3 : Le moment est choisi.

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 Je sais à quel moment de ma vie je dois remonter. Je sais que pour la sauvé je dois revenir avant sa maladie, suffisamment tôt pour qu'elle n'ait jamais besoin de traitement lourd. Elle a été malade durant deux années, et est décédée en deux mille trois, alors, pour bien faire, je devrais remonter quelques années avant l'année deux mille.

 J'ai donc décidé de me fixé l'année de mes huit ou neuf ans, je comprenais bien les choses à cette époque. En revanche, je ne sais pas si je vais avoir ma mémoire de cette vie-là. Si ce n'est pas le cas, je vais devoir en apprendre plus d'abord, savoir comment je peux faire pour me donner des informations sur mon futur. En même temps, c'est comme si je jouais ma mémoire à pile ou face. J'espère seulement que je ferais le bon choix.

 - Pourquoi tu me demandes ça, me questionne Vadek.

 - Si je te disais que j'ai la possibilité de changer une seule hose de ma vie, lui lançais-je, et que j'ai décidé de demander à toute la famille ce qu'il changerait pour savoir si mon choix est aussi celui de tous ?

 - Je te dirais que tu es folle, dit-il. Mais je sais que tu ne plaisanterais pas là-dessus, en même temps, cela pourrait tout aussi bien être pour une de tes histoires, celle que tu aimes tant inventer.

 - Que je suis folle ? Tu es donc d'accord avec ce que toute la famille pense, dis-je encore une fois blessée, mais, non, je ne plaisante pas, enfin, je ne sais pas si cela va fonctionner, mais si cela fonctionne, c'est cela que je vais changer. Nous aurons une vie différente, et rien de ce que nous connaissons de notre vie d'aujourd'hui ne sera dans celle que je vivrais, et toi aussi d'ailleurs.

 - J'appelle tout de suite les pompiers pour te faire interner ou j'attends encore un peu me questionne-t-il.

 - À toi de voir, lui dis-je, mais si tu me fais interner, je ne pourrais pas essayer de sauver notre mère. Ni changer toutes nos vies, celle de toute la famille.

 - Pourquoi veux-tu que cela change les vies de tout le monde, me demande-t-il.

 - C'est bien simple, dis-je, si l'on change une seule chose d'une vie, d'un moment, la reste en est chamboulé.

 Je vois que je viens de le perdre, en même temps, là-dessus, je comprends parce que si je n'avais pas réflachis à cela toute la nuit, je pense que j'aurais donné la même réponse qu'il vient de me donner. Je ne suis pas quelqu'un de très intelligente, je ne suis pas quelqu'un qui pourrait décrocher un prix nobel ou un quelconque diplôme d'ailleurs. J'ai passé toute la nuit à y penser, alors je ne sais pas si je divague ou si mes propos sont cohérents avec la réalité. En même temps, je ne donne pas cher de ma santé mentale si quelqu'un m'entendait parler, hormis mon frère, cela va de soi.

Dans quelques jours, dimanche pour être précise, nous allons chez l'une de mes soeurs pour un repas de famille, comme il aime à appeler cela, je dirais plus que c'est un moyen de farfouiller dans la vie de tout à chacun, celle de mes soeurs, de mes frères, celle de mon père ainsi que la mienne. Pourtant, je ne suis pas friande de ces moments-là. Bien au contraire, et je sais qu'il en va de même pour Vadek.

 Je sais que beaucoup de choses changeraient, comme le fait que mon père ne tombe pas dans l'alcool. Il n'aurait donc pas passé autant de temps dans les bars à boire autant de verre au point d'en vomir à une centaine de mètres de la maison. Il n'aurait jamais été aussi déprimé qu'il est depuis que sa femme est partie. Il aurait sans doute moins fumé, ce qui lui aurait évité de finir quelques fois à l'hôpital. Lorsqu'il a eu son AVC, nous aurions compris plus tôt que cela n'allait pas et il n'aurait pas risqué de se tuer en partant de chez moi pour rentrer chez lui.

 Mon grand frère n'aurait pas eus à nous garder chez lui pour que nous ne nous retrouvions pas seuls à la maison alors que nous n'avions pas encore treize ans. Nous n'aurions pas eus à grandir trop rapidement, de réaliser que nous ne pouvions plus être des enfants, mais de devoir grandir ben trop vite.

Notre famille en aurait été bien différente, je le sais, notre mère n'aurait pas permis tout cela, elle n'aurait jamais laissé mes soeurs dire qu'écrire et limite signe de folie, elle aurait fait de son mieux pour nous pousser vers le haut, tandis que notre famille se pousse dans les mûres les uns les autres. Jamais elle n'aurait accepté les tons pris par certains de ses enfants pour parler aux autres de la fratrie. Non, la vie d'aujourd'hui, celle que je connais n'aurait jamais été ainsi.

 Mon passé avec les hommes n'aurait pas été si chaotique. Je n'aurais pas cloisonné mon coeur parce que j'aurais trop souffert. J'aurais évité certaines personnes, je n'en aurais pas rencontré d'autres, tout mon choix aurait été différent, je pense.

 - Je ne comprends toujours pas où tu veux en venir, dit-il, en quoi le fait de changer une seule chose peut faire que toute la vie est changée.

 - Nous ne l'aurions pas perdue, dis-je, nous ne saurions pas ce que cela fait de perdre quelqu'un d'essentiel à notre famille. Nous ne penserions pas de la même manière.

 - Si je comprends bien, dit-il, jamais nous n'orions vider le téléphone de cette fille avec qui papa voulait refaire sa vie. Elle n'en aurait pas souffert et papa non plus. Nous ne l'aurions sans doute jamais connu. C'est bien ça ?

