V

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Je refusai que le rouge ne gagnât mes joues, que la honte ne dressât mes poils ! Non. Je suis un homme, et un homme fier. On m'a donc ignoré, moi l’illustre homme dont le nom sera un jour inscrit au fronton de quelque lycée ?! Oui, on m’a balayé d'un revers d’indifférence. On n’a même pas voulu daigner prononcer mon prénom ! J’ai été désigné seulement d’un doigt. À moi, dans leurs dos, de répondre alors par un doigt d’honneur. Mais enfin ! Imaginez Mauriac, Camus, Sartre ignorés dans leur jeunesse par un doigt boudiné pointé dans leur direction, et cela sans même les regarder droit dans les yeux !! Et ça vaudrait pour toute présentation de leur personne ?! Imaginez cela bon sang ! Par vengeance je peux comprendre que certains refusent par la suite des prix Nobel…

La « rencontre littéraire » débuta par une question de l’intervieweur : « Pourquoi écrivez-vous ? ». L’auteur répondit qu’elle « écrivait pour l’arge…n...t la chance ! voulait-elle dire, la chance de rencontrer, de vous rencontrer amis lecteurs ! » (le lapsus terrible fut tout juste évité, une chance pour sa « grande carrière »). Avant même qu’elle ne pût terminer sa phrase, tous les profanes applaudirent, sans trop savoir pourquoi (probablement pour hâter la fin du monologue, les douze coups de midi ayant déjà sonné). Alors, scandant avec une simultanéité fraternelle, communiste, une harmonie attendue, dressée et chantante digne d’un bétail qu’on élève depuis tout petit, qu’on a laissé vivre pour ce seul moment – la foule éclata l'air hébété : « Bravo, on vous aime ! Bravo, bravo ! ». Soudain, tous de se taire, tous de se dire peut-être que l’abattoir allait être bientôt le dernier champ de vision à brouter des yeux. Je ne sais pas. Pour l’heure les convives, désespérés mais ne le montrant aucunement (leurs larges éventails dissimulant les soupirs), attendaient surtout de mettre un terme aux borborygmes de l’estomac, en se gargarisant du brunch gratuit. La créature littéraire, elle, parlait dans le vide, le vide de leur esprit.

Je n’en pouvais plus, vraiment plus de toute cette hypocrisie de « petites gens », plus jusqu’à la nausée ! Mais où était donc ma place dans toute cette grande et ridicule farce ? Où ? La contagion ne m’épargnant aucunement, je regardai à mon tour dans le vague d'un air bovin, mou, accompagné de ma solitude et d’une canette de bière depuis longtemps vide.

Moi, plante verte, remarquée par personne, ni même, parce qu'à l’ombre, par le soleil. D’un dernier regard, avant que je ne fuisse définitivement en courant, je pris la résolution de jeter un œil triste vers l'horizon, sur l’étendue d’eau, calme et douce et j’eus alors, en cette fin de dimanche après-midi, une révélation. Je compris enfin ma vocation : écrivain, en même temps que je compris que le secret de mon avenir me serait révélé dans la persévérance silencieuse de mon travail, de mon écriture d’à présent. Révélation. Révélation !

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