Épilogue – Cinq ans plus tard
L’appartement sent la peinture fraîche, le café un peu trop fort et les croquettes de chien. Démon dort au pied du canapé, roulé dans un vieux plaid qu’il a adopté comme une seconde peau.
Je suis installée à la table du salon, entourée de carnets, de feuilles volantes et d’un bol de raisins secs que je picore sans y penser. J’ajuste une ombre sur un visage, je gomme, je recommence. La lumière de fin d’après-midi joue avec les couleurs de mes pinceaux. Alex débarque de la salle de musique, guitare en main, un sourire hilare sur le visage.
— Antoine m’a menacé de me frapper avec une baguette de chef d’orchestre si je rate encore l’intro. On en est à combien ? Trois cents essais ?
— Trois cent sept, crie Antoine depuis la cuisine, la bouche pleine.
Je souris sans lever les yeux.
— Un record. On va devoir fêter ça.
Il vient s’asseoir près de moi, pose sa guitare contre le canapé et m’embrasse dans les cheveux.
— Emma passe demain. Elle veut faire les dernières retouches sur les costumes.
— Toujours aussi zen ?
— Elle a failli m’étrangler hier avec un ruban “couleur perle grisé” parce que j’ai éternué dessus. J’ai vu la mort dans ses yeux.
Je ris.
— C’est ça, le pouvoir du style.
Je repose mon crayon et m’étire, en regardant le plafond comme s’il allait m’annoncer une révélation.
— Tu te rends compte ? J’ai fini mes études. J’ai ouvert mon propre cours de dessin. Et j’ai vendu une toile à un mec qui m’a dit “J’aime beaucoup ce que vous faites” alors qu’elle était à l’envers.
Il rit doucement, et me regarde comme si j’étais un feu de camp.
— Et t’as même survécu à ta première classe de mômes hurlants.
— J’ai eu des dessins de dragons mutants en cadeau, j’ai gagné.
Il sourit, puis me tend son téléphone.
— Vivianne m’a écrit ce matin. Elle parle encore de son mystérieux copain, mais refuse de nous donner son prénom. Elle dit que c’est "trop tôt pour les présentations officielles".
— Je parie que c’est un poète belge. Ou un prof de philo qui joue de la flûte en cachette.
— Ou un ninja muet, réplique-t-il.
— Très possible.
— T’as eu des nouvelles de Marie, toi ?
Je secoue la tête, mais sans inquiétude.
— Elle était en Océanie, la dernière fois. Elle allait bien. Elle a envoyé une photo d’un volcan et une autre d’elle avec des enfants qui riaient. C’est tout ce qu’il faut.
Un silence doux s’installe. Alex embrasse mes lèvres, et un feu se met à crépiter dans mon ventre. Antoine sort de la cuisine avec un biscuit à la main et s’écroule sur le fauteuil.
— J’espère qu’on sera prêts à temps, réplique Antoine.
Alex se tourne vers lui.
— T’as peur ?
— Nan, ça va le faire !
Puis Alex se tourne vers moi en me lançant un regard intérogateur. Je réfléchis une seconde.
— Et toi ?
— Un peu. C’est votre premier vrai concert. Avec des gens. Pas juste nos potes bourrés ou mon ancienne prof d’arts plastiques.
— Mais t’as Emma pour les paillettes, moi pour les accords douteux, Antoine pour les mélodies qui restent en tête… et Démon pour bouffer les câbles.
— On est invincibles, alors.
Il sourit. Ce genre de sourire tranquille, solide.
— On a tenu parole, hein ?
Je le regarde, et j’acquiesce.
Oui. On a tenu.
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