Chapitre 1 : Le Rôdeur de Der Fialova

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Le cimetière de la ville fortifiée de Der Fialova servait de refuge à la communauté Brenish du coin. Il faut avouer que les Humains toléraient difficilement ces gnomes aux fronts proéminents, aux lourdes mâchoires saillantes et à la pilosité farfelue. Une vieille, courbée comme une serpe, tentait d’attraper l’anse d’un seau au fond d’un puits grossièrement creusé au pied du respectable tombeau d’Anitus Fialova, le fondateur de la ville. C’était un tombeau en marbre rose, âprement grignoté par le temps. Pour gagner quelques centivlads, elle entreprit de déplacer une lourde plaque reposant depuis des siècles à la base de l’édifice sépulcral. La vieille cracha sur ses mains ridées pour les assouplir. Elle souleva la plaque et la fit choir contre la base du puits, insultant sans vergogne ce bout de marbre si lourd et si peu maniable. Puis, d’un petit grognement rocailleux, elle gravit la marche de fortune pour enfin récupérer le précieux liquide au fond du trou. Aux alentours, une bonne centaine de Brenish fumaient l’herbe jaunâtre qui pousse entre les fissures des pierres tombales, en somnolant dessus les mausolées les plus confortables. Ces petits parasites barbus, à la caboche disproportionnée, semblaient se satisfaire de ce ghetto sinistre laissé à l’abandon par les Humains qui s’étaient regroupés autour du port de Der Fialova.

L’un d’entre eux détenait une étrange carcasse. Il était borgne, nerveux, et visiblement pressé de quitter le cimetière. Son visage balafré trahissait une longévité impressionnante. Hargneux, il bousculait les Brenish trop curieux en les poignardant du regard. Il criait toutes sortes d’insultes que je ne peux décemment retranscrire mais des « Barrez-vous, sales immondices ! » revenaient souvent. C’est peu dire que son trésor attirait les convoitises : le Brenish est une espèce de petite taille mais de grande avidité. Congénère ou pas, ce tas d’ossement vaudrait sans doute quelques bonnes rasades de Quichtine… Il marchait rapidement en tirant sur une corde qui traînait les restes d’une créature à l’anatomie osseuse pour le moins surprenante : un crâne rond avec une épouvantable quantité de cavités oculaires était imbriqué dans une sorte d’œuf brunâtre d’où jaillissaient sept pattes très fines. La huitième venait juste de se casser lors d’un choc contre un granite émoussé et, aussitôt, une douzaine de Brenish pugnaces se jetèrent sur le trophée, s’étripant maladroitement dans la poussière pour en devenir le nouveau propriétaire. Tu apprendras que, en Medragolt, l’or blanc fait souvent tourner les têtes. Le Brenish borgne en profita pour s’enfuir dans les ruelles labyrinthiques de Der Fialova.

Les vrais problèmes pouvaient enfin commencer. Si le regard des Brenish est épris de convoitise, celui des Humains empeste d’un racisme primaire pourtant bien habituel en Medragolt, sorte de réflexe ou d’instinct de survie. 90% des 10000 habitants de Der Fialova sont des Humains casaniers et peu enclins à partager leurs pavées blancs avec des espèces inférieures. Mais notre Brenish borgne n’en avait cure. Malgré les visages suspicieux et malhonnêtes qui hantaient trottoirs et fenêtres, il ne pouvait cacher sa joie en arrivant sur le port embrumé faisant office de marché ; sa carcasse serait, en effet, négociable pour au moins deux cent pièces d’os.

Environ trente echrons plus tard, un premier promeneur s’agenouilla devant le tas d’os mystérieux. Il n’était pas d’ici. Emmitouflé en intégralité dans sa cape rouge, le visage drapé d’un capuchon écarlate, c’était un jeune érudit, savant expert ayant étudié d’épais grimoires traitant de la Géographie, de l’Histoire, et de la biodiversité de Medragolt.

Cet humble et modeste pèlerin, c’était moi.

Pour éviter des problèmes évitables, je masquais mon apparence et mes atouts féminins. Dans une ville d’Humains, les rares femmes qui marchent seules dans le quartier du port ne vont pas à la pèche aux crevettes mais aux maquereaux et ce sont elles qui servent d’appât. Les marins ivres et les hommes mariés en raffolent, il paraît. Je modulai donc ma voix et commençai à tirer les vers du gros nez de celui que je traquais depuis quelque temps :

— Magnifique spécimen. Le crâne est intact. L’abdomen est encrassé. Il manque une patte. C’est une jeune femelle mais les mandibules sont assez développées. D’où vient-elle ?

— Grrommlll… J’ai eu toutes les peines du monde à la dénicher celle-là. C’est 220 pièces, conclut sèchement le Brenish borgne.

— Nous parlerons argent plus tard. D’où vient cette carcasse de Rapière Pourpre ?



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