Samedi 9 Mars : J-7
La journée s'étire paresseusement dans le doux confort de mon lit. Entre les exigences du bureau et les rituels apéritifs qui rythment mes soirées, l'appel du "gros dodo" est irrésistible. L'ordre du jour ? Un marathon de séries américaines. Je les dévore toutes sans distinction, savourant les chefs-d'œuvre comme les navets avec un plaisir coupable. Face au dilemme entre une énième saison d'une série Netflix au succès mitigé et un épisode de "Joséphine, ange gardien", mon cœur balance à peine.
Tel un aficionado, je me perds dans cet univers parallèle au point d'oublier le temps qui file. Ce soir pourtant, j'ai un engagement : l'anniversaire d'Émilie. Fidèle à mes habitudes, je vais encore arriver en retard. Émilie, c'est cette complice de longue date, rencontrée lors de soirées où notre sport favori était de venir à bout de chaque bouteille entamée. Notre trio ? Elle, moi, et un cru d'exception. Notre amitié a survécu à la fin de ces rendez-vous épicuriens, fluctuant au gré de ses relations sentimentales. Certains de ses ex voyaient d'un mauvais œil notre complicité, une idée qui m'aurait moi-même semblé inconcevable avant de rencontrer Émilie. Heureusement, son partenaire actuel est d'un esprit plus ouvert, et le courant passe étonnamment bien entre nous.
Pris par le temps, je me trouve à hésiter sur la tenue idéale pour la soirée. Mon objectif ? Briller aux yeux d'Émilie, certes, mais aussi marquer des points auprès de Sophie.
Sophie, c'est cette connaissance d'Émilie croisée un soir de labeur derrière le bar, il y a de cela une dizaine d'année, mais je suis toujours resté sous le charme. Depuis, chaque occasion de la revoir est pour moi un événement attendu avec une impatience non dissimulée. Sophie incarne ce type de personne dont le célibat semble n'être qu'une escale éphémère, toujours entourée d'admirateurs guettant la moindre ouverture. Ma vie nocturne, aussi trépidante soit-elle, n'a jusqu'à présent jamais joué en ma faveur pour la conquérir.
Aujourd'hui, les astres semblent s'aligner en ma faveur : je suis célibataire, et le vent a porté à mes oreilles que Sophie navigue elle aussi en solitaire depuis peu. Ce soir, je sens que la chance me sourit.
Permettez-moi de peindre le portrait de Sophie : haute de 1m65, elle possède cette silhouette à la fois svelte et harmonieusement courbée qui suscite l'admiration universelle. Ses yeux en amandes et son sourire sont de véritables antidotes aux journées noires. Autant le dire, je suis totalement sous le charme à chaque fois que nos chemins se croisent. Ce soir, je passe en mode séduction maximale.
Je me glisse dans une veste bleue, trouvaille récente d'un designer prometteur, assortie d'un t-shirt blanc. Le temps est de mon côté : un ciel clément et aucune menace de pluie à l'horizon.
Mon arrivée, avec une heure de retard coutumière, ne surprendra personne. Après tout, n'est-il pas de bon ton de se faire désirer ?
C'est Émilie qui m'accueille :
"Greg, encore en retard... mais venant de toi, c'est la routine."
"Désolé, j'ai dû faire dix tours de pâté de maisons avant de trouver où garer mon scooter," je lui rétorque, jouant la carte de l'humour.
"Ouais, ouais... Laisse ici ton manteau et ta bouteille, et fais comme chez toi."
"Très bien, je vais aux toilettes, et ensuite tu me briefes sur les célibataires du soir."
"Espèce de connard, va !" me lance-t-elle entre deux éclats de rire.
Je m'aventure dans le salon où s'est formé un petit groupe. La plupart des visages me sont familiers, mais mon radar interne détecte immédiatement l'absence de Sophie. Il semblerait qu'elle aussi choisisse de cultiver le mystère de sa présence.
Je me fraye un chemin vers Jérôme, l'autre moitié d'Émilie, un type à la joie de vivre contagieuse, toujours en quête de la prochaine célébration.
"Alors, Greg, on décide de pointer le bout de son nez à cette heure-ci ?" me taquine-t-il.
"Tu me connais, j'ai dû consacrer une heure à choisir quel t-shirt blanc enfiler, quelle veste assortir et quelles chaussures compléteraient le tout."
"Mon Dieu, tu te prends plus la tête que ma propre copine. Je parie que tu serais capable d'arriver en retard à ton propre mariage, juste parce que ton nœud de cravate ne serait pas à ton goût."
"Écoute, si je suis toujours en retard, c'est pas pour une question de style. C'est plutôt que je me mets en route à la dernière minute, et j'aime bien m'octroyer une petite pause dans un bar pour me mettre en condition avant de débarquer. 'Problèmes de garde-robe' sonne mieux que 'accro au bar', tu ne trouves pas ?"
"Et sinon, Greg, ça roule avec les filles en ce moment ?" lance Jérôme, assez fort pour que tout le salon soit au courant.
Ah, Jérôme... Il prenait un malin plaisir à m'exposer ainsi, probablement nostalgique de ses propres années de célibat. Il vivait vicieusement à travers mes aventures, et j'en rajoutais toujours un peu pour l'entretien de la légende. Bien que ma vie amoureuse ne soit pas un feuilleton de conquêtes incessantes, j'avais mes moments. Mais au fond, derrière ses questions parfois gênantes, se cachait son souhait sincère de me voir trouver quelqu'un de spécial pour partager plus qu'une soirée.
