Chapitre 53

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Altaïr s'arrêta à la lisière de la forêt. Accompagner Sanae dans sa cueillette de fleurs nocturnes ne l’avait pas préparé à rencontrer un Messager suicidaire, et voilà que le Temple même avait perdu son aura d’invulnérabilité.

–Qu'y a-t-il ? demanda Sanae.

–L'atmosphère est ... étrange. La paix du Temple est troublée.

–Rien ne semble avoir changé, pourtant.

–Fais-moi confiance. C’est une chose que nous percevons, nous autres Vénérians.

Sans attendre, il encorda son arc et encocha une flèche.

–Reste près de moi. Nous devons nous méfier.

Lentement, ils progressèrent vers les bâtiments du Temple. Les nuages défilant atténuaient l'éclat d’Eisul, la lune dorée. Le Pisteur s'approcha fugitivement d'une fenêtre éclairée pour essayer de glaner quelques informations.

–Restez le surveiller, je vais prévenir la Prêtresse.

–Et s'il se réveille ? hasarda une voix craintive.

–Faites le nécessaire pour que cela ne se produise pas, fut la réponse sèche.

–Les Prêtresses ont l'air d'avoir un prisonnier, chuchota Altaïr. Il y a donc eu une attaque. Peut-être le restant des forces que le Messager a attaqué seul dans la forêt.

–Tu crois que la Durckma et les autres sont vivants ? fit Sanae sur le même ton.

–Bien sûr qu'ils s'en sont sortis.

L'apprentie guérisseuse soupira. Quand donc les adultes la arrêteraient de la ménager sous prétexte qu’elle n’était encore qu’une enfant ?

–Le Messager Aioros est logé dans l'autre bâtiment. Suis-moi.

Les deux jeunes gens se faufilèrent jusqu'au pavillon.

–Pourquoi y a-t-il deux Disciples devant la porte ? s'étonna Sanae.

Altaïr étouffa un juron. Le Messager n'avait pas besoin de surveillance extérieure. Si les Disciples étaient des gardes, alors... Les conséquences paraissaient improbables, mais les faits étaient là.

–Reste ici, Sanae. Je vais voir si les Disciples font plus qu'une simple figuration.

Passant son arc en travers du corps, il se saisit des deux dagues cachées dans ses bottes et les dissimula dans ses manches avant de s'approcher des Disciples.

–La Paix d'Eraïm soit sur vous, Disciples, fit-il avec un sourire cordial. Puis-je entrer voir mon ami ?

–La Paix d'Eraïm soit sur vous également, Altaïr sey Alcantriz. Nous sommes désolées, mais vous ne pouvez entrer.

Nulle remarque sur l'heure tardive, ni sur ce qu'il fabriquait debout en pleine nuit. Il était suffisamment près pour passer à l'action. Elles ne se méfiaient pas, l'effet de surprise jouerait en sa faveur. D'un mouvement circulaire, il ouvrit la gorge de la première, avant de se saisir de la deuxième pour lui faire subir le même sort. Le couloir redevint silencieux ; le tout n'avait pris que quelques secondes.

Il essuya soigneusement ses lames sur les habits de ses victimes avant de les rengainer. Sa chemise serait irrécupérable.

–Viens, Sanae, appela le Vénérian.

La jeune fille s'approcha sans s'attarder sur les corps sans vie des Disciples d'Eraïm. N'y avait-il jamais d’autre solution que la violence ?

L'archer poussa doucement la porte. Contusionné mais en un seul morceau, Aioros se leva pour les accueillir.

–Je suis ravi de vous voir sains et saufs. Des Maagoïs ont attaqué le Temple.

–Encore des Maagoïs ?

–Comment ça, « encore » ? sourcilla Aioros.

–Nous avons rencontré un Messager dans la forêt, expliqua Sanae. D’après ce que j’ai compris, il en avait tué beaucoup.

–Ca explique son état pitoyable, commenta pensivement Aioros. Mais quand même, pourquoi ne nous a-t-il rien dit ?

–Tu l’as croisé ? s’étonna Altaïr.

–Il s’agit de mon jeune frère, Lucas, précisa le Messager. Il était avec la Durckma Satia quand Laria et moi sommes arrivés.

–Alors il avait raison ? Elle était bien en danger ? Comment a-t-il pu le deviner ?

–Raconte-moi votre entrevue en détail, questionna Aioros, soucieux.

