Chapitre 3

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Chapitre 3

Ainsi, la solitude avait frappé mon quotidien. Malgré tout, au-delà de la peur qui taraudait mes pensées, je ne pouvais m’empêcher de constater mon miracle. Ma survie à ce drame inexplicable en était un après tout. Partout autour de moi, tous étaient tombés, happés par cette lumière de laquelle j’avais réussi à m’échapper. Sans exception si ce n’était moi, la mort avait frappée, et je me trouvais là, tel un miraculé entouré des victimes d’une catastrophe à laquelle il aurait dû succomber.

Cela avait en quelque sorte un côté séduisant et attractif, sans aucun regard pour me juger, sans aucune main pour me freiner ; ma vie avait-elle jamais atteint un tel stade de liberté ? Mais Le carnage s’imposait en premier lieu à moi, la mort se traînait à mes pieds, lapant avec voracité les semelles de mes chaussures. Le chagrin prenait largement le dessus, et je ne m’étais jamais rendu compte auparavant à quel point le désespoir pouvait prendre le pas rapidement sur toute autre émotion.

Malgré tout, s’immobiliser maintenant était absurde, peut-être avais-je été épargné une première fois ; mais qui pouvait prévoir ce qui se passerait si jamais ma vision devenait une lumière pure et aveuglante à nouveau ? Sûrement pas moi, et je n’avais nul autre être à qui soumettre cette question à laquelle il était impossible de répondre. C’est pourquoi je décidai de me remettre en route vers mon foyer, un fol espoir de retrouver mes parents sains et saufs, bien à l’abri de la pluie qui s’écoulait depuis mes cheveux à mon visage.

Je fis une première enjambée en direction du trottoir opposé, mais à ce moment précis, la déflagration et le flash d’un éclair haut dans les nuages orageux me rappela un élément dérisoire. J’avais oublié le colis dans l’arrière-boutique du magasin. Il me semblait, aussi étrange que cela puisse paraître, que je me devais de le récupérer. Après-tout, j’étais venu ici pour le rapporter à mon appartement, et je n’aurais pas assisté à cette scène, du moins pas ici, sans ce colis. Je ne pouvais supporter l’idée que le spectacle déchirant de la chute de tous ces gens ait été vain. C’est donc avec une boule en travers de la gorge que je fis demi-tour pour le supermarché.

Dans l’arrière-boutique régnait un boucan incessant dû au tambourinement de la pluie qui se fondait maintenant en cordes implacables. Paradoxalement, c’était plutôt une ambiance apaisée qui saisissait, sinon un calme absolu. Et cette atmosphère émanait du couple de secouristes, tombés, eux-aussi. Ils s’étreignaient, s’étreignaient vraiment, avec toute la certitude qu’ils avaient eu de vivre leurs derniers instants. Tête l’une contre l’autre, ils étaient tombés de leur position agenouillée, et l’expression figée sur leurs traits, n’était ni celle de la peur ou de la souffrance, pas plus que celle de la résignation, mais bien un masque de soulagement. Leur vies étaient parvenus à un terme, mais leurs âmes, fatiguées des souffrances innombrables dont ils avaient été témoins, enfin, pouvaient goûter à une liberté retrouvée. La torpeur qui en eux s’apprêtait à les déchirer, avait été prise de court par la mort.

Ce n’était pas mon cas, cette mort, je m’y étais refusé, lui préférant la vie. Et vivre, c’était avancer. Que cela soit sur un chemin balisé, ou vers des horizons encore inconnus, la seule option est d’avancer. Peu importe les épreuves, peu importe la dureté des obstacles, tant que mon être et mon âme parviennent à tous les briser, à composer parmi eux, il me fallait avancer. Et en ce moment, avancer signifiait récupérer ce colis qui toujours était étalé au sol, en travers de l’embrasure d’une porte au fond de la salle.

De ma main tremblante, colorée d’un étrange violet, empourpré par plusieurs petites tâches, je saisis le paquet de carton. Il était de forme rectangulaire, assez allongé et peu épais. De la forme d’un livre. Je n’avais pas le cœur de l’ouvrir dès à présent, l’espoir de retrouver mes parents sommeillait toujours en moi, mince, il agissait comme un rayon de soleil qui pointe au travers de nuages orageux. Capable de vous redonner le sourire, tout en subliment ces énormes masses grises et nébuleuses, leur donnant des allures sublimes.

