Je suis

6 minutes de lecture

Ne daignez écouter

Ce qui sur moi est péroré.

Une moitié est erronée,

L'autre n'est pas vraie.

Pourquoi me décrire ? Que vous importe que je sois grand beau fort et intelligent. Retenez surtout que je suis modeste et que je passe la serpillère dans les coins - ma seule faiblesse est mon empreinte écologique. Je vous dirais bien de m'appeler monsieur Leroi, toutefois maître Eustache suffira. Laissons de côté ma fraterie qui est sans intérêt particulier.

Je suis né sur une falaise... mais suffisamment loin du bord. Pas assez près pour voir la mer mais suffisamment haut pour ressentir le mal de l'air. Dès lors vous comprendrez que les fjords exercent sur moi une fascination toute particulière. Surtout l'été, lorsque les températures élévées me permettent de sentir la brise marine le long de mes mollets. Une amie dit que j'ai de belles gambettes, c'est vrai, c'est vrai ! Autrement, je ne vois pas de quoi être fier... d'autant que mon plus grand projet n'est pas encore abouti. Comme il ne concerne pas mon activité d'écrivain de fiction, je ne vois pas l'intérêt de m'en gargariser. L'atteinte des objectifs fixés par mon N+1 La résolution d'un problème, l'achèvement d'une tâche, le sourire d'autrui suffisent à mon bonheur. On verra après pour les femmes, l'argent et la célébrité.

De toute façon, en bon être aigri et rancunier, je déteste les gens. Je n'ai donc pas d'amis, personne de qui m'inspirer et, de toute façon, n'aime pas les rencontres. Mes seules relations sociales se limitent à l'élevage de vers de compost et caresser mon chat de Schrödinger en riant très fort. Avant j'avais un oursin fossilisé aussi, mais il s'est sauvé. Chaque matin, je vénère la tête de vache accrochée dans l'entrée après avoir bu ma chicorée (c'est bien de chez nous, ça, par rapport au thé ou au café)... mais pas avant 10 heures car je ne suis ni du soir, ni du matin : les extrêmes ne me tentent pas. Cependant j'aime autant savourer une aube naissante qu'un crépuscule languissant. La présence du jaune, peut-être... De même, entre chien et chat, je refuse de prendre parti ; de toute façon, c'est la sauce qui fait tout et elle est généralement identique. Je crains d'ailleurs que, quel·le·s qu'iels soient nos élites nous conduisent droit dans un mur. Mais le plus effrayant, c'est bien qu'ils arrivent à nous y mener plus simplement que des veaux à l'abbatoir !

Comme eux avec l'urgence écologique, j'aime procrastiner. Cependant critiquer reste mon passe-temps de prédilection. C'est une activité que je pratique en solitaire, tapi au fond de ma caverne. Je choisis avec soin ma victime. De mes griffes acérées, je tricotte la trame de ma mécancheté. Tel un albatros, je survole les réseaux et, quand je repère une brèche dans laquelle m'infiltrer, je plonge, noir cormoran contre le fretin, et m'en délecte sans modération. Je peux y passer des week-ends entiers, excité par l'envie de répliquer, de ridiculiser, d'enfoncer l'autre. C'est ainsi que je me grandis, moi le petit. Je n'ai donc pas le temps de voyager et je ne veux surtout pas verser dans cette imbécilité qui consiste à prétendre que prendre un avion pour aller quelques jours ailleurs c'est voyager. Le voyage, c'est une expérience, un temps pris sur le quotidien. Il débute dès les premiers pas, et ce n'est pas la destination qui importe mais le chemin que l'on emprunte. Quand on doit gagner sa vie au quotidien, voyager apparait compliqué. Quant aux ceusses qui prennent l'avion pour aller, qui en Crète, qui en Thaïlande ou en safari, ils font du tourisme et pire, ils consomment. Si l'humanité pouvait arrêter avec le consumérisme ! Si nous batissions des sociétés capables de se contenter de ce que la Terre peut nous offrir, sans trop impacter la vie des autres êtres vivants ne serait-ce pas mieux ? On a qu'une planète... autant ne pas la gâcher.