Le Pisteur s’exécuta, et quand il eut terminé, le Massilien garda le silence, plongé dans ses pensées.

–Peut-être ai-je eu tort, marmonna-t-il enfin.

Crois-tu qu’il ait accouru pour la protéger des Maagoïs, et non pour la tuer ?

Je commence à songer que oui, fit Aioros. Peut-être ne recherche-t-il pas la mort, mais une nouvelle raison de vivre.

Ce lien ne sera jamais aussi fort que celui que nous partageons.

Je sais.

Et il ne t’a pas attaqué en premier, releva Saeros.

Effectivement.

Le Messager réfléchit et se remémora la scène. Quelle était la raison de la présence de son frère auprès de Satia ? La jeune femme lui avait paru davantage terrifiée que rassurée. De quoi avait-il voulu la protéger ? Lucas n’avait pas cherché à affronter les Maagoïs. Il avait même essayé d’empêcher la Prêtresse d’emmener Satia en sécurité.

Quelque chose ne collait pas.

–Comment avez-vous survécu aux Maagoïs ? demanda Sanae.

–La Prêtresse et ses Disciples se sont interposées, répondit Aioros.

–Tu ne vas pas me faire croire qu'ils se sont gentiment écartés ? fit Altaïr, incrédule.

–J'étais sceptique aussi, mais les combats ont cessé avant que nous ne soyons tués.

Sous le regard réprobateur de Sanae, le Pisteur se demanda s'il n'avait pas commis une erreur en disposant des deux Disciples. Peut-être s'assuraient-elles seulement du repos du Messager... Il n'aimait déjà pas tuer de sang-froid, mais si en plus il avait assassiné des innocents, il ne valait pas mieux que les meurtriers de son père.

–Quelque chose ne va pas ? interrogea le Messager.

–Il a tué les deux Disciples devant votre porte, asséna Sanae, décidée à se montrer sans pitié.

–Je vois, murmura Aioros.

Les Maagoïs avaient-ils vraiment cherché à les tuer ? Laria et lui s'étaient défendus de leur mieux, mais leurs ennemis étaient largement en surnombre ; ils auraient dû périr. Les Maagoïs n'avaient pas l'habitude de prendre des prisonniers. Comme les Mecers, ils étaient efficaces, précis, et mortels. De plus, en tant que soldats impériaux, ils vénéraient Orssanc, et non Eraïm. Qu'est-ce qui avait pu les pousser à s'écarter lorsque les Disciples le leur avaient ordonné ? Avaient-ils déjà récupéré ce qu'ils étaient venus chercher ? Craignaient-ils leurs pouvoirs liés au Feu ? N'étaient-ils qu'une diversion ?

–La Durckma est-elle en sécurité ?

–Je l'ignore, avoua Altaïr. L'atmosphère du Temple me parait toujours aussi... étrange, pourtant les habitudes des Disciples ne semblent pas être bouleversées. Soit la Durckma est bien ici et en vie, soit sa disparition n'émeut personne.

–Nous allons nous en assurer, dans ce cas. Nous en profiterons pour prendre des nouvelles de Laria et de Lucas.

Il espérait que la Guerrière de Perle soit en mesure de les accompagner. Les Maagoïs n'avaient pas été tendres avec lui. Son épaule gauche était douloureuse ; il en venait à se demander s'il récupèrerait totalement un jour. Une pensée qui ne le réjouissait pas.

Si la mort ne t'arrête pas, la vieillesse s'en chargera, intervint Saeros. Rien n'est éternel.

–Et l'Envoyé, avec toi, tu n'en as pas parlé, est-il...

–Itzal ? Je l'avais envoyé étudier la forêt avec ses Compagnons. Je lui ai ordonné d'y rester : tant que la situation n'est pas tirée au clair ici, il sera en sécurité.

Enfin je l'espère, ajouta-t-il pour lui-même.

–Vous pourriez rester ici pour vous reposer, intervint Sanae, soucieuse.

–Ne crains rien, petite, j'en ai vu d'autres, fit Aioros avec un clin d'œil rassurant.

Altaïr ouvrit la fenêtre en grand avant d'inspecter les alentours.

–Où se trouve-t-elle ?

–Elle devrait être dans le même bâtiment... Autant passer par les couloirs, non ?

–Tu as confiance dans les Disciples et les Prêtresses d'Eraïm... je doute encore.

