La Louisette, signée Guillotin
Je me réveillai en sueur. J'avais, dans la nuit, cauchemardé jusqu'à ne plus pouvoir. J'avais été persuadée d'être passée sous la lame de la guillotine.
Je bougonnai quelques insultes à l'égard de Monsieur Herm's, mon professeur d'histoire, qui nous avait fait un cours très détaillé sur la guillotine et son histoire. Et qui nous avait montré des images d'exécutions. Et qui nous avait passé la vidéo de la dernière, en 1977.
Je frissonnai à nouveau. Franchement, lorsque l'on a l'imagination qui déborde, rien de mieux qu'un sujet morbide pour passer une bonne nuit. Un cri dans la rue me fit sursauter. Les mains encore tremblantes, je me penchai afin d'allumer ma lampe de chevet. Je ne trouvai pas l'interrupteur. J'allais devoir me lever dans le noir.
Repoussant mes couvertures, je posai mes pieds à terre. Le sol de ma chambre me parut bien plus froid que d'habitude. Encore troublée par mon cauchemar, je n'y prêtai aucune attention.
Mes jambes flageolantes arrivèrent enfin à me porter. Je n'avais pourtant pas fait deux pas que je m'effondrai. Le montant de mon lit me permit de rester à peu près digne -enfin, surtout de ne pas piquer du nez vers le sol. Centimètre par centimètre, je réussis à me traîner jusqu'à la fenêtre. Un rayon de lumière passait au travers des lattes. Hum, il était peut-être un peu plus tard que je ne le pensais.
Je posai mes mains sur les volets. Bizarrement, j'eus du mal à les pousser, malgré leurs battants bien huilés. J'en parlerais à mon père plus tard. La lumière du jour me frappa en plein fouet. Je levai une main dans le but de protéger mes pauvres yeux encore endormis.
Un tourbillon de voix montait depuis la rue, des cris, des chants.
- Jeanne!
Au son de la voix de ma mère, je me retournai en sursaut. Puis je reculai, surprise et apeurée par ce que je voyais. Sans aucun doute, c'était bien ma mère, avec sa peau pâle, presque transparente, ses cheveux blonds portés en chignon lâche et ses yeux gris. Mais la femme qui me faisait face portait une lourde robe jaune et rouge, crinoline, chapeau et gants assortis.
- Jeanne, que faites-vous encore en chemise de nuit? Nous devons aller voir la Louisette aujourd'hui, je vous rappelle, et Louis XVI faire joujou avec.
- Euh...
Ma mère -ou la femme qui se prenait pour elle- soupira avant de crier par dessus son épaule :
- Marie! Marie, venez tout de suite!
Une jeune fille arriva en courant presque instantanément. Elle s'inclina, le souffle court et les joues rouges.
- Oui, Madame?
- Aidez Jeanne à s'habiller. La robe violette, celle que lui a offert son père.
- Bien, Madame.
La demoiselle se tourna ensuite vers moi.
- Venez, Mademoiselle, vous allez prendre froid.
Elle me prit timidement la main et m'entraîna dans une autre pièce. Les murs étaient recouverts de robes, de chapeaux, de gants, de bas ou autres accessoires désuets. Marie m'intima de m'asseoir sur le siège recouvert de velours au centre de la salle. Sans prononcer mot, j'obéis.
- Madame votre mère a dit la robe de votre père. Elle est jolie la violette.
La jeune fille tournoyait dans la pièce comme un poisson dans l'eau. Je suivis des yeux cet étrange ballet. Marie, tout en virevoltant avec grâce, ne cessait pas de parler.
- Madame votre mère a dit la robe violette mais, moi, je vous mettrais bien la blanche et rouge, elle vous va mieux. Mais bon, si Madame à dit la violette, il faut mettre la violette.
- Dis moi, euh... Marie, quel jour sommes-nous?
- Bah! Le 21 janvier, Mademoiselle! Hier, nous étions le 20, et demain nous serons le 22.
- Ah.
Donc, nous étions bien le bon jour. Hier, j'étais bien en janvier 2016. Mais alors, tout cela ne serait qu'une blague, une mauvaise blague de la part de mes parents peut-être? Je touchais du bout des doigts la robe que venais de me passer Marie. En tous cas, les costumes étaient d'une qualité à couper le souffle.
- Vous êtes très belle, Mademoiselle, dans cette cette robe, fit ma camériste en découvrant mon émerveillement. Mais la blanche et rouge vous va quand même mieux, l'entendis-je bougonner.
-Merci, Marie.
Ma mère choisit ce moment même pour arriver.
- Êtes-vous prête Jeanne? Nous allons arriver en retard et ce serait du plus mauvais goût de l'être. La Louisette n'attendra pas notre arrivée.
