VI

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Trois lunes passèrent. Mais mon oncle ne ressuscita pas.

L'enterrement : Francky sous terre, sans fleurs, rien. Absence de couleur et de tout sur la tombe (« ça coûte cher, les fleurs » me marmonna mon père en même temps qu’il essuyait quelques larmes serpentant entre les poils de sa barbe).

Exceptés Robert, le personnel funéraire et moi-même, personne. Francky n’avait jamais eu d’amis. De toute façon, sachez que quand on est pauvre, comme on l’était, les enterrements sont secs, rapides selon une mécanique froide, glaciale.

Le deuil (où on pleure à chaudes larmes), c’était l’affaire des riches. Mon père n’avait pas ce luxe d’être ainsi en larmes, il le savait ; aussi s’empressait-il avec une rapidité peu commune d’essuyer sa tristesse, qui commençait déjà à répandre tout son flux sur son visage quand débuta la cérémonie de Francky.

Il sera mort le simplet comme il l’aura vécu – seul. Je dois dire qu'heureusement quand même que Robert était là pour lui tenir un peu compagnie, je n'imagine pas qu'elle aurait été sa vie sinon, déjà qu'elle était compliquée... Ce grand enfant d’une quarantaine d’années – au visage émacié de clown triste, à l'apparence maladive de singe battu – était en vérité déjà mort le jour où, adolescent, il a vu sous ses yeux, impuissant par sa fragilité physique et mentale, son beau-père tuer sa mère à coups de poing et d'injures. Car lui aussi, l’amant, était un homme qui « aimait à sa façon », qui aimait ce « sport » masturbatoire : cogner, cogner sur un bout de chair docile, immobile, tranquille.

Contrairement au premier, la vieille n’eut, hélas pour elle, pas le temps de lui servir le verre (couleur sang) de la bouteille d'un vin sans étiquette, la même qu’elle gardait contre elle, tel un doudou terrifiant en même temps que consolateur, lors des nuits où la culpabilité l’empêcher de dormir. C’était une bonne personne, quelqu’un de bien ma grand-mère. Sa vie aura été un peu comme l’histoire ramassée de toutes celles qui, tant bien que mal, survivent à l’ombre de la violence de ceux devenus, à force d’entraînement marital, experts en un type d'arts martiaux conjugal.

À elles, ces petites Jeanne d’arc se consumant petit à petit sous le feu de leur colère ! À elles, ces petites enclumes se taillant un caractère sous les coups de leur marteau ! À elles, Ces petites Madame Bovary s’imaginant l’échappatoire d’une petite île paradisiaque sous les mouvements forcés de leurs hanches à eux ! À elles ! À ma grand-mère et à toutes les autres oubliées, levons nos verres ! « Que chuchotes-tu mon gars ? » m'interrompit mon père étonné, voyant que je parlais tout seul et tout bas devant la tombe. Je ne lui répondis pas. L’ heure n'était pas à la parlotte.

Le fils fut enterré à côté de la mère sous le ciel d’un été indien.

Les mois passèrent sans que la tristesse sur les yeux de mon père, elle, ne passât. Pour qui avait de l’imagination, comme ma grand-mère, la traînée de lichens partant d’une tombe jusqu’à l’autre comme l’image du cordon ombilical enfin réunifié s'imposait à la vue.

Ici repose Franck Carpe

Voilà ce que disait l’épitaphe.

« Quelle étonnante sobriété qu’est la mort de Francky ! » dis-je cette fois tout haut.

À ce mot de « sobriété » mon père se figea et se mit alors à froncer les sourcils en les obliquant vers le sol. Il attendit, puis se défigea, regarda le ciel et enfin, dans un silence de mort, nous repartîmes jusqu'à la maison à travers de petits chemins de campagne.

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