Reflet Superficiel

2 minutes de lecture

  Elle se pensait belle dans le reflet impeccable de ce miroir de poche en plastique rose fuschia. Poudrée, fardée. Que restait-il de son véritable visage ? Si peu.

 Le fond de teint comblait chacunes des rides taillées par le temps, creusées par la cigarette qu'elle consumait de son autre main. Telle une peinture, les tons de ses divers anti-cernes et illuminateurs remodelaient les ombres de sa figure, émaciaient ses joues, affinait son nez, relevait son menton. Même le rose qui lui offrait une mine si fraîche n'était qu'artifice.

 Quoi d'autre ? Ses lèvres à l'ourlet factice à cause de son gloss à la fraise. L'embellie inutile d'une bouche vicieuse qui jetait son dévolu sur la moindre femme plus jeune et plus belle. Une aigreur grisée des cendres de sa malveillance. 

 Peut-être resterait-il encore une once de vérité dans son regard ? Non plus. Ses yeux tombants s'étiraient sous l'effet du trait de crayon noir, épais ; le bleu des ombres à paupières camouflaient le noisette gourmand de ses iris. 

 Elle se pensait belle dans le reflet étriqué de ce miroir de poche en plastique rose fuschia. Maquillée, cachée. Que restait-il de son coeur d'adolescente ? Tout. 

 L'importance du regard d'autrui, la haine des changements de son corps, la solitude, l'incompréhension, l'injustice. La maturité lui restait étrangère, et pourtant, le temps s'égrenait, impitoyable. Elle ne parvenait pas à le suivre, elle courait après sa jeunesse lycéenne égarée entre le voeu d'avoir voulue être trop grande, trop vite et la vieillesse inexorable qu'elle n'assumait pas. 

 Ses amours déçues, brèves, à peine passionnées, elle consommait les hommes comme ses clopes ; ils défilaient les uns après les autres, le même goût fade de l'habitude qu'elle ne contrôlait pas assomait ses papilles goudronées. Avait-elle déjà eu la moindre exigence ? Elle ne se souvenait pas. 

Leur avait-elle proposé autre chose que cette poupée de cire en mal de tendresse ? Non plus. Elle avait apposé un point d'honneur à ne s'intéresser à rien. Parfois, elle s'ennuyait elle-même. Mais c'était plus facile de se perdre dans l'ivresse de la mauvaise musique des boîtes de nuit que d'affronter la vérité. 

 Elle se pensait belle dans le reflet étriqué de ce miroir de poche bas-de-gamme. Fourvoyée, égarée. Pourquoi ne parvenait-elle pas à retrouver le chemin de sa vie ? 

 Parce que dans ce miroir usé, elle stoppait le temps. Parce que dans ce reflet tronqué, elle restait adolescente. Qui voulait vieillir ? Personne ! Que quelqu'un ose donc lui jeter la première pierre ! Critiquer, elle savait faire ; moins écouter. L'introspection ? Elle n'avait pas le temps pour ces simagrées de dépressives. 

 Bousculée par un passant, sa vile prison vola et rebondit à quelques mètres sur le pavé. Un juron écorcha sa bouche peinte lorsqu'elle s'empressa de le récupérer parmi la valse de jambes qui menaçaient de lui voler sa jeunesse.

 Victoire, elle se redressa et rouvrit l'étui sur son reflet brisé et boueux. Une horreur. Les larmes piquèrent ses yeux et coulèrent des rigoles dans la couche de plâtre sur ses joues, elle frotta la surface polie de sa manche, frénétique. Mais lorsque le teint impeccable de miroir fut restauré, la mélasse salissait son visage félé. 

Elle se pensait laide dans le reflet brisé de ce miroir de poche bas-de-gamme. Dépassée, effrayée. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire ScytheOwens ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0