III

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Début d’été. Cette nuit mon oncle dormit chez moi. Confiant de près à mon père, une fois qu’il pensait que j’étais parti quelque part à l’étage, qu’il était triste, encore une fois, et qu’il avait peur de se retrouver cette nuit, seul. L’avantage d’avoir des petits trous de souris dans le sol d’une chambre se trouvant juste au-dessus de celle de son père, le salon oui, c’était que les secrets des conversations d’en bas m’étaient instantanément révélés, pour autant que je me trouvais bien sûr dans ces moments-là dans ma chambre. Silence. Mon père lui répondit par un silence (un ne pouvant être compris seulement qu’entre frères ayant connu en commun une certaine misère) doublé d’un hochement de tête qui ne voulait dire rien d’autre qu’un : « Oui, je sais Francky. »

Quand ils étaient ensemble, oncle Francky et Robert n’étaient jamais malheureux. Au contraire : les rires et les « à la tienne ! » s’envolaient sur le bouchon de vin propulsé en l’air jusqu’au ciel de l’allégresse que l’excès d’alcool donne à voir ! Ensemble, l’esprit était de joie, de fête, de rire. Ils avaient une réelle complicité. Puis, ils s’endormaient ivres sur le canapé, sourire aux lèvres, sur un fond de musique classique et en l’espèce, la 7ème symphonie de Beethoven (mon père était, en dépit des apparences, un grand amateur de classique, plus particulièrement grand amoureux de symphonie).

L’avant-veille du dimanche. Nuit noire enveloppant le village endormi, sans vent ; entre les rangées des lampadaires éternellement éteints, nuit ne palpitant plus que par les deux trois hululements pleurant l’absence totale de leur soleil de minuit, la lune, ses rayons, sa clarté. Nuit automnale, morne, morte.

La canicule de ce mois d’été tuait tout, infernale qu’elle était.

La nervosité de l’insomnie, la course perceptible à l’oreille des blattes ci et là et le bain de sueur où je me baignais : « C’en est trop ! ». Je bondis de mon lit, sortis de ma chambre, descendis l’escalier avec véhémence et là, tout d’un coup, ma tête s'immobilisa devant cette scène fraternelle. Bras dans les bras, comme quand ils étaient petits, le petit frère d’une quarantaine d’années se blottissant contre le torse que la chemise ouverte de Robert permettait d’entrevoir. Jadis, le petit Francky se bouchait les oreilles tout en basculant sa tête contre le torse pubère de grand frère comme à présent, pour ne plus avoir à entendre les « je vais te défoncer la gueule salope » d’un père violent et alcoolique de profession à l’adresse d’une mère apathique (même s’il lui arrivait, en témoignaient les traces de mascara sur l’oreiller, de laisser couler quelques larmes la nuit ) – d’une mère à l’obéissance sans concession, bien dressée.

Elle, la mère, il la frappait souvent, encore plus quand sa journée était mauvaise. Mais à vrai dire, il la frappait presque autant quand sa journée avait été bonne. La frapper, c’était son sport, son défouloir, son hobby, « son péché mignon-nécessaire », sa façon à lui de lui dire qu’il aimait, qu’il avait besoin d’elle, de son corps, pour se sentir bien, pour affronter toute la tension du dehors – les coups de klaxon et les injures, entre autres – ; en somme, pour faire face tant bien que mal à toute cette violence, à toute la folie de l'univers.

La frapper, c’était plus fort que lui. Simplement pour supporter le poids de la vie, qui pesait sans relâche sur ses épaules et sur son âme.

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