VI

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Bile noire, prisonnier que j'étais dans son cloaque. Je flottais immobile à sa surface, comme enlisé. Marée noire, crachée par la chose, je retenais l’air par anticipation d’être dans peu comme sous une avalanche.

Volant de plus en plus près de ce puits incandescent, tout blanc, ses ailes à lui battirent dans le halo de l’hubris. Sa soif des hauteurs, inversement proportionnelle à ma faim chthonienne (de ce qui se trouve dans le ventre des asticots), rétroprojetait l’ombre de l’âge d’or et du fer sur le présent.

Plus il montait plus je descendais.

Pesanteur et apesanteur. De cet arc (« éniantrodomique »), aux cordes respectivement tendues dans leur sens contraire, arrivera un jour où jaillira la Flèche qui s’envolera représenter l’image de la physis – puissant élan vital – qui hurlera « NON » à la gueule grande ouverte de Thanatos mais demeurera toutefois silencieuse, c'est certain, devant le regard fixe d’Ananké. Et la Flèche s’envolera et s’abattra enfin sur Eros courant affolé sur une espèce de ruban (troué) de Möbius. Un jour !

Pendant qu'il se grisait à l’idée qu’en s’élevant le ciel s’ouvrirait, brûlait de léviter au-dessus d’un paradis sans altérité et sans tristesse, où mort, fatigue et travail ne sont, pour le coup, que des abstractions, moi, le vertige me privait de le rejoindre. Et puis de toute façon, la chose jeta. au moment où l’apothéose du vieux débuta, mon groin dans la terre.

Flairer la nuit comme le jour la terre et ses entrailles, les zones hadales, noires, au seuil de la vie et de la mort, là où il fait toujours nuit.

Dépression

J’y étais en plein dedans, sans savoir pourquoi. Au fond d’un abîme, le goût, l’appétit et le sens des mots cessent. Ici, en deçà du langage, l’expression et sa clarté se heurte au roc du réel – l’envers de la réalité, dos au soleil, comme son antichambre. La pluie y tombe, et l’espoir surnage, avant la noyade. J’étais dans un de ces trous dont on ne voit la fin. Y aurais-je jeté un caillou que je ne l’aurais entendu, même après nuit blanche, atteindre le fond. La lumière y est absente et ses lueurs, une denrée rare. Ici, on ne se lave plus : le même pantalon, torse nu, et les mêmes chaussettes. Ici, l’espoir agonise dans cette noirceur, halète sous son poids, et elle était grosse cette chose.

Dépression

Je m’y enfonçais sans savoir comment. Le corps ne palpite plus que pour faire acte de présence, mais le cœur n’y est plus. Tout se meurt sous un tempo infernal. Le fil se rompt ; Ariane y est seule, regarde partout, et alors Ariane se fait casser la gueule, arracher les ongles, tirer les cheveux, agonise ; et enfin, Ariane finit dévorée par le minotaure d’un labyrinthe sans issue. Le corps gît sous la pluie, et l’esprit rêve d’un ailleurs, d’une île au sable fin, d’eau fraîche, turquoise. Mais rien ne se passe. Jamais. Prisonnier de ma posture, tel un cafard sur le dos, les pattes de mon corps se débattant dans l’air immobile, sans vent. Nul tic-tac, nul bruit. Silence dans le noir.

Dépression

Pendant que ses ailes se consumaient toujours à petit feu près des rayons de l’Hubris, je pleurais seul, sans savoir pourquoi, alors que lui continuait de sortir au bistrot, de jouer au billard avec des copains et de se battre avec des hommes (pour soigner sa réputation de dur à cuire disait-il) tout en dépoussiérant sa carte bleue pour certaines femmes. Il s'était même mis à faire de l’avion (avec l’argent d'on ne sait qui). En bref, il s’envoyait en l’air dans tous les sens du terme. Il se remit même à bricoler et par là à se faire suffisamment d’argent pour ne plus ressentir la faim au ventre, le manque.

Tout ça en si peu de temps ! Je suis étonné encore aujourd'hui que notre voyage l’ait à ce point transformé ! Mais fort heureusement, mon père, en tout cas pour le moment, tenait bon : pas une goutte d’alcool n’avait été contenue dans sa vessie, ni même l’envie d’un verre dans son esprit.

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