Chapitre 4 : Un spectacle surprenant
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais, jamais, connu de loi
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t'aime, prends garde à toi. George Bizet, Carmen
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La semaine s'était écoulée avec une lenteur exaspérante pour Nobuyuki, se languissant de revoir la pupille de Monsieur Yamamoto. Il avait hâte d'assister au spectacle que le plus jeune allait leur interpréter pour les ébahir tous. Sa mère sentait cette tension chez son fils et lui avait dit plusieurs fois, d'aller voir le garçon avant le samedi, mais Nobuyuki craignait d'être trop pressant auprès de lui et préférait espacer leurs entrevues pour ne pas le brusquer.
Le samedi soir vint enfin, Nobuyuki s'était vêtu avec plus de soin encore que d'habitude. Il portait un pantalon noir de costume, une chemise rouge bordeaux avec un nœud papillon noir et des bretelles noires également. Il avait mis des chaussures cirées noires et avait coiffé ses cheveux en arrière avec de la cire. Lorsqu'il descendit, il vit sa mère vêtue d'une robe noire à col roulé et manches longues descendant à mi-mollet, parée d'un sautoir, qu'il connaissait bien, à perles nacrées espacées par une fine chaîne en argent. Il lui avait offert à son anniversaire. Elle s'était bouclée les cheveux et les avait remontés en chignon, sa frange était relevée. Elle s'était un peu maquillée pour l'occasion bien qu'elle n'en aurait eu aucunement besoin tellement c'était une belle femme. Chaussée de bottines noires à lacets et talons hauts, il se mit à côté d'elle prenant son bras pour sortir de la maison. Ils se complimentèrent et échangèrent deux ou trois choses le temps du trajet.
Arrivés au club, toujours suivis de près par le jeune homme de main, ils entrèrent et furent accueillis par le patron qui s'inclina - tel que son nez aurait pu toucher ses genoux - en voyant Madame Suzuki au bras de son fils. Beaucoup de personnes la reconnurent et la saluèrent avec le plus grand respect, sous les yeux ébahis et fiers de son fils unique. Monsieur Yamamoto les installa à une table se situant à un des balcons au dessus du bar du club. Ainsi, ils avaient une vue imprenable sur toute la salle qui était agencée d'une façon très différente de la semaine passée. En effet, les tables avaient été reculées et la scène avancée. Un câble métallique était accroché au plafond et Nobuyuki pu deviner une poulie cachée par des rideaux. Au bout du câble était fixée une barre métallique très semblable à celle sur laquelle Kazuma avait dansé la fois d'avant. Elle était légèrement inclinée et posée sur un carré noir semblant être en caoutchouc. Beaucoup de monde était présent ce soir-là, dont certains clients faisant partie du gratin des grosses entreprises de Tokyo. Apparemment cette représentation allait être particulièrement exceptionnelle d'après les dires du propriétaire leur apportant de quoi se désaltérer et grignoter. La mère de Nobuyuki était conquise par la tournure que prenait sa sortie avec son fils.
Alors qu'il échangeaient gaiement leurs impressions sur la salle et les boissons, la lumière se tamisa et des petits lampions blancs s'allumèrent un peu partout dans le club.
C'est alors qu'il apparu, le torse nu finement musclé dont les côtes étaient tout de même apparentes, seulement vêtu d'un collant noir opaque, les pieds nus. Les cheveux coiffés vers l'arrière, tenant certainement avec des épingles à chignon plates, laissant apparaître les deux côtés rasés de sa tête que Nobuyuki n'avait pas remarqué à leur première rencontre. Ses paupières étaient maquillées en noir, remontant en dessous de ses sourcils et partaient en pointes vers ses tempes. Il avait mis du fond de teint blanc et du noir sur ses lèvres. Ils purent remarquer que des ailes noires très bien représentées, avaient été peintes dans son dos. La musique du Lac des Cygnes de Tchaikovsky se fit entendre, à ce moment-là, Kazuma poussa la barre et la laissa tournée autour de lui, toujours posée sur le carré noir, avant de s'accrocher à elle avec un seul bras, donnant l'impression qu'il marchait dans les airs. Il fit plusieurs pirouettes et se maintint en équilibre dessus comme s'il volait. Les spectateurs étaient admiratifs, de la grâce et de la dextérité du jeune-homme avec sa barre. Ils ne faisaient qu'un. Nobuyuki l'avait déjà ressenti la dernière fois.
