé. L'odeur de son sang m’a attiré. Il flottait dans l’eau, porté au gré des courants sous-marins.”

Mes yeux s’écarquillent. Bruce n'a pas tué l'ancien intendant, mais alors. . . Qui ? Ou quoi ?

  • D’où venait son sang ? Où était-il blessé ? le pressé-je.

“À la tête.”

  • N’as-tu rien remarqué d'autre ?

“Rien qui sorte de l’ordinaire.”

  • D'accord. Merci, Bruce. Tu nous a rendu un fier service !

“Je l’ai fait pour toi, Aïna. Jamais je ne viendrai en aide à un vampire !”

  • Même s’il s’engage à te laisser vivre sur son territoire tant que tu ne touches pas à ses serviteurs ?

“Si tu crois que j'attendais son autorisation. . .”

Sur ces mots, il se retourne en un éclair et disparaît dans les eaux obscures.

  • Que Madame excuse ma curiosité, mais j’aimerais savoir ce que vous a appris cet animal.
  • Ce n'est pas Bruce qui a tué ton prédécesseur, Laïus, lâché-je, encore sous le choc de la révélation.
  • Qui est-ce, alors ?
  • Je l’ignore, mais qui ou quoique ce soit, il l’a blessé à la tête.
  • Il ne présentait aucun autre dommage ?
  • Pas d'après Bruce.
  • Je me demande comment il est mort, dans ce cas. Ce n'était peut-être qu'un servilis, mais un vampire ne peut pas mourir d’une simple blessure à la tête.

Nous gardons le silence, perdus dans nos réflexions, puis je demande à l'intendant d'une voix blanche :

  • Est-ce que. . . Est-ce que quelqu'un avait intérêt à voir ton prédécesseur mourir ?
  • C’est possible, mais je n'ai aucun nom à vous donner.
  • Je pense que nous allons devoir réinterroger les domestiques, déclaré-je en retournant vers le château.

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