Chapitre Onze

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Le lieutenant El Kalaï buvait un café, les yeux rivés sur le dossier posé devant elle.

Il fallait rentrer à Paris si rien ne se passait à Genève.

Mais le lieutenant n'était pas une imbécile, elle se rendait compte que des choses se passaient.

Seulement...

" Cette place est libre, madame ?," fit une voix douce et agréable.

El Kalai leva les yeux, prête à grogner contre l'importun. Elle se tut, c'était une jeune femme.

" Oui."

Surprise, elle vit la jeune inconnue s'asseoir et se commander un café.

Il ne fallut que cinq minutes au lieutenant de police pour comprendre qu'on la draguait.

Cela amusa le lieutenant El Kalai.

Le sourire disparut lorsque la jeune femme annonça :

" Je travaille pour l'écurie du prince Sernine. Mon patron espère gagner la course demain.

- Il a trouvé un adversaire à sa mesure.

- Oui. Mais... Si quelque chose devait se passer... Le patron est si imprudent."

El Kalai se demandait exactement ce qu'on lui voulait.

Prévenir ?

Demander de l'aide ?

Ou juste entretenir la conversation en jouant les inquiètes ?

En tout cas, la peur allait très bien à la jeune femme qui ouvrait de larges yeux étincelants...

El Kalai, elle-même, dut en convenir.

" Parlez-moi de votre patron...

- Avec plaisir."

On draguait, on flirtait, on interrogeait.

Ganimard mâchait précautionneusement son chocolat, il avait passé l'âge de jouer les jeunes premiers.

Une main se posa autoritairement sur son épaule et le policier avala en catastrophe son morceau de chocolat.

" Alors, commissaire. Vous vous plaisez bien à Genève ?"

Ganimard soupira devant l'apparition.

Le prince Sernine se tenait devant lui, souriant, gouailleur, agacant.

" Vous n'êtes pas avec le délégué britannique ?," demanda Ganimard, sec.

Sernine rit et sa main vint se glisser dans sa poche.

" Non. M. Holmes a du travail aujourd'hui. Je vous montre Genève ?"

Ganimard hésita.

L'enquête, les frais, le préfet de police...

Puis, il entrevit la possibilité de connaître de plus près le fameux prince russe, habitant à Paris et collectionnant les femmes et les voitures.

" Avec joie, j'accepte."

Sernine afficha un regard surpris et joyeux qui le rajeunit tout à coup. Quel âge avait-il ?

" A la bonne heure ! Un tour dans mon bolide et un déjeuner dans un fameux restaurant et...

- Votre Seigneurie, sourit Ganimard, amusé par cet engouement de gamin et honteux malgré tout de l'avouer, je n'ai pas beaucoup de moyens disponibles.

- Ah ! Ganimard ! Je vous en prie ! Je paye tout ! Vous allez voir ce qu'est la vie des princes de ce monde !"

Sernine avait posé à nouveau sa main sur l'épaule du commissaire, l'éloignant du lieutenant El Kalai.

" M'est avis qu'elle doit ressembler à celle de beaucoup de gentlemen, affirma Ganimard.

- Il y a gentleman et gentleman, rétorqua en riant Sernine. J'espère en être un.

- Je n'en doute pas un instant, votre Seigneurie.

- Appelez-moi Sernine, commissaire."

On rit ensemble tout en montant dans une merveilleuse voiture, une Donkervoort aux couleurs de Sernine.

Genève et son jet d'eau de 140 mètres de haut, les deux hommes marchèrent sur les quais le long du lac Léman. Calme et tranquille.

Ganimard écoutait Sernine lui parler de Paris et de son ancien appartement, situé au rez-de-chaussée d'un immeuble à l'angle du boulevard Haussmann et de la rue de Courcelles. Le vieux commissaire grimaçait, Isidore Beautrelet lui en avait parlé par courrier, il y avait des années.

Au jardin anglais, l'horloge fleurie avec ses 6 500 plantes leur permit de vérifier si leur montre était bien à l'heure. C'était l'habitude paraît-il, pour les touristes. Ganimard souriait toujours, impassible, tandis que Sernine devisait sur le temps et le Mont-Blanc. Le prince parlait à tort et à travers de l'horloge de Halingre qui avait sonné huit coups, c'était son ami le prince Serge Renine qui s'en était chargé.

Et ce fut au déjeuner dans le joli cadre du restaurant Eldeweiss que Sernine se montra brillant. Il montra au policier parisien, rarement sorti de son pays, ce qu'étaient les spécialités culinaires de Genève. Une longeole, avec ses saucisses de porc et de fenouil et des filets de perches du lac Léman rassassièrent les deux hommes. A la rissole aux poires, Sernine contemplait Ganimard avec un sourire amical.

" Le poisson est excellent, mais j'ai une préférence pour les poissons de mer, j'avoue.

- Tiens donc ?, fit Ganimard, légèrement enivré par le vin et la bonne chère.

- La sole normande par exemple. Comme on la sert à Etretat. Une merveille."

Oubliant ses manières aristocratiques, Sernine embrassa le bout de ses doigts et il commanda aussitôt une eau-de-vie de poire.

Ganimard marchait le front haut, le bras serré par un prince russe exubérant et amusant.

Qui se moquait allégrement de lui.

Qui évoquait d'anciennes affaires mettant en scène Arsène Lupin.

Qui dansait sans cesse sur la corde raide.

Ganimard allait se rebeller, lorsque, tout naturellement, Sernine lui demanda :

" Qu'est-ce qui ferait plaisir à votre dame, commissaire ?

- Je vous en prie, Votre Seigneurie.

- Des roses ? Un bijou ? Une étole en fourrure ?"

Pris au jeu et agacé par ce jeune godelureau qui jouait ainsi avec lui, Ganimard rétorqua :

" Une carte avec votre signature, elle collectionne les autographes. Surtout les vôtres."

On se mesura du regard et Sernine se mit à rire.

" Alors c'est dit."

Ganimard se retrouva devant son hôtel, ne comprenant rien à sa journée, mais saisissant que quelque chose venait de lui échapper.

Quelque chose d'énorme !

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