Comment fait-il pour créer de tels spectacles alors qu'il travaille toute la semaine sans arrêt, pensa-t-il.
La musique se fit plus forte, Kazuma souleva la barre et la fit tourner, avec douceur, autour de lui. Elle s'éleva petit à petit et il s'y accrocha, se tenant à un bras alors qu'elle était à plus de trois mètres du sol. C'est alors qu'il la fit tourner plus vite et fit plusieurs figures dont une qui subjugua les Suzuki. Kazuma avait effectué un parfait grand écart autour de la barre toujours en mouvement puis s'était lâché, la tête en bas, seulement retenu par ses cuisses, les bras ballant dans le vide. Madame Suzuki avait pris le bras de son fils sous la surprise. Le garçon accomplit comme ça, plusieurs autres figures jusqu'à temps que la barre redescende près du sol. Lorsque les pieds de Kazuma touchèrent le sol, la mère et le fils soufflèrent de concert, ce qui les fit rire, soulagés. Alors que la musique allait se terminer, le danseur s'éloigna de la barre, prit de l'élan avant de s'accrocher à celle-ci seulement avec les jambes, et passa au dessus des tables en imitant un vol d'oiseau à la perfection. Sous le choc, les gens poussèrent des petits cris. Puis Kazuma revint au dessus de la scène, la barre se reposa sur le carré noir. Il glissa sur le sol, imitant la mort du cygne.
La musique s'arrêta alors, la salle fut plongée dans un profond silence quelques secondes, avant que des sifflements, cris et applaudissements ne brisent ce moment de calme. Toutes les personnes étaient debout y-compris les Suzuki. Kazuma se releva, salua le public tout sourire - le cœur de Nobuyuki loupa un battement à cet instant - avant de disparaître dans les coulisses.
Les lumières revinrent éclairer le club, faisant constater à Madame Suzuki et à son fils, qu'aucun d'eux n'avaient bu et mangé lors de l'interprétation.
- Un jeune-homme talentueux et le mot est faible, intervint-elle. Nous allons l'inviter à notre table un soir, son patron ne refusera pas si c'est en semaine et j'escompte le mettre dans la poche de ton père. Si toute fois, il tombe, lui aussi, amoureux de toi... ajouta-t-elle à voix basse pour ne pas être entendu de l'homme de main. Il est doté d'une sensibilité à l'art qui me plaît au plus haut point ! Vous feriez des merveilles en travaillant ensemble ! Le flambeau serait dignement repris ainsi ! dit-elle d'une voix plus haute toujours sous le charme.
- Mère, ne vous enthousiasmez pas trop, j'ai peur que vous ne soyez déçue s'il refuse. Même s'il l'a dit sur le ton de l'humour, lorsque je lui ai donné ma carte, il a clairement montré qu'il n'avait aucune envie de fréquenter le fils d'un Yakuza... soupira Nobuyuki en se passant la main dans les cheveux.
- Aies confiance en toi ! As-tu oublié tout ce que je t'ai enseignée ? s'indigna-t-elle. Tu n'es pas comme tous les fils de Yakuza qui grouillent dans notre pays pour faire le mal. Toi, tu veux faire le bien, et c'est quelque chose de vraiment honorable. Je suis persuadée que ton intelligence et ta sensibilité te permettront de faire de grandes choses, y-compris de gagner le cœur d'un jeune homme plein de préjugés. Akito, mon petit, s'adressa-t-elle alors à l'homme de main, allez chercher le patron s'il vous plaît, je dois lui parler, dit-elle avec un ravissant sourire.
Il s'inclina et disparu derrière le rideau. Madame Suzuki continua de convaincre son fils, lui rappelant les leçons de son enfance, jusqu'au moment où le patron apparu suivit de Akito.
