VI

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Dimanche et orage. La pluie tambourina contre la vitre et les cris des corbeaux, par la force de l’eau jaillissant, devinrent de moins en moins fréquents. Si je n’avais eu l’esprit aussi imaginatif, peut-être qu’en cette folle pluie je n’aurais vu alors qu'un liquide froid, neutre, tombant de nulle part pour finir sur la tête affolée des quelques personnes bedonnantes, qui couraient à perte d’haleine pour protéger leurs grosses joues rouges. Il n’en fut rien. Cette pluie, c’étaient des pleurs.

Coulant de grands yeux invisibles, les larmes s’écrasèrent sur le sol désolé de mon village.

L’herbe s’affaissait à l’horizontale, la terre s'amollissait : les corbeaux y pataugèrent dans la boue, les chats et chiens y improvisèrent une nage sur le dos tout en s'aboyant dessus pour les uns et en sortant les griffes, légitime défense, pour les autres. La puissance des éléments fut telle que les arbres parurent faire la révérence, bien qu'à leur corps défendant, à tout ce qui se noyait ou se débattait. Toujours à la fenêtre, je palpitai et déplorai mon impuissance d'agir pour sauver ce malheur de l'agonie.

Quand soudain, le paysage se fondit là, sous mes yeux – les couleurs y dégoulinèrent de partout. Abattu d'impuissance, je finis par baisser la tête en direction du parterre de ma chambre, d’où mes yeux tirèrent quelques minutes après la certitude qu’ici, dans mon espace, sur la dureté du sol, je n’avais rien à craindre.

Les volets s’entrechoquèrent et les branchages gémirent de plus bel. Le vent aurait pu percer de son cri strident le tympan de n’importe qui du village se trouvant encore dehors. Lui, le village, cria en retour avec l'énergie du désespoir. Moi, je restai immobile, de peur que mes mouvements eussent créé l’effet malencontreux d’empêcher ce qui prenait l’apparence d’une pluie dernière, apocalyptique. Je voulais mourir. Je le sus enfin quand je vis qu’il était effectivement possible que je meure, face à cette trombe d'eau dont Noé eut au moins une fois à s'inquiéter. Chaos diluvien. Je voulais vraiment mourir, je ne plaisante pas ; je n'en pouvais vraiment plus de cette monotonie, de cette sale routine où tout se répétait, où tout se ressemblait !

Avais-je encore une fois trop bu ? Avais-je encore une fois louché sur le réel au point où ce que je croyais être n’était au final que le fruit pourri de mon imagination ? C’était probable oui. Mais tout de même, tout me paraissait si profondément vrai... Ce fut quand la porte se mit à claquer et que la voix de mon père s’éleva jusqu'à l'étage : « Ah j’étais au village, et quel temps ! Il était tout bonnement magnifique mon p’tit gars! », que je compris que j’avais été quelque peu abusé, complètement, par le liquide des plusieurs bouteilles qui, les dévisageant de mes yeux devenus noirs de colère, enguirlandèrent de taches jaunes, rouges, vertes, les étagères, le bureau, les coussins et le bas de mon lit.

L’air contrit, j'attendis, les yeux vides, j'attendis quelque chose : un miracle. Mais rien ne se passa. Alors je descendis. Mon père me regarda, inquiet, et se souvenant, me dit, loin à présent du temps magnifique qu’il faisait au village : « Harry t’a vu hier au café du village voisin. Il paraît que tu étais complètement bourré et en train d’harceler une fille des champs, et en plus une obèse dégueulasse ! Tu peux m’expliquer gros connard ? ». Ne me laissant pas le temps de répondre, Robert se gratta les fesses d’abord, et poursuivit ensuite d’une voix plus sévère qu'elle ne l'était déjà : « Harry t’a suivi après que tu as été viré par les patrons du bar, à coups de pieds dans l’derrière paraît-il, et il t’a vu parler tout seul ! Apparemment tu parlais de philo, en posant des questions à quelqu’un que lui, Harry, ne voyait pas… T'peux m’expliquer ton délire hein ? ». Non. Je ne répondis rien. La rage montait pour culminer bientôt dans la lâcheté. Je partis en courant.

Hallucination- Folie

Je mâchai ces deux mots comme une vache avec l’herbe et le foin. Je ne savais plus quoi penser. Je me disais même, dans les pires moments de doute, que j’avais peut-être rêvé le voyage à vélo, qu’il n’avait jamais eu lieu, du moins par dans la réalité, dans cette réalité.

À bout de souffle, j’arrivai, je ne sais comment, dans ma chambre. Je m'y réfugiai avec une idée encore molle, imprécise : elle était contenue dans mes poings serrés, elle apparut au moment où j’abaissai tout en chancelant ma nuque vers la surface immobile du sol, là où je tirerais, en une fraction de seconde cette fois, une certitude. Une de celles qui rendrait mon idée limpide, claire comme de l'eau de roche.

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