La soirée bat son plein, et l'absence de Sophie est reléguée au rang d'oubli passager. Entre discussions animées sur le football, les aléas du travail, et quelques digressions politiques, nous revenons inévitablement à mon domaine de prédilection : les femmes. Que l'on ne s'y trompe pas ; mon intérêt pour le sujet relève moins de l'obsession que d'une profonde admiration pour la beauté féminine. Les anecdotes fusent, chacun partageant ses stratégies de séduction, ses victoires et ses échecs.
Permettez-moi de vous initier à mon approche, la stratégie du "patient-présent". Loin de moi l'idée d'être insistant, mais je saisis chaque opportunité pour adresser un compliment bien tourné. Tandis que certains hommes se taisent par timidité et d'autres se noient dans un flot de paroles, je trouve mon équilibre : la patience, la clarté des intentions sans précipitation, voilà le cœur de ma méthode. Je m'efforce de rassurer, de valoriser, sans jamais dire qu'elle est magnifique de manière absolue, mais plutôt qu'à mes yeux, elle détient une beauté unique. Les propositions pour prendre un verre ou dîner ensemble viennent naturellement, sans jamais sous-entendre d'emblée une fin de soirée plus intime.
Cela ne fonctionne pas à chaque fois, certes, mais assez pour que je garde foi en ma technique.
"Je vois que Greg n'a pas changé."
Cette voix, surgissant de derrière, me fait sursauter. C'est elle, Sophie, apparue comme par magie au moment précis où j'exposais ma tactique. Avait-elle saisi chaque mot ?
"Toi non plus, tu n'as pas changé. Toujours aussi belle," lui répondis-je, espérant rattraper le coup.
"Mouais, garde tes techniques pour d'autres," rétorqua-t-elle avec un mélange d'amusement et de scepticisme.
Coincé entre l'envie de rire et celle de me cacher, je réalise que Sophie, avec sa réplique piquante, vient de me rappeler pourquoi chaque rencontre avec elle est un événement en soi. Un parfait mélange d'attraction et de défi, où ma stratégie de séduction, aussi rodée soit-elle, se heurte à son inébranlable assurance.
Pris au piège de mon propre jeu, je tentais désespérément de me défaire de cette situation embarrassante.
"Écoute, tu sais bien qu'avec toi, je laisse tomber toutes les stratégies," tentai-je de me défendre.
"Ah, bien sûr," répliqua-t-elle, s'éloignant avec ce sourire envoûtant qui a le don de bouleverser tous mes sens.
"Bon courage, mon vieux. Elle va te donner du fil à retordre," me lança Jérôme, mi-amusé, mi-compassif.
La soirée s'étira sur ce ton, oscillant entre blagues douteuses et tentatives maladroites de capter l'attention de Sophie. Seule et éblouissante dans sa robe noire, elle captait tous les regards, mais surtout le mien. Mon imagination s'emballait à l'idée de nous retrouver seuls, de percer les secrets de sa silhouette, de sentir sa peau contre la mienne.
Ses rires étaient autant d'appels, me rappelant que je ne devais pas laisser passer ma chance. Là, juste devant moi, accessible, c'était le moment de jouer ma carte.
Mais alors que je m'apprêtais à franchir le pas, une douleur lancinante me rappelait à l'ordre. Mon crâne, dans un timing parfait, décidait de se manifester avec force. Discrètement, je m'éclipsai sur la terrasse, espérant que l'air frais apaiserait ma souffrance. Dix minutes plus tard, la douleur non seulement persistait mais s'intensifiait, me donnant des nausées. Malgré le froid, je restais là, assis, les yeux fermés, me battant contre la douleur.
Cette pause involontaire sur la terrasse n'était pas ce que j'avais prévu. Loin des regards, j'étais confronté non seulement à ma propre fragilité mais aussi à l'urgence de revoir mes priorités. Entre la douleur et le désir, la soirée prenait un tournant inattendu.
"Ça va ?" La voix de Sophie perce le voile de ma souffrance, surprenante par sa proximité soudaine. Englué dans mes pensées et ma douleur, elle avait, l'espace d'un instant, glissé hors de mon esprit.
"Oui, juste quelques douleurs persistantes," je lui réponds, tentant de minimiser mon inconfort.
"Tu as pris quelque chose ? J'ai des calmants, si tu veux," propose-t-elle, preuve d'une sollicitude inattendue.
"Non, c'est bon. J'ai déjà pris largement ce qu'il fallait. Ça devrait passer... bientôt, j'espère," lui assurais-je, cherchant plus à me convaincre moi-même qu'à la rassurer.
"Et le médecin, tu as consulté pour ça ? Ça t'arrive souvent ?" Sa curiosité, teintée d'inquiétude, me pousse à improviser.
"J'ai rendez-vous lundi matin," je mens, n'ayant toujours pas franchi le pas de prendre ce fameux rendez-vous.
"Rentrons, il fait trop froid," suggère-t-elle alors.
"Ok, je te suis," répondis-je machinalement, me levant pour la suivre à l'intérieur.
Vingt minutes plus tard, les effets des calmants commençant à se faire sentir, je réalise que la prudence est de mise. Malgré mon désir de prolonger la soirée, je dois me résoudre à être raisonnable. Face à l'inquiétude générale pour mon état, je choisis néanmoins de repartir sur mon scooter, convaincu que ma consommation modérée d'alcool et la douleur en déclin ne sauraient m'entraver.
Le trajet du retour se transforme en épreuve, chaque mouvement amplifiant mon malaise. Une fois chez moi, l'accès au repos ne se gagne qu'au prix d'une dose généreuse de calmants et de somnifères, dosée de ma main un peu trop libérale. Dans le silence de la nuit, je ne peux m'empêcher de penser que, s'ils le pouvaient, mes reins ne manqueraient pas de protester contre ce traitement
Annotations
Versions