Chapitre 6- Les girophares.

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Kate avait décidé de passer la journée à l’appartement. La soirée de la veille avait été presque parfaite. Presque...
A y réfléchir encore davantage, étant donné tout ce qu’elle ignorait de Harry, si, finalement, elle avait été parfaite. Harry était parti sur les coups de midi. Le soleil tapait au dehors. Kate avait laissé les fenêtres ouvertes. Seule, elle buvait à présent un thé tout en regardant les informations. La télévision retransmettait l’organisation avancée de la Saint-Patrick, et les animateurs n’en finissaient plus de vanter les apparats des chars en préparation et les costumes que l’on permettait de filmer... Vantant surtout l’ambiance festive à venir, ils faisaient allusion à la dimension religieuse des festivités plutôt discrètement...
A l’avis de Kate, la ville essayait de ramener un peu de gaieté et de popularité en son sein. Pas sûr que cela fonctionne. Les crimes qui se multipliaient depuis ces dernières années, vraiment trop fréquents, avaient lourdement entaché les années glorieuses qui les précédèrent. Il était trop paradoxal, pour Kate, de passer sous silence l’aspect religieux des fêtes, d’autant pour faire l’apologie de la débauche en place... Car c’était de cela, dont les journalistes parlaient réellement. Elle lâcha tout haut qu’ils n’entendaient rien à rien, puis saisit la télécommande afin d’éteindre le téléviseur, quand quelque chose attira son attention.
Kate, sentit un vague de froid descendre sur elle... En dessous des images carnavalesques, passait en défilant une bande de couleur jaune, sur laquelle on pouvait lire: "Dernière minute. Le tueur de Mary's Street a encore frappé!... »

************

Harry rentrait chez lui, suivant le fil d'un nouvel éclairage à ce qui avait été, jusqu'à présent, sa vie... La tête haute, il méditait, tout en cheminant, sur le radical changement que sa rencontre avec Kate avait provoqué. Finalement, qu'importait désormais que le monde tourne à l'envers. Il y aurait toujours du malheur alentours. Mais finalement, importait davantage le bien qu'il y demeurait néanmoins. Et cela aussi, il y en aurait toujours...
Harry se disait qu'était peut-être là l'annoncement pour lui d'une vie nouvelle et heureuse, à l'instar de son passé. Mais c'était sans compter sur les tours que le destin se plaît à jouer à qui tente de le défier... C'est ce qu'il se dirait par la suite. En arrivant à Mary's Street, Harry s’alarma d’abord à cause des grilles baissées sur la devanture de « La fin du monde ». Tom ne fermait jamais le bar, pourtant... Ensuite il s’alarma des gyrophares bleus clignotants du barrage policier qui avait pris place en bas de la rue, où une flopée de curieux et autres journalistes s’amassaient tels des fourmis autour de policiers à l’air tout aussi affairés... Quelle catastrophe arrivait encore?... Enfin Harry s’alarma pour de bon, quand, s’approchant de l’inspecteur Samson placé en amont du troupeau de badauds afin de lui demander de quoi il retournait, celui-ci lui fit passer les menottes aux poignets avant de donner ordre de le conduire au commissariat...
Une parfaite journée de rêve s’achevait bel et bien; et le cauchemar reprenait de plus belle...

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Albert Stuart ne s’attendait à la venue d’aucun client aujourd’hui... Tout comme il n’en désirait pas vraiment, en fait... S’occuper ses plantations, rechercher de nouveaux specimens, ou feuilleter des ouvrages botaniques tout en fumant la pipe lui suffisaient pour pouvoir qualifier sa journée d’appréciable. S’il n’y avait pas l’argent... Et les hommes... Les hommes posaient sans cesse des tas de questions qui ne rejoignaient toujours qu’un seul et unique point: leur intérêt personnel.

Puis-je avoir un prix?... Non. Avez-vous du terreau, pour celle-ci? Non... Je pense que ça va lui plaire. Fort bien... Je peux vous prendre une bouture?... Oui, si vous payez. Albert Stuart n’avait cure de satisfaire les moindres appétits des estomacs sans fond des clients venus troubler la paix qu’il s’évertuait pourtant d’entretenir... S’il n’était question de vivre, il fermerait boutique et ferait son propre jardin en campagne. Les plantes se suffisaient de peu d’attention. De l’eau, de la terre, de la lumière, quelques recoupes ci ou là... Et elles resplendissaient. Elles, ne lui demandaient rien, alors il leur donnait avec plaisir. Et donc, forcément, quand un inspecteur et un officier de la police entrèrent dans la boutique d’un pas lourd et pressé, Albert trouva la situation vraiment très incommodante.

Les deux hommes lui intimèrent de fermer boutique afin d’avoir une “conversation” en privé. Le vieil homme obtempéra non sans signaler son désagrément par salves de grognements et autres répliques bourrues bien placées...
Il s’installèrent dans le bureau du fond.
"Mr Stuart », commença l’inspecteur, en posant un enregistreur vocal devant lui.
"Je me présente, je suis le détective Milson, et voici l’officier Hanford...
- Vous avez déjà fait les présentations, répondit l’intéressé sur un ton perçant.
- C’est le protocole, pour l’enregistrement, si vous préférez.
- Venez-en au fait." Milson s’étendit, dans un grincement ininterrompu, su rle siège de mauaise facture que le vieux Stuart lui avait proposé.
"Mr Stuart », reprit-il donc.
"Hier, dans la matinée, Peter Blake vous aurait rendu visite, n’est-ce pas?...
- Tout à fait.
- Que voulait-il, au juste?"
Le vieux boutiquier fit mine de se gausser: "Vous m’en posez une bonne, inspecteur!... Mes clients eux-mêmes entrent chez moi sans savoir ce qu’ils veulent!...
- Il n’a donc rien acheté?...
- Non... M’aurait-il dérobé quelque chose?
- Pas que nous sachions », intervint l’officier Hanford, avant de continuer:
"Mr Blake vous a-t-il semblé particulièrement nerveux?"
Albert Stuart se figea, arborant tout à coup une mine beaucoup plus sombre.
"Ce garçon vient souvent. Il n’achète presque jamais rien, et il râle presque tout le temps. Non... Je ne l’ai pas trouvé, hier, plus antipathique que d’habitude..."
Milson, le détective, reprit: "... Si la situation n’était pas si dramatique, je rirais, Mr Stuart. Mais je suis désolé de vous apprendre que Mr Blake est mort la nuit dernière... »

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