Chapitre 6
Dans la salle d’attente des urgences, aucun de nous n’ose parler. Tricia se tord nerveusement les doigts alors que je me contente de fixer le poster en face de moi comme si c’était la meilleure chose au monde. « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. ». Connard. Je souffle et me tourne vers Tricia qui trépigne sur place. Son assurance habituelle à complètement disparue pour laisser place à de l’inquiétude, et je pose une main compatissante sur son genoux, quoi que je puisse en dire, ce bébé, on l’a fait à deux, même si je n’en veux pas, il est là, point.
Quand le médecin vient nous chercher, nous nous levons d’un seul homme avant de le suivre jusqu’à la salle de consultation. Il prend Tricia à part et je les entends vaguement discuter avant de revenir, de longues minutes plus tard. Toujours assis de l’autre côté du bureau, je les regarde prendre place. Tricia semble nerveuse et le médecin reste impassible, je m’impatiente de plus en plus et l’inquiétude de Tricia commence peu à peu à déteindre sur moi. Mes mains deviennent de plus en plus moites et l’homme en face de nous se racle la gorge avant de prendre la parole.
- Bien, mademoiselle, je dois vous dire que votre état de santé m’inquiète. Je vais appeler le gynécologue maintenant pour qu’ils vous voient en urgence pour vérifier la santé de votre bébé.
- Comment ça la santé du bébé ?
La voix de Tricia est chevrotante.
- Il… Il…
Le médecin lui lance un regard compatissant alors que j’ignore comment réagir. Le bébé serait-il en danger ? J’interroge le médecin du regard.
- Pour une simple échographie de vérification. Je ne pense pas qu’il y est de soucis pour lui mais il est préférable de vérifier tout de même. Une simple vérification. Toutefois, je vous demanderais mademoiselle de limiter vos efforts au maximum, pour vous et le bébé. Mais je ne veux pas m’avancer trop vite, je transmets mon rapport à mon collègue et il vous accueillera au cinquième étage.
Nous acquiesçons avant de nous lever ; Tricia chancelle et je passe un bras autour de sa taille pour la maintenir jusqu’au ascenseur en saluant le médecin. Elle est plus pâle encore qu’en arrivant alors que nous franchissons le seuil du cabinet gynécologique. On nous fait entrer directement et le médecin nous explique ce comment il va procéder.
- Je vais vous faire une échographie pour voir à quel stade de la grossesse vous vous trouvez et je vous ferez des examens de base pour vérifier si tout se passe bien, d’accord ?
Nous acquiesçons et Tricia passe derrière un rideau, je ne sais pas où me mettre ni quoi faire quand le gynécologue ne m’invite à les rejoindre. Je suis mal à l’aise, les mains de Tricia tremblent et le regard qu’elle me lance ressemble bien plus à un appel à l’aide qu’il ne le devrait, alors je prends sur moi et attrape sa main dans la mienne. Cet enfant, on l’a fait tous les deux, je dois être là pour elle. Je me répète cette phrase encore et encore alors que le gynéco étale un gel sur le ventre de Tricia. Elle sursaute alors que la sonde se pose son ventre et tourne rapidement son regard vers l’écran. Je suis son regard et sans comprendre ce qu’il se passe sur l’écran, mon cœur s’accélère et je n’arrive plus à le lâcher yeux, il est là, en face de moi... Le médecin finit par nous montrer du bout de son doigt ce que je comprends être la tête avant de glisser son doigt jusqu’à ce qui semble être de minuscules petit pieds. Il demande quelque chose à Tricia mais je ne comprends pas ce qu’il dit, complètement isolé du monde, perdu dans la contemplation de ce petit être, jusqu’à ce que des battements de cœurs ne se fassent entendre. J’ai un mouvement de recul et écarquille les yeux, le souffle coupé. Le frisson qui me traverse le corps me laisse sans voix. Boum boum, boum boum. C’est son cœur, le sien, il est là, pour de vrai… Et je comprends enfin que cet enfant est là, qu’il est prêt à vivre, à grandir et à être aimé…
- Vous êtes à votre quatrième mois de grossesse et le bébé se porte visiblement très bien.
La voix du médecin est plus douce que lorsque nous sommes arrivés, il me regarde avec délicatesse et coupe le son du bébé, me faisant revenir sur Terre, complètement bouleversé.
- Je vais procéder à d’autres examens avec madame et nous nous retrouvons après d’accord ?