Je me levai précipitamment et manquai de tomber. J'avais déjà oublié mes talons. Je remerciai Marie pour son aide et suivit ma mère, regardant mes pieds afin de ne plus me retrouver à terre. Nous sortîmes de la maison.
Je fus frappée de plein fouet par l'odeur de déjections humaines qui régnait dans la rue.
- Beurk...
- Que dites-vous, chérie?
- Ça pue!
Ma mère fronça le nez.
- Vous auriez dû mettre plus d'eau de senteur. La sale odeur en aurait été camouflée. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous même.
Pourquoi ma propre mère me vouvoyait? Et puis, j'habitais depuis toute petite dans cette rue, et je n'avais jamais senti cette odeur où se mêlaient sueur, déjection et décomposition. Je décidai tout de même de garder le silence -et la bouche fermée par la même occasion. Dans la rue, les personnes criaient et chantaient. Tous semblaient heureux.
- Tous à la Louisette!
Ce cri, ces quatre mots, fut le déclenchement de la course. Des hommes et des femmes me poussaient de tous les côtés si bien que j'eus un mal fou à rester debout. Je me félicitai d'être si grande, j'arrivai ainsi à ne pas mourir étouffée entre d'innombrables poitrines, torses ou bras. J'entendis un mère déclarer à son enfant :
- Nous allons voir le gros perdre la tête.
Et le petit sembla satisfait de l'explication. Moi pas. Je me tournai vers ma mère. Je la questionnai du regard mais elle ne sembla guère comprendre. Je haussai donc la voix :
- C'est quoi, la Louisette?
- Voyons, Jeanne! Le petit jeu du Docteur Louis, vous le savez bien!
- Mais, c'est quoi ce jeu?
- Un petit joujou qui vous fait perdre la tête.
Sachant pertinemment que je n'aurais pas plus d'informations, je préférai me concentrer sur ma course. Maladroite comme j'étais, je me savais capable de m'étaler au sol en me faisant un croche-patte à moi même. Un homme cria depuis un toit :
- L'année 1793 restera dans les mémoires pour toujours!
J'eus alors un affreux pressentiment. Je n'eus pourtant pas le temps de concrétiser la pensée fugace qui avait traversée mon esprit : nous arrivions déjà à une place monumentale. Au centre, un échafaud. Et sur cette échafaud... Oh non...
Les cris des personnes présentes tambourinaient contre mon crâne. Je ne voulais pas regarder, mais mon regard ne pouvait pas se détacher de la lame luisante. Qui descendait à une vitesse folle. Qui hurlait plus fort que la foule. Qui frappait les personnes qui passaient sous elle et dont la tête tombait dans le panier à son pied. Les cris de ses victimes volaient au-dessus de nous. Le sang rouge des condamnés coulaient sous nos pieds. La foule se scinda soudainement en deux pour laisser passer un homme imposant -plutôt gros, mais ça ne se dit pas- qui était escorté par une dizaine de gardes. Franchement? Onze gardes pour cet homme mou et flasque?!
Ce dernier regardait à droite puis à gauche, sans rien dire, calme. Lorsqu'il passa à mon niveau, je l'entendis marmonner quelque chose comme :
- Foutu Gillotin, si j'avais su ce que son instrument allait causer, je n'aurais certainement pas financé ses recherches...
Guillotin... Ce nom fit étincelle dans mon cerveau. Guillotin... Guillotine!
Je ne parvenais pas à détacher mon regard de l'homme dont je connaissais désormais le nom. 21 janvier 1793 plus Guillotine est égal à ... Louis XVI, évidemment!
L'ancien roi monta posément sur l'estrade. Il sembla parler mais les cris de la foules recouvraient ses paroles. Le bourreau poussa le roi de façon à ce qu'il soit bien sous la lame. Puis coupa la corde. Le silence se fit. Seul le hurlement de la lame planait encore d'une façon sinistre. Le bourreau se pencha puis se releva. Il tendit le bras. A sa main... Je manquai de vomir. A sa main, la tête de Louis XVI.
Je me relevai en sueur dans mon lit. Les mains tremblantes, je tâtonnai mon corps. J'entendis la porte s'ouvrir et la lumière se faire. Ma mère se tenait sur le seuil de ma chambre.
- Jeanne? Qu'est-ce qu'il y a? J'ai entendu ton cri...
J'avais crié? Ma mère s'assit sur mon lit et me prit dans ses bras.
- Aller, ce n'était qu'un cauchemar. Un méchant cauchemar...
Heureuse de m'être échappée de ma nuit, je pleurais contre la tendre épaule maternelle.
- C'est bon, tu es réveillée maintenant...
- On... on est quel jour?
- Mais, euh.... le 21 janvier 2016. Tu es sûre que ça va?
J'hochai vigoureusement de la tête, soulagée d'être retournée à mon époque.
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