 - Oui, c'est bien ça, lui affirmais-je. Bien d'autres choses encore changées, je n'aurais jamais cessé de dessiner par exemple, et je ne me serais peut-être jamais mise à l'écriture.

 - Non, tu aurais écrit, dit-il avec conviction, je me souviens qu'en primaire tu écrivais, et tu as rempli pas mal de cahier, les maîtresses en avaient marre que tu leur demandes régulièrement un nouveau cahier parce que tu les avais tous remplis.

 - Peut-être, opinais-je, mais je sais que je n'aurais pas autant écrit, j'ai toujours préféré le dessin à l'écriture lorsque nous étions enfants.

 C'est vraie qu'en parlant de cela, je réalise qu'il n'a pas tort, j'écrivais petite, pourtant, de tout cela, je n'ai rien gardé. J'ai préféré tout brûler, une manière pour moi de tout laisser à ma mère, elle aimait tant ce que j'écrivais, même si avec le recul, je me dis que cela devait être bien minable. Elle aimait aussi mes dessins, et je pense que j'aurais continué, j'en aurais peut-être fait mon métier.

 Je sais aussi qu'elle m'aurait poussé dans ma scolarité, je n'aurais pas totalement décroché, j'aurais sans doute eu un diplôme et un métier qui me plait. Je n'aurais peut-être pas eu d'enfant, ou alors j'en aurais eu d'autres. Je me tourne vers le couloir et vois la porte de mon fils, il ne serait pas la si ma mère avait vécu.

  - C'est sûr, dit-il, tu ne m'aurais jamais demandé de lire tout ce que tu as écrit.

 - En même temps, tu ne l'as jamais fait, dis-je, comme personne dans la famille.

 - Personne n'aime autant lire que toi, ajoute-il, c'est peut-être pour cela.

 - Peut-être, mais ce que je ne comprends pas, dis-je, c'est pourquoi ils ne m'ont pas dit au dépas qu'ils n'en avaient rien à faire, toi y compris. Vaut mieux une vérité qui blesse à qu'un mensonge qui apaise. Tu ne trouves pas ?

 Je sais que pour eux, tout ce que j'ai écrit ne sert à rien, n'a aucune valeur ni aucun intérêt. Cela, je l'ai compris désormais, alors, je ne leur demande plus. Je me souviens de la première fois ou j'ai demandé à l'une de mes soeurs de lire une histoire, et encore, ce n'était que le premier tome. Aujourd'hui, j'en suis au tome cinq et je sais que je vais en écrire encore des histoires, j'en ai besoin depuis que notre mère nous à quitter. Je ne peux pas leurs parlés, elle n'écoute pas. Elle ne comprenne pas, personne ne comprend d'ailleurs pourquoi je me suis mise à écrire, personne ne m'a jamais demandé pourquoi je le fais. Non, même mon frère qui est, aujourd'hui, devant moi et qui me pense folle ne le fera jamais.

 - Tu as peut-être raison, dit-il, mais tu sais que je n'aime pas lire.

 - Certes, dis-je, mais toi, comme les autres d'ailleurs, auraient pu faire l'effort de lire ce que j'ai écrit. Je voulais avoir votre avis, que vous pussiez m'aider à en faire quelque chose de mieux, parce que je le sais, cela n'est pas terrible.

 - Ce n'est pas que ce soit nul non plus, s'empresse-t-il d'ajouter.

 Cela est trop tard de toute manière, je sais qu'ils ne liront jamais, tous autant qu'ils sont. Et puis, s'il venait à le faire un jour - ce qui n'arrivera pas je le sais pertinemment, il ne me dirait rien de bien sûr mes textes. J'ai également fait cette erreur par deux fois, offrir un texte à quelqu'un, là également, j'avais eu la promesse de lecture, d'avis aussi, mais non. Cela ne s'est jamais fait.

Avec le recul que j'ai sur la première histoire que j'ai écrite pour quelqu'un, je sais que cette personne avait lu, mais puisque j'avais écrit la suite, je l'avais informé, mais la réponse a été franche au moins. Non, cette personne ne lirait pas la suite, et j'avais compris. En revanche, pour la deuxième histoire que j'ai écrite, je ne l'ai pas commencé et décidé de l'offrir ensuite, non, celle-ci, je l'ai écrite du début à fin pour cette personne. Un an et demi plus tard, toujours pas lu.

 C'est pourquoi, je me dis que dans la vie que je mènerais après être partie pour changer un détail qui aura façonné ma vie, je n'écrirais pas. Je n'aurais pas ce besoin de mettre des mots sur le papier pour ma santé. Non, je n'aurais pas de fausses promesses, de ce désintérêt complet. Tout cela, je ne le vivrais pas mal, cela ne m'atteindra pas puisque cela ne sera pas.

 - Comment sais-tu que ce n'est pas nul, lui demandait, tu ne peux le savoir puisque tu n'as pas lu.

 Je le vois ouvrir la bouche et rester stoïque, je comprends que je viens sans doute de le blesser, mais cela me laisse de glas, lui aussi m'a blessée et davantage encore que ce que je viens de lui dire. Il est reparti quelques heures plus tard, cela ne l'atteint déjà plus, il rentre chez lui avec les quelques conseils que j'ai pu lui donner, mais je ne saurais jamais si cela a donné quoi que se soit. Je n'attendrais pas plus longtemps.

 Je vais prendre le collier dans la boîte, et sous le coussin, la petite notice explicative. Tirer la petite mollette sur le côté, tourner les anneaux jusqu'à la date que je souhaite et appuyer sur la molette. Je règle donc la date au premier janvier mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit.

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