Pétale brisé

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Gaël avait commencé à marcher quelques heures avant l’aurore, avant la naissance des monstres qui teintaient son quotidien de touche plus ou moins sombres et en faisaient un monde en demi-teintes. Il marchait encore et encore, avançant dans la nuit, sans réel but à part fuir ses ténèbres. Ses muscles commençaient à le brûler, son moral baissait et le courage diminuait. Pourtant, tel un espoir doré, les premières teintes du jour éclairèrent le ciel.

Il avait effeuillé ses rêves sur la toile d’argent où s’était perdu l’espoir en lequel il croyait encore. Désormais, son seul guide étant la pâle lueur des étoiles, il n’osait plus espérer ce que les miettes de ses songes ne pouvaient offrir à la réalité qui, pour lui, était comme un tombeau de lucioles.

Tout d’abord ébloui par les rayons multicolores, ces lueurs écarlates lui offrirent un échappatoire, son lieu d’espoir et de réconfort, bien loin de ses ténèbres, bien loin des monstres qui l’habitaient. Ces êtres qui faisaient battre à ses tempes l’angoisse, qui le précipitaient dans un abîme de détresse où chantaient les démons, ces pensées, ces regards, souvenirs…

Cette lumière les tenait loin, tellement loin qu’il les oublierait presque. Mais son cœur brisé, lui, se souvenait de la douleur…

Il avait cru que les mains qu’on lui tendait n’étaient là que pour le secourir, pourtant, en quittant la crevasse, après s’être relevé, il avait découvert que ce n’était que pour mieux le battre à terre. Pour mieux lui hurler ses défauts, lui déchirer au vent les lendemains que ses idéaux meurtris ne verraient jamais. Oui il y avait cru, il avait pensé que des gens voulaient l’aider, que des personnes l’aimaient, mais ce n’était qu’un mensonge de plus, une lame qui lui transperçait les os, une brûlure qui s’infiltrait dans ses chairs, une morsure qui le tuait de l’intérieur.

Les personnes qu’il avait osé apprécier, celles qu’il avait touché de bout des doigts, à qui il avait murmuré « je t’aime », et qui avaient fini par l’abandonner à une solitude qui s’était avérée être sa meilleure amie. Alors, les soirs où il hurlait à la lune, assis sur son lit… Il se souvenait de chaque abandon et les ressentait dans chaque fibre de son corps. Il hurlait, de toutes ses forces, de toute son âme, sa peur et sa solitude. Solitude qui le brisait encore plus, qui le détruisait à chaque instant. Il hurlait, encore et encore, à la lune et aux étoiles.

Il se frappait, s’étouffait contre les draps pour limiter ses cris, et les larmes coulaient en flots impétueux, il voulait se faire mal, se brûler, se consumer pour ne plus avoir à affronter, à supporter, à vaincre. Son reflet dans le miroir était une ombre détestable de lui-même. Car après tout, si personne ne l’aimait, c’est qu’il ne le méritait pas n’est-ce pas ? Il cachait ses larmes, il cachait ses lames, torrents de gouttes transparentes et de gouttes écarlates. Oh comme il souffrait. Ses cris avaient beau percer la nuit, le monde y restait sourd.

Tous les jours, il se levait, il passait devant la glace -reflet immonde qui faisait rire les enfants et pleurer le miroir- et marchait dans les rues. Sous la pluie, les yeux clos, il écoutait ce que personne n’entendait, en évitant ceux qui le pointaient du doigt et prononçait son nom à mi-voix dans le brouillard. Pourtant toutes ces remarques murmurées, ces phrases cinglantes qu’il devinait à demi-mots, celles qu’il avait beau vouloir ignorer et ne pas entendre, elles le blessaient. Ouvraient une faille béante en lui qu’il n’arrivait pas à refermer, que malgré tous ces efforts, était toujours présente.

De temps à autre, il se souvenait avec difficulté comment la situation avait démarré. Comme il s’était peu à peu enfoncé dans les profondeurs les plus inexplorées de la crainte, du désespoir, de la haine. Ce jour où il avait trouvé ce papier sur lequel était écrit…

« Je ne t’ai jamais aimé ».

Son cœur s’était brisé, les larmes avaient dévalé ses joues, il était détruit. Pourquoi ? Telle était la question qu’il voulait hurler à cette personne. Celle qui l’avait détruit puis qu’y avait retourner tout le monde contre lui, celle qui avait brisé son petit monde de bonheur pour le transformer en cauchemar et horreur. Pourquoi ? Lui, il l’aimait…

Il avait tourné le regard vers celui qui faisait battre son cœur, et ce qu’il avait lu dans ses yeux l’avaient détruit… Un rictus où se décryptait le mépris et le désintérêt. Ce fut ce jour-là qu’il s’aperçut qu’Alexis n’avait fait que jouer avec des sentiments qui étaient vrais, qui étaient purs, qui étaient beaux… Ce garçon lui avait offert l’espoir. Puis il l’avait déchiré.

Mais il ne s’arrêta pas là, oh non. La seule souffrance de son rejet et de sa manipulation envers Gaël était loin de lui convenir. Cela commence par un simple petit mot n’est-ce pas ? Pas grand-chose. Rien d’important dit-on sur le coup. Puis quelques murmures, des personnes qui poussent dans les couloirs… Et commence l’enfer.

On se mit à le dévisager, tout le monde le connaissait, prononçait son nom. On le traînait jusqu’aux toilettes où on lui plongeait la tête dans la cuvette, où on le frappait encore et où, sur son front humide et honteux, Alexis déposait des baisers ironiques. Il s’amusait à le voir se briser de plus en plus, de ne pas pouvoir résister face à lui. Alexis savait qu’il l’aimait et en abusait alégrement pour qu‘il lui rende des « services ». Il n’arrivait jamais à dire non. Il souffrait. Tout son monde n’était plus que douleur et désespoir. Il avait oublié ce qu’était la joie, ce qu’était l’amitié, ce qu’était l’amour…

Gaël ne pouvait plus supporter son quotidien, que l’amour et la haine rendaient manichéen. C’était pour cela qu’il s’était enfui, cette nuit-là. Il avait décidé d’aller fouler la vie ailleurs. D’aller noyer sa peine dans l’océan. Loin, très loin.

Oublié jusqu’à son nom pour ne plus souffrir. Il voulait tout oublier. Mais y avait-il seulement une solution pour cela ? Oui, et il la connaissait…

Il connaissait cette solution qui le ferait tout oublier. Qui ferait que sa souffrance et sa douleur disparaissent, qu’elles ne soient plus qu’un lointain souvenir.

Les lueurs du jour ne l’éblouissaient plus. Il n’avait plus peur. La mer face à lui s’écrasait contre les rochers en un bruit apaisant. Il s’en approcha et se laissa immerger.

Loin de toutes les remarques qu’on lui avait faites, loin de l’amour perdu qui lui avait brisé le cœur, loin des larmes qu’il avait versées, loin des cris qu’il avait poussés, loin de la solitude qu’il avait tant éprouvée. Loin de toute douleur, il arrêta de respirer. Et son cœur brisé devint aussi inerte que sa joie de vivre auparavant disparue…

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