Chapitre 3
J’attends patiemment que le médecin sorte de la chambre de Tricia pour avoir de ses nouvelles. Cela fait maintenant près d’une demi-heure qu’il est à son chevet et la boule dans mon estomac refuse de disparaitre, j’ai la désagréable impression que ce qu’il est en train de se passer dans cette chambre est sur le point de bouleverser ma vie, dans le bon ou mauvais sens, je n’en ai aucune idée. Alors assis sur ma chaise de la salle d’attente, je tente de faire abstraction de cette migraine atroce qui me compresse le crâne. Je devrais peut-être demander un antalgique au médecin à son retour, je ne suis pas sûr de pouvoir passer le reste de la journée dans cet état. Je n’ai actuellement qu’une envie pour soulager ma douleur, m’enfermer dans le noir, au fond de mon lit et attendre que tout cela veuille bien disparaitre. Mes muscles endoloris auraient eux aussi besoin d’une bonne nuit de sommeil pour se remettre de leurs émotions. Je suis encore tout tendu et tout ankylosé, et je déteste ça.
Quant au bout de quelques minutes, le médecin se décide enfin à passer le seuil de la porte, je me relève doucement et le rejoins.
- Vous êtes de la famille de mademoiselle Resken ?
J’acquiesce et le pousse à continuer.
- Très bien. Elle se retrouve actuellement dans un état comateux nécessaire à la rémission dont elle a besoin le temps que toutes ses facultés se remettent du choc qu’elles ont subi. Elle a dû recevoir une grosse charge de fatigue qui a poussé son corps à la faire perdre connaissance. Mais ne vous inquiétez pas, elle se réveillera. Il lui faut juste beaucoup de repos et tout se passera bien.
- Je peux la voir ?
- Oui, mais il est important que son environnement reste calme. N’hésitez tout de même pas à lui parler, elle n’est peut-être pas là physiquement mais son cerveaux continue de fonctionner. Entendre une voix familière serait surement un bon facteur pour accélérer le processus de rétablissement.
Je le remercie et entre dans la chambre. Elle est allongée sur le lit, inconsciente, reliée à un monitoring, à une perfusion et à un appareil respiratoire. Je me sens mal à l’aise. J’ai toujours vécu en tant que loup-garou et les endroits n’ont jamais vraiment été mon fort. De plus, ces murs blancs et cette odeur de désinfectant éveillent en moi des souvenirs que je croyais enfouis depuis bien trop longtemps.
Je prends une grande inspiration et m’approche. Je ne sais pas quoi faire, pas quoi dire… Comment me comporter ? J’ai les mains qui tremblent légèrement et je suis aussi nerveux que le jour où j’ai passé mon BAC.
- Salut…
Je déglutis et m’assoie sur le fauteuil installé au coin de la pièce.
- Je ne sais pas vraiment par où commencer. Le médecin m’a dit que tu étais plongé dans une sorte de comas pour te préserver. Tu aurais dû me dire que le sort présentait autant de risques, j’aurais peut-être pu changer d’avis ou on aurait trouvé une autre solution.
Je souffle et me frotte le visage, je dois avoir une mine affreuse. Je suis fatigué, je veux dormir, mais l’état de Tricia m’inquiète bien plus qu’il ne le devrait. L’ambiance des lieux, le fait que nous ne soyons que tous les deux dans cette pièce close, qu’elle ne se souviendra probablement pas de ce qu’il se passe en ce moment fait tomber quelques-unes de mes barrières. J’ai une soudaine envie de lui confier ma vie, la raison pour laquelle elle risque actuellement la sienne…
- Je l’aimais tu sais ? Maria. Elle était toute ma putain vie.
Je m’appuie contre le dossier du siège et ferme les yeux, tentant de freiner les larmes qui me montent aux yeux.
- Nous étions parfait ensemble. Si tu l’avais connue, je suis persuadé que vous auriez pu bien vous entendre. Elle avait un sale caractère, elle travaillait beaucoup et elle savait ce qu’elle voulait. Un peu comme toi.
Je me stoppe, sentant ma voix perdre de l’assurance. Mais une petite voix au creux de mon oreille me pousse à lui raconter, à me soulager de ce poids.
- Quand je l’ai rencontré, je crois n’avoir jamais été aussi heureux de ma vie. Mon âme-sœur, elle était enfin là. Nous avions nos plans, tout un avenir s’offrait à nous… Puis cet enfoiré est venu me la prendre.