Mais au dehors, nul rayon de soleil ne parvenait à percer la couche nuageuse, la pluie éclaboussant les routes remplissait les caniveaux avec joie. Marcher sous cette averse avait pour bénéfice de me rafraîchir, mon esprit semblait s’éclaircir, et mes pas se firent de plus en plus assurés. Tout autour de moi, les cadavres semblaient s’étendre de manière continue. A mesure que j’avançais, je ne pus que constater qu’aucun quartier, qu’aucune place ou rue n’avaient été épargnés. Et seuls les endroits peu fréquentés n’abritaient aucun corps. Ce fut la première fois, sur tous les trajets quotidiens que je faisais de ce lycée à mon appartement, que je m’efforçais de passer par tous les passages de traverses et rues mal famées.

Cela allégeait l’épreuve, mais ne me permis tout de même pas de nier les évènements lorsqu’enfin j’atteignis l’entrée de l’immeuble.

Je gravis les quelques marches de bétons qui me séparaient de la grande porte vitrée à double battant, par laquelle on accédait aux appartements. Chaque partie tenaient pour poignées un arc de cercle, qui associés par une parfaite symétrie, composaient au centre un cercle entier, en fer blanc. Pousser le battant de droite fit s’engouffrer une bourrasque emplie de gouttelettes d’eau dans le couloir de l’entrée. Face à moi, la porte de l’ascenseur reçut même un peu d’eau, et au travers de l’obscurité qui régnait ici, je pus en discerner le faible scintillement. C’est toutefois les escaliers que je préférai à l’ascenseur. Le besoin de marcher était tout naturel, l’effort me rappelait à la réalité, me connectait par la même à mes automatismes et m’empêchait de ruminer.

C’est pourquoi monter les trente-deux marches qui reliaient le rez-de-chaussée au troisième étage eut l’effet d’un véritable soulagement. Ce n’est qu’en atteignant la porte rouge du fond du couloir, qui portait un « 24 » doré, élégamment représenté, que l’appréhension m’envahit. Ma montre affichait l’heure suivante « 19 :37 ». Mes parents étaient censés être rentrés de leur travail depuis une vingtaine de minutes, mais l’horreur était survenue il y avait de cela environ une quarantaine de minutes, peut-être plus. Cela ne laissait que deux possibilités, si en effet ils avaient survécu, tout comme moi, ils devraient se trouver derrière cette porte, à m’attendre, épouvantés par la possibilité de ma disparition. A l’inverse, s’ils n’étaient pas ici… j’allais être l’éploré et l’orphelin.

Le courage me manquait, mes deux mains en tremblaient, inlassables qu’elles étaient de prouver leur détresse, constamment renouvelée et peut-être accrue. Mais ce n’est pas la bravoure, ou un quelconque trait de caractère louable qui décida l’une d’entre elles de s’avancer en direction de la poignée d’acier, et l’autre de saisir la clé métallique dans la poche avant de mon sac, c’était la nécessité. Il me fallait en savoir de quoi il en retournait, il me fallait assimiler de quoi ma vie serait faite à partir d’aujourd’hui.

Un claquement de serrure, une faible résistance dans la poignée, un grincement atténué de gond, une pièce sombre et silencieuse, uniquement troublée par une pluie qui déjà s’amenuisait, une odeur éventée du repas d’hier soir, l’appartement était vide.

Alors, seulement à ce moment, seulement en cet instant où ma vie ne conservait d’autre sens que celui de la survie, où tout mon environnement s’était écroulé, définitivement, je fondis en larmes. Une véritable décharge d’eau salée s’écoulait depuis mes glandes lacrymales, jusque sous mon menton, créant deux torrents inépuisables et réguliers. Me libérais-je d’un quelconque poids ? Si pleurer m’avais déjà permis d’évacuer des émotions, aujourd’hui, ces larmes ne coulaient pas pour moi. Je ne faisais que révéler le véritable trouble qui déjà me rongeait, l’enrichissant d’une touche de désespoir afin de lui redonner tout son éclat, pour qu’à termes il soit en mesure de m’ébranler tout à fait.