Le Vénérian sauta lestement pour atterrir dans un parterre de fleurs, suivi peu après par Aioros. Sanae s'approcha.

–C'est haut, dit-elle timidement.

Sans hésiter, Altaïr attrapa la fillette et lui fit franchir le rebord.

–Et voilà, demoiselle !

–Il y a une lumière, là, indiqua la jeune guérisseuse.

–On dirait bien une patrouille, murmura Altaïr.

Le Messager jura.

Discernes-tu quelque chose, Saeros ?

Ils portent l'uniforme des Maagoïs.

–Il semble que tu aies raison, Altaïr. Je ne sais pas quelle sorte d'accord les Maagoïs ont passé avec les Prêtresses, mais je n'aime pas ça du tout.

–Leur lanterne est étouffée, elle n'éclaire rien. Si la chance est avec nous, la lune restera cachée et nous dissimulera.

Ils retinrent leur souffle lorsque les trois soldats passèrent à quelques mètres d'eux tandis qu’ils se tenaient dans l’ombre des buissons.

–Eraïm soit remercié, murmura Altaïr dès qu'ils furent hors de vue.

–Retrouvons Laria, maintenant.

–Vous me cherchiez ?

Les deux hommes se retournèrent au son de la voix familière.

–Comment...

–J'étais à l’étage, j'ai tout entendu avec la fenêtre ouverte.

–Autant pour la discrétion, commenta Aioros.

–C'est une chance, au contraire, je comptais également partir à votre recherche. Les Disciples n'ont pas à me retenir dans ma chambre.

–Il se passe bien quelque chose d'étrange ici, rétorqua Altaïr.

–Nous sommes sur Mayar, il est normal que les Prêtresses fixent les règles, expliqua calmement le Messager.

–Qu'en pense la Durckma ? demanda Laria.

–Justement, as-tu de ses nouvelles ?

–Pas depuis que la Prêtresse l'ait conduite en sécurité. Aucune des deux Disciples à ma porte n'a voulu me conduire à elle, ni me donner d’informations. Ça ne me plait pas.

–Il n’y a plus qu’à explorer chaque bâtiment, alors, déclara Aioros. Soyons méthodiques, et nous les localiserons.

–Est-ce qu’on se sépare ? questionna Altaïr.

–Je préfèrerai que nous restions groupés. Nous n’avons aucune idée du nombre de Maagoïs présents ici, et j’aimerai quelques explications de la Prêtresse Séliné. Elle n’a peut-être pas eu le choix, coupa le Messager comme Altaïr protestait. Le Temple ne dispose pas de troupes importantes.

Le Vénérian marmonna une réponse indistincte tout en leur emboitant le pas. Les paroles d’Aioros semaient le trouble dans son esprit. Les Disciples avaient-elles juste cherché à les protéger des Maagoïs en les isolant ?

Le Messager était bien plus expérimenté que lui et avait couvert de nombreux champs de bataille : il connaissait bien les habitudes des Maagoïs, et Altaïr commençait à croire à ses explications.

Alors pourquoi son instinct lui hurlait-il qu’ils étaient en danger ? C’était incompréhensible.

*****

Satia rongeait son frein. Elle avait l'impression que des heures s'étaient écoulées depuis leur fuite éperdue du dortoir. Les Disciples l'avaient emmenée à l'abri, tandis que les féroces Maagoïs engageaient le Messager et la Guerrière de Perle. Lucas aussi avait été embarqué par les Disciples d'Eraïm. La Durckma aurait bien aimé avoir de ses nouvelles ; n'était-il pas tombé inconscient sous l'assaut ? Était-il sain et sauf ? Qu'étaient devenues Laria et le Messager Aioros ?

Tant de question, et la Prêtresse Séliné qui refusait de lui fournir une quelconque réponse. Dans la confusion, elle avait même perdu sa précieuse sacoche ! Impossible de convaincre la Prêtresse qu'elle devait absolument retourner la chercher. Elle lui avait opposé un "non" ferme et définitif : Durckma ou pas, elles étaient dans le Temple d'Eraïm, et la parole de la Prêtresse faisait force de loi.

Malgré tout, Satia ne comprenait pas comment la Prêtresse et cinq Disciples pourraient la protéger d'une escouade entière de Maagoïs. Elle s'inquiéta de nouveau pour Aioros et Laria qui ne revenaient pas. Avaient-ils succombé sous le nombre ? Résistaient-ils toujours ? Et pourquoi les Maagoïs ne l'avaient-ils pas poursuivie ? N'étaient-ils pas venus pour elle ? La Prêtresse avait-elle recouru à un sort d'illusion qui les camouflait parfaitement ?