- Ah, Monsieur Yamamoto ! s'exclama-t-elle toujours souriante. Serait-il possible de nous amener le danseur, lorsqu'il sera libre, bien entendu, pour que nous lui parlions ?
- Oui bien sûr Madame Suzuki, s'inclina le propriétaire. L'interprétation vous a-t-elle plu ? s'enquit-il.
- Oh oui, plus que vous ne l'imaginez ! C'est pour cela que je souhaite lui adresser mes compliments de vive voix !
- Je vais le chercher de ce pas, dit-il en s'inclinant à nouveau avant de disparaître derrière le rideau.
Kazuma remerciait quelques clients et clientes, qui lui avaient offerts des fleurs ainsi que des douceurs. Il était touché par toutes ces attentions qui ne cessaient d'accroître après chaque spectacle. Alors qu'il recevait à nouveau un joli bouquet d'une cliente, une main se posa sur son épaule. Il se retourna et vit son patron s'excuser auprès des clients autour d'eux, leur disant qu'il le ramènerait au plus vite. Le danseur s'inclina à son tour pour s'excuser puis suivit son patron sans savoir où celui-ci le conduisait. Ils montèrent les marches menant aux balcons au dessus du club et se tournèrent vers le rideau du milieu.
Le patron entra en premier, laissant Kazuma planté devant le rideau, il entendit une bribe des paroles de celui-ci disant qu'ils ne leur laissaient pas très longtemps car beaucoup de clients demandaient après lui. La voix d'une femme s'éleva en disant qu'elle comprenait et qu'ils n'en auraient pas pour longtemps, quitte à venir le chercher, s'il estimait qu'ils prenaient trop de temps. Monsieur Yamamoto les remercia de nouveau, et sortit, sifflant entre ses dents à Kazuma de bien se tenir avec ces personnes. Intrigué, il pénétra à son tour derrière le rideau qui révéla une femme souriante d'une extrême beauté et Monsieur Suzuki auquel il n'avait cessé de penser depuis une semaine.
Madame Suzuki l'invita à s'asseoir avec eux quelques instants, et lui pria de poser ses cadeaux sur la chaise à côté pour ne pas qu'il s'embarrasse. Elle le complimenta et Nobuyuki fit de même, des étoiles pleins les yeux. Kazuma constata que la mère et le fils se ressemblaient beaucoup par la physionomie et le caractère. Ils le convièrent à un repas chez eux, dans la semaine. Il ne pouvait hélas pas refuser étant donné que la dame était extrêmement aimable à son égard. Il pensait aussi qu'au fond de lui, Nobuyuki lui plaisait, en omettant qu'il était le fils d'un dangereux Yakuza, après tout, ce n'était que pour une soirée... L'intelligence, l'humour et la douceur du garçon avait fait basculer son choix de façon positive et définitive. Il se prit à vouloir mieux les connaître, lui et sa mère.
Le patron vint le chercher au bout d'un quart d'heure. Ils se levèrent comme un seul homme, et les Suzuki le prévinrent de leur décision de convier sa pupille un soir dans la semaine. Monsieur Yamamoto retint sa joie mais personne ne fut dupe. Ils se doutaient tous trois qu'il voyait là l'occasion de gagner plus d'argent. Cela rebuta l'épouse Yakuza qui le cacha parfaitement aux yeux des autres sauf, bien entendu, à ceux que son fils.
Ils se séparèrent et les Suzuki quittèrent le club. Avant de sortir, Nobuyuki se retourna une dernière fois et aperçu un homme tenant Kazuma par l'épaule, il eut un pincement au cœur, mais se résonna... Kazuma n'était pas à lui et il ne faisait que son travail... Il prit alors la décision, de le séduire coûte que coûte. Ce garçon était un trésor qu'il souhaitait chérir plus que tout. En montant dans la voiture, sa mère lui sourit, et comme si elle avait lu dans ses pensées, elle lui souffla à l'oreille :
- Tu y arriveras, je peux te l'assurer...
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