Je baisse mon regard vers Tricia est son regard larmoyant rempli d’amour me chamboule. Ce bébé est aussi le mien… C’est… C’est mon bébé… Je hoche la tête et elle serre doucement ma main avec un petit sourire avant que je ne reprenne place, seul, en face le bureau. La tête posée entre les mains, je prends conscience de ce qui se passe vraiment, c’est mon bébé, mon bébé à moi. Il n’est pas de Maria mais il est là. Mon cœur se gonfle et se brise en même temps, je l’ai trahie, elle doit souffrir et me voilà avec un enfant… Il n’a rien demandé, ce n’est qu’un bébé, il aura besoin de ces deux parents, et je m’en rends enfin compte. Je ne peux pas les abandonner, pas maintenant, ni jamais. J’espère juste que Maria l’acceptera tout de même, je ne pourrais pas choisir, pas maintenant que je l’ai vu de mes propres yeux et que ses battements de cœurs aient résonné entre ses murs blanc. C’est la plus belle mélodie qu’il m’ait été donné d’entendre…
Mais quand ils reviennent enfin à mes côtés, je comprends que quelque chose ne va pas. Je fronce les sourcils et me redresse en fixant Tricia qui baisse la tête. Je me tourne vers le médecin qui finit par prendre la parole après que Tricia lui ait donné son accord.
- L’enfant est en très bonne santé et ne présente aucun signe d’une quelconque faiblesse, en revanche, pour madame, c’est autre chose. Votre état de santé est très inquiétant et je doute que votre corps, vu la situation actuelle, puisse supporter la grossesse.
- C’est-à-dire ?
- Ses chances de survie à l’accouchement sont très faibles. L’utérus est extrêmement fragile et il suffirait de peu pour que vous fassiez une fausse couche. Je ne devrais être en possibilité de vous parler d’avortement à ce stade de la grossesse mais vous pouvez prendre cette possibilité en compte si vous le souhaitez.
Il regarde Tricia dont les larmes commencent à perler le long de ses joues.
- Et si j’avorte ? Je survivrais ? Je pourrais avoir un autre enfant un jour ?
Le médecin se masse la nuque avant de reprendre.
- Je ne peux rien promettre sur votre état de santé après l’avortement, mais, non, votre utérus est trop endommagé pour que vous puissiez retomber enceinte, cet enfant est déjà un véritable miracle.
- Alors je le garde.
Je me redresse et la regarde, surpris. Elle ne peut pas sacrifier sa vie, c’est impossible.
- Je vous laisse la semaine pour y réfléchir calmement, mais surtout, si vous décidez de le garder, reposez-vous. Ne faites aucun effort, je me suis bien fait entendre ?
Nous acquiesçons avant de régler la consultation et de quitter l’hôpital, la tête baissée, le sort était donc si dangereux ? Elle aurait pu y laissé sa vie pour un sort qui ne semble pour l’instant pas réellement fonctionner. Mais peut-être est-ce encore trop tôt ? Je ne sais pas. Le trajet jusqu’à l’appartement de Tricia se fait dans un silence pensant, plein de non-dits. Elle veut garder l’enfant au détriment de sa propre vie. Pourquoi ? Je ne comprends pas, mais elle semble sûre d’elle, et je ne suis plus très sûr de vouloir la laisser avorter, voir et entendre le bébé m’a remué d’une façon que je ne pensais pas être possible. Il avait l’air si fragile…
Nous entrons dans le salon et je l’aide à s’installer sur le canapé.
- Tu vas venir vivre chez moi.
- Quoi ?
- Le médecin a dit que tu devais te reposer et, comme tu veux garder le bébé… Je me suis dit qu’il serait beaucoup mieux pour toi que tu viennes vivre chez moi. Tu pourrais te reposer tranquillement en attendant de voir si tu guéris ou non…
Elle me dévisage avec surprise, visiblement, elle ne s’attendait pas à une telle proposition mais je me sens responsable de sa sécurité et coupable de la voir dans cet état, c’est de ma faute, je dois l’aider. Tricia ne semble pas savoir quoi répondre et finit par acquiescer simplement. Elle se relève mais je l’en empêche, lui demandant où se trouve sa valise et lui demande de se reposer pendant que je prépare toutes ces affaires avant de partir en direction du manoir, les journées qui arrivent s’annoncent difficiles.
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