Je pourrais cependant voyager avec la télé, si je la regardais encore. Elle est devenue un instrument d'abrutissement et de domination des masses, accessoirement un outil de propagande. Quoique, du temps de la chaîne unique, ça devait déjà être compliqué de donner dans la pluralité. Actuellement, la difficulté est techniquement levée, mais d'autres obstacles sont venus se greffer. De mon point de vue, les séries participent à cette dynamique : elles créent un nouveau besoin, que dis-je une addiction. Pendant que vous les "bingewatchez", vous oubliez certes votre mortalité, mais, surtout vous évitez de vous rebeller... accessoirement vous crachez vos thunes à une multinationale qui vous a bien roulés puisqu'elle vous vend du vent un service dont vous vous passeriez très bien. Je pourrais vous lancer le classique "on vivait bien sans avant", mais il me parait plus opportun de vous laisser vous interroger sur ce que serait votre vie sans votre cam série préférée. Le changement est-il radical ?

De plus, je pense que, même d'un mauvais livre, on peut tirer quelque chose - ce qui ne veut pas dire qu'on doive s'infliger la lecture jusqu'à son terme. Alors que d'un mauvais film... Ajoutons que le cinéma local ne passe pas les films qui me font envie et que la télé rabache les mêmes navets, voilà deux bonnes raisons de préférer les livres. Cependant, ça ne m'empêche pas d'avoir des plaisirs cinématographiques. J'ai bien aimé Jeanne d'Arc de Bruno Dumont ou La Loi de la Jungle d'Antonin Peretjacko. Mon film préféré reste Battle of Britain réalisé par Guy Hamilton et sorti en 1969. La vision de cette bataille est certes d'époque, mais le spectacle reste assuré et surtout, ses images disent quelque chose. La musique est également bien utilisée, au contraire des "bolkbuster" actuels dans lesquels elle vient appuyer lourdement, avouant ainsi toute la médiocrité de la mise en scène et du jeu des acteurs. Si je peux d'ailleurs vous proposer un morceau, ce serait How To Not Drown de Chvrches ; même si je ne comprends pas ce que ça raconte. Peut-être que je devrais arrêter de chercher, comme pour la scène illustrant la bataille de Paris dans le film Jeanne d'Arc précité.

En matière de livre, je n'ai pas de chouchou. Ça reviendrait à reconnaître une valeur à leur auteur·e, donc à me priver de pouvoir les détester. Impensable ! J'ai cependant apprécié Description d'un Combat de Kafka, auquel j'ai trouvé une modernité dans le passage du gros homme et une description poétique et juste de la dépression. Dans le même ordre d'idées, je trouve que Le Meilleur des Mondes de Haldous Huxley est très pertinent quant à sa critique de la société. C'est en plus le dernier qui m'ait laissé un agréable souvenir. Cependant la citation pour laquelle je garde une tendresse ne provient pas de ses ouvrages mais de La Volonté de Puissance, oeuvre posthume et apocryphe s'il en est de ce bon vieux Friedrich Nietzsche : "La naïveté consistait simplement à prendre l’idiosyncrasie anthropocentrique pour la mesure des choses, comme norme du « réel » et de l’« irréel » : bref, de rendre absolue une chose qui est conditionnée". On pourrait aussi retenir l'antique "Men sana in corpore sano", indiquant que sport et lecture sont complémentaires. Dans l'un comme dans l'autre, l'essentiel est de trouver son rythme et son plaisir, les deux concourent à notre bonne santé.

Car quoi de plus précieux que la vie ? Or la pollution, le dérèglement climatique, des conditions de travail irrespectueuses et une retraite qui recule sans cesse, une pensée qui vous est imposée parfois votre insu, n'est-ce pas se la faire voler ? Je ne me pose pas de question sur mon avenir, j'essaie déjà d'agir dans le présent ; dans dix ans, je serai sans doute pauvre et suant comme un goret. Peut-être ne supporterai-je plus la ville, le four impersonnel qu'elle est devenue. J'idéaliserai alors la campagne comme moult citadins se brisant les dents dans leur carrière irréfléchie de néoruraux. On a qu'une vie... autant ne pas la gâcher.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Romogolus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0