C’était impensable, improbable et sûrement irréel, mais mes parents n’étaient pas ici, ils étaient parti tôt ce matin, comme à leur habitude, sans que je ne me lève pour leur dire mon amour, à ces deux êtres qui depuis mon premier battement de paupière m’apprenaient à observer le monde. Ils étaient partis sans avoir pu voir leur fils, ses yeux bouffis par le sommeil, ses cheveux châtains éparpillés, s’aplatissant là où sa tête avait reposé toute la nuit durant. Plus je pensais et plus je m’enfonçais dans ce trou du plus brouillé et plus profond marron, l’abandon. Une fausse aux bords glissants, facile d’accès, mais dont l’inclinaison était tout aussi encline à vous faciliter l’entrée, qu’à vous refuser la sortie.

Un cri surgit entre les sanglots étouffés, d’abord hésitant, puis guttural et alterné, et enfin, après maintes tentatives, il prit son essors. Il n’avait de pureté que l’émotion qu’il exprimait, elle se faisait bien distincte, se découpant nette sur l’indifférence du silence, indéfinissable, elle était du registre du deuil. Mais un deuil de l’essence de la vie elle-même, pas d’un être, mais d’un idéal. Un cri de frustration se joignit au premier, ils s’associaient, bientôt suivis d’un cri de peur, ils se soutenaient, s’harmonisaient dans le seul but de me refléter. Cet air, ce chant, il était de mon âme. Il était la preuve de sa perméabilité, de mon inconstance. Elle était soumise au gré des courants et paralysée par ses propres fragilités. Mais la plainte devait s’arrêter, mes cordes vocales ne sachant l’en prémunir. Et le cri s’interrompu comme il était venu, couches après couches, ne laissant à la fin qu’un son faible et rauque, enroué de tant d’ardeur. Peut-être s’était-il éternisé sur plusieurs minutes, freiné seulement par la nécessité de respirer, sans-doutes n’avait-il duré que quelques secondes, rendus instable par la difficulté d’accepter ces moments d’émotions pures. Mais pour sûr, il avait réussi là où les larmes n’avaient fait qu’empirer la situation.

A présent, mon cerveau parvenait à penser réellement, à l’écoute de mes besoins, de mes peurs et de mes chagrins. Partagés entre chacun d’entre eux, désireux d’exaucer leurs prières. Il succomba, fragilisé par la peine, à mes besoins.

Essuyant d’un revers de manche les larmes qui s’étaient interrompues de couler sur mon visage, je fis descendre la bretelle gauche de mon sac de cours, puis la droite, extirpant mes bras en même temps. Le sac tomba derrière mes talons dans un grand fracas. Du bout de ma chaussure droite je retirais ma chaussure gauche, et je fis de même avec ma chaussure droite à l’aide de mon pied gauche. En me pressant, je me dirigeai vers la salle de bain.

Je retirai mes vêtements rapidement et me précipitai dans la cabine de douche, tournant avec précipitation le robinet.

L’eau chaude coulait doucement sur mes épaules qui restaient ballante et leur position négligente était accentuée par ma nuque courbée vers le sol. Les yeux fermés, je profitais de cet instant hors du temps, insensible et pourtant… je me délectais de tant de douceur. Cela me paraissait décalé, mais pour sûr, c’était salvateur. Je restai donc sous cette déferlante chaleureuse pendant un long moment, bercé par le bruit sourd et régulier de l’eau contre les parois.

Quand enfin je me décidai à couper l’eau, sortir de la cabine de douche fut en somme une réelle épreuve. Comment pouvais-je seulement songer à quitter un endroit si réconfortant ? Mais une idée avait germée dans mon esprit, accaparant mes pensées, et le besoin d’en assouvir la pulsion devenait viscéral.

Sans m’habiller, m’enveloppant d’une simple large serviette de bain d’un blanc immaculé, je sortis de la salle de bain. Je me précipitai alors dans l’entrée avisant le colis jonché auprès de mon sac sur le sol. Je le saisis, le dévorant de mes yeux, sans même me soucier de replacer ma serviette qui tendait à glisser le long de mon corps, le dévoilant complètement. Alors, sans autre forme de procès, je l’ouvris d’un coup sec et rageur. Tenu à l’envers, le contenu tomba au sol. C’était un carnet. Un magnifique carnet, relativement épais, tenu par un élastique noir. Sa couverture était d’un vert forêt, ornée de multiples tâches dorées qui semblaient former un nuage dans ce vert sombre, à la manière d’une goutte d’encre se répandant dans de l’eau. Tout simplement ravissant.

Mais qu’allais-je en faire ?

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