Je renifle et repense à ce jour affreux. Je rentrais d’une réunion importante avec les membres haut placé de ma meute quand j’ai ressenti cet étrange pressentiment devant la porte de la maison. Une odeur que je ne connaissais pas était partout autour de la bâtisse et un silence pesant régnait. Mais quand je suis rentré, j’ai tout de suite été rassuré quand le son de la télévision est arrivé à mes oreilles. Heureux de pouvoir lui parler des nouveaux plans mis en place pour le futur de la meute, jusqu’à ce que je n’entre dans le salon, complètement ravagé. La pièce autrefois si chaleureuse n’était maintenant plus qu’un champ de bataille. Une odeur métallique flottait et ce qu’à la vue de cette énorme tâche de sang sur le parquet que je compris. On me l’avait enlevée. Un frisson de terreur m’avait traversé le corps à cet instant, rapidement suivit par la panique. Les membres tremblants, je criais partout dans la maison. Courait, vérifiait dans chaque pièce de notre chalet sans aucun signe de vie. Les mains tremblantes, j’étais retourné dans le salon, l’odeur de son sang m’entourait et me pétrifiait. Le cadre de nous briser me retourna l’estomac et c’est en le regardant. En fixant la vitre explosé que mes jambes flanchèrent. Les larmes silencieuses s’étaient transformées en sanglots avant qu’un hurlement déchirant de sorte de ma poitrine. Elle saignait, elle saignait tant. On me l’avait enlevée, mon âme-sœur, ma future femme… J’avais saisi ce petit écrin en velours de ma poche et l’avait ouvert, contemplant la bague que je devais lui offrir. Nous aurions dû nous fiancé, avoir des enfants… Et les sanglots redoublèrent d’intensité avant qu’un vide immense ne se fasse ressentir, me coupant le souffle et me paralysant plusieurs secondes. Ma tête me brûlait et je sentais mes entrailles se déchirer en même temps que ce qui était le dernier hurlement de mon loup ne se fasse entendre, exposant au monde entier notre douleur. La quantité de sang présente au sol ne laissait rien présager de bon quant à l’état de santé de notre moitié et il était parti. Préférant mourir, s’éteindre, au lieu de m’accompagner dans cette douleur qui m’horrifiait et qui me pétrifiait le cœur à un stade de souffrance que je croyais jusqu’alors inexistant…
- Ils me maquent tu sais. Chaque jour un peu plus que la veille. Mais je ne peux pas abandonner. Pour ma meute. Pour elle. Pour mon loup aussi, je lui en veux de m’avoir laissé, beaucoup, mais je pense l’aimer encore plus. Alors tu n’imagines pas qu’au moment où j’ai vu ce papier signé de la main de cet enfoiré me souhaitant une longue éternité de souffrance loin de ma femme, j’ai explosé. Littéralement. J’ai brûlé le chalet dans lequel nous vivions et j’ai pris la maison de meute. C’est grand, trop grand. Et bien trop vide. Je me sens si seul par moment que je bois dans le seul but d’oublier. Puis j’ai voulu la venger et je t’ai rencontrée.
Je laisse échapper un petit rire.
- Vous avez ce même trait de caractère qui vous pousse à m’envoyer chier quand vous le voulez. Je dois être masochiste, parce que j’aime ça, j’en ai plus qu’assez de devoir dominé le monde, j’aurais parfois, juste pour quelques jours, pouvoir tout quitter et partir. Loin. Si loin. Je pense que je ne reviendrais même jamais. Alors je reste, je serre les dents, je bois et je travaille…
Je me sens pathétique. Pourquoi lui parler de ça ? Je dois me reprendre, je ne peux pas me laisser faiblir comme ça, c’est impossible, je n’ai pas le droit.
Alors je me relève et je quitte la pièce sans un regard en arrière. Je reviendrais plus tard.
***
Plongé dans la paperasse administrative, un verre de whisky à la main, j’entends à peine mon téléphone vibrer dans un coin de mon bureau. Je l’attrape et remarque déjà un message vocal d’un numéro inconnu. L’hôpital. Tricia est réveillée. Je replie mes dossiers et me prends ma voiture pour la retrouver. Au bout de trois jours de sommeil, elle a enfin décidé d’ouvrir les yeux.
La route jusqu’à sa chambre ne m’a jamais semblée aussi longue, je tente de conserver une attitude sereine mais tout se chamboule à l’intérieur de moi. En entrant, nous nous regardons dans les yeux sans vraiment comprendre ce qui nous arrive, elle est épuisée, son teint blanc me glace le sang, et j’ai à peine le temps de posé mes affaires sur la petites table qu’un médecin entre dans la chambre avant d’attraper le petit dossier au fond du lit de Tricia. Il nous salue rapidement d’un signe de tête avant de parler.
- Mademoiselle, j’ignore ce que vous avez fait pour pousser votre corps à s’éteindre pour ces quelques jours, mais je peux en revanche vous donner la raison pour laquelle vous êtes resté dans le coma ces trois derniers jours.
Nous nous regardons sans comprendre où le médecin veut vraiment en venir. Aurait-elle un souci de santé particulier qu’elle aurait oublié de souligné ? Après avoir passé autant d’année à nous voir presque tous les jours je pense qu’elle m’aurait tenu au courant, je ne sais pas.
Son regard quitte le mien et elle demande à l’homme de poursuivre.
- Nous vous avons fait faire une prise de sang pour comprendre pourquoi votre corps s’était plongé dans cet état et nous avons découvert une chose. Vous êtes enceinte.
Annotations
Versions