Le défi.

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Rowald n'avait qu'à s'en prendre à lui-même.

Il n'aurait pas dû abuser de l'alcool, mais bon, après une dizaine de chopes, il aurait accepté d'aller voir la mort en personne pour lui demander sa main, et Tudieu ! Qu'elle était bonne cette bière de l'arrière-pays !

Ainsi, il avait but dix litres de ce nectar, sous le regard ahuri des humains et autres voyageurs de la taverne "La lance de feu", clamant à qui voulait l'entendre que pour une autre tournée du même genre, il serait prêt à défier le roi des dragons en personne.

Certains avaient ricané, d'autres s'étaient tus, mais tous s'étaient écartés pour laisser passer une vieille petite femme rachitique penchée, ou plus exactement pliée sur son bâton qui, vêtu telle une mendiante, s'était alors approchée du Nain.

Une longue cape à capuchon en lambeau, lui recouvrait partiellement la tête et le dos. D'une voix de crécelle, qui fit frémir tous les hommes présents et s'évanouir la jeune serveuse, elle s'exclama :

- Vraiment ! Je ne t'en demanderais pas tant ! Je te demandes juste d'aller me chercher un caillou, un tout petit caillou.

Sa présence l'avait quelque peu dessaoulé, cependant pas assez pour l'empêcher de dire :

- Vas-t-en la vieille ! Tu sens mauvais et je ne crois pas que tu aies les moyens de me payer 10 litres de ce nectar.

Des murmures indignés et effrayés parcoururent la salle, et ils furent même plusieurs, dont l'aubergiste, à estimer qu'ils en avaient assez vu et assez entendu pour quitter la pièce.

- Aie un peu de respect pour mes cheveux blancs ! Lui conseilla-t-elle d'une voix croassante.

Sa bouche édentée, lui faisait penser à un gouffre et il se pencha vers elle pour mieux y voir en plissant les yeux.

- Vieille femme sais-tu… Il se redressa et avala la dernière lampée de sa chope. Sais-tu… Reprit-il les yeux brillants, Que tu ressembles à une sorcière ?

Un silence glacial sembla soudainement tomber sur la salle durant quelques secondes avant que les dernières personnes ne se décident à sortir précipitamment, les laissant seuls.

- Hein ? Le sais-tu ? Renchérit-il.

Alors d'une voix devenue extrêmement douce, elle répliqua :

- Peut-être est-ce parce que j'en suis une ?

Il haussa les épaules et grogna.

- Et as-tu de l'argent ?

- Plus qu'il n'en faut !

Des plis apparurent sur le front du nain qui fronça les sourcils. A travers les vapeurs de l’alcool qui engourdissait son cerveau, il soupesait la véracité de ses propos.

- Et que me veux-tu ?

D’un claquement de langue, la vieille femme montra son impatience avant de répliquer sèchement.

- Je veux une pierre ! Je te l'ai déjà dit !

Haussant les épaules, Rowald se détendit et retourna sa chope vide au-dessus de sa bouche grande ouverte pour vérifier qu’il n’en restait pas une goutte avant de poursuivre.

- Y'en a des tas ! Le long des chemins ! Laisse-moi maintenant ! AUBERGISTE ! UNE AUTRE !

Elle le saisit brusquement par le poignet et il émit un couinement qui s'étrangla dans sa gorge.

Malgré sa petitesse, un mètre quarante tout au plus, et sa fragilité apparente, la vieille femme dans sa main osseuse détenait une force impressionnante et l'enserrait tel un étau.

- Je veux la pierre, la petite pierre qui se trouve dans le coeur du Gisant noir !

Il la regarda ahuri, de la mousse blanche adhérait encore à sa barbe noire, tressée en nattes. Ses cheveux, coiffés de la même manière, encadraient son visage rustre et courtaud. Le rouge de ses pommettes et de son nez, ravivé encore par l'alcool, faisait ressortir ses deux petits yeux sombres.

Après un instant de silence, il éclata d’un rire un peu forcé.

- C'est une plaisanterie ! Dis-moi la vieille, c'est une plaisanterie ! Passe ton chemin ! J'ai mieux à faire que d'écouter tes divagations !

Alors, ayant lu dans ses pensées, elle fit la seule chose qui pouvait le décider.

Elle brusquement le poing du jeune nain, d'à peine soixante-six ans, qui vint frapper violemment le comptoir.

Se tournant, elle fit mine de s'éloigner d'une démarche chaloupée, et de sa voix de crécelle, lança tout bas mais de façon totalement audible.

- Tu as peur ! Je comprends ! Je trouverai quelqu'un de moins lâche !

Bondissant, de son tabouret qu'il renversa, Rowald la rattrapa et la saisit par les épaules. La retournant sans ménagement, de la voix de ceux qui, perdus dans les brumes de l'alcool prononcent des paroles pour les regretter aussitôt, il dit.

- Par ma hache ! Je le jure ! Je te ramènerai la pierre que tu demandes !

Elle le dévisagea et partit d'un rire aigu qui déchirait les tympans.

- Pauvre nigaud ! Je t'attends dans deux jours au carrefour des pendus.

Sur ce, elle se désagrégea sous ses yeux pour disparaître en une épaisse fumée noire, le laissant pétrifié les mains tendues en avant.

Après quelques secondes, il abaissa les bras et cria dans le vide :

- 10 bières tu m'entends ! 10 litres de bières ! Et tu as intérêt à tenir ta parole !

Puis il retourna, hésitant, au comptoir en marmonnant, tout en sachant que c'était bien le plus mauvais marché qu'il n'avait jamais passé.

Alors pour oublier, il commanda un autre litre du précieux nectar à l'aubergiste qui ne revenait pas.

Lorsque celui-ci se décida enfin à reparaître, Rowald dormait comme un loir avachi sur le comptoir.

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