Verte nostalgie
J'ai repensé hier à cette petite clairière où nous passions nos journées avec mes copains d’enfance. Nous l’avions surnommé notre paradis. C’était un petit carré d’herbe - la plus verte qu’il m'ait été donné de voir - encadré sur trois pans par une forêt clairsemée de hêtres, de charmes et de sapin et de ce grand chêne également, celui auquel nous grimpions chaque fois, et dans lequel nous avions construit notre cabane, un petit nid pas douillet pour un sous qui nous laissait toujours repartir les mains pleines d’échardes et les membres écorchés par les pointes de clous mal cachés. Sur le quatrième pan s’écoulait un petit ruisseau, de l’eau qui venait des sommets, toujours fraîche et claire et dont le lit zigzaguait au gré du terrain accidenté et des racines volumineuses qui s’allongeaient ça et là avant de se perdre dans la forêt. Je me souviens de cette herbe, la prêle, la plante Lego - puisqu’on peut la détacher en plusieures parties et la remboîter après -, la rive en était couverte.
Je ne peux pas parler de cette clairière sans en évoquer ses couleurs, sa palette de verts, de l’herbe absinthe aux sapins foncés, ponctuée par le mélange des fleurs des champs et des bois que les sommets d’Auvergne nous offrent, des digitales, des jasiones et des bleuets violets, de la gentiane et de l’arnica jaune, et que sais-je encore de bleu, de rouge et d’orange. Cela m’a toujours fasciné comment la nature peut accumuler les couleurs et pourtant conserver une harmonie parfaite - essayez de vous habiller de vert, de violet, de bleu, de jaune, d'orange et de rouge pour voir ! - et je le dis sans rougir, ce spectacle est l’un des plus beau que j’ai contemplé.
Bien sûr nous n’avions pas pu nous en contenter - n’en veut on pas toujours plus lorsque l’on est enfant -, alors nous avions construit des dizaines de petits bateaux aux voiles colorées qui flottaient chaotiquement et sans discontinuer puisqu’amarrés aux arbres proches par de longs fils, eux aussi colorés, qui s’entrecroisaient comme des ficelles de cerf-volants dans le ciel. Et nous nous amusions parfois à les placer sur les minuscules rappels que formaient certains cailloux du fond de la rivière et comptions tous en coeur en les regardants surfer sur les petites vagues en espérant battre notre record, deux minutes quarante-cinq me semble t-il.
Je n’ai jamais remis les pieds dans cette clairière et je pense que je serai bien incapable, aujourd’hui, d’en retrouver le chemin. Et je crois honnêtement que personne ne l’a découverte puisqu’elle était perdue au milieu des montagnes et barricadée d’une dense enceinte de sapins qui ferait reculer le plus brave des randonneurs. Mais je me plais à penser que ce petit paradis est resté intacte, comme arrêté dans le temps, figé dans le passé quand nous l’avons abandonné et peut être, peut être que nous y jouons encore. Peut être que le film de notre jeunesse y tourne encore en boucle. Peut être que nos bateaux y flottent encore comme pour préserver les liens qui nous unissaient alors.
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