–Vous devriez dormir, Durckma, fit l'une des Disciples en se levant. Vous êtes en sécurité avec nous.

Satia tira le paravent, qu'elles avaient daigné lui accorder pour qu'elle ait un peu d'intimité, et effaça le sourire affable de la Disciple.

Leur calme et leur gentillesse l'irritaient. Elles lui assuraient que tout allait bien sans lui donner aucune réponse concrète. Le coup rageur qu'elle asséna à son oreiller n'arriva pas à dissiper son sentiment d'impuissance. Comment pouvait-elle seulement songer à dormir alors qu'elle n'avait aucune nouvelle de ceux qu'elle avait appris à considérer comme des amis ?

Un tintement répété lui fit relever la tête. Doucement, elle posa ses pieds nus sur le parquet ciré. Le bois craqua, et elle grimaça tandis que le murmure des discussions s'interrompait. Il ne manquait plus que l'une d'elles vienne vérifier qu'elle dormait bien. Elle retint son souffle, avant de se traiter d'idiote. Elle n'avait rien à craindre dans le Temple, et même si elle n'appréciait pas les Disciples et leur indifférence polie quant au sort de ses compagnons, elles n'étaient pas des ennemies pour autant.

Elle s'approcha de la jointure du paravent pour observer discrètement. Les cinq Disciples étaient assises le long du mur, discutant avec animation sans qu'elle ne soit capable de discerner plus de quelques mots de ci de là. À côté de l'unique porte, la Prêtresse faisait les cent pas. Qu'attendait-elle ?

Déçue, Satia revint s'allonger. Le service à thé reposait, inutilisé, sur la petite table basse devant les Disciples. Le bruit cristallin n'était pas de leur fait. Elle avait sûrement dû confondre avec le cliquetis d'un bijou.

Non, le son n'était définitivement pas métallique. Pourtant... Son regard se porta presque immédiatement sur la fenêtre. À genoux sur les draps défaits, elle s'approcha des carreaux. Derrière le verre, un faucon nain. Elle étouffa une exclamation de joie. Elle le reconnaissait ! Le Compagnon du Messager Aioros. Lui au moins était donc en vie. Elle se sentit quelque peu soulagée. Elle aurait aimé lui faire passer un message, mais l'ouverture de la fenêtre ne passerait pas inaperçue. Le rapace s'envola, et Satia ne put retenir une sensation de dépit et de frustration. Si proche et si loin à la fois.

Elle s'allongea, les bras croisés derrière la tête. Elle ne pouvait qu'attendre, et espérer.

******

–Saeros les a trouvés, annonça le Messager Aioros à ses compagnons.

–Eraïm soit loué, murmura Laria. Sont-ils vivants ?

–Oui, bien que l'état de mon frère soit préoccupant. Il est toujours inconscient, et trois Disciples sont avec lui. Nous nous occuperons d'abord de la Durckma.

–La question demeure. La Prêtresse acceptera-t-elle de nous laisser voir Satia, ou nous opposera-t-elle un refus... musclé ? Et où sont passés les Maagoïs ? Ils étaient plus de douze... Sont-ils tous en patrouille, ou confinés eux aussi dans les bâtiments du Temple ? demanda Altaïr.

–Nous courrons droit à la catastrophe, commenta la Guerrière de Perle d'un ton funeste. Ne peux-tu rappeler Itzal ? Un combattant de plus ne sera pas de trop.

–Trop risqué. Il n'est qu'Envoyé, et ses Compagnons sont trop jeunes. Il ne serait qu'une distraction. Ils me serviront de point de repère pour notre repli dans la forêt.

–Que proposes-tu, alors ?

Le Messager n'hésita qu'un instant : il y avait déjà réfléchi. Le plus expérimenté du groupe, ils s’étaient placés tacitement sous ses ordres.

–Nous vérifions les abords du pavillon où la Durckma se trouve. Si possible, nous discuterons. Sinon… nous récupérons la Durckma. Avec son consentement, si possible.

*****

Lorsque le tintement se refit entendre, Satia sursauta. Le faucon était de retour.

–Si seulement je pouvais te comprendre...

Il n'était pas aussi calme ; surexcité, il sautillait de long en large sur le rebord de la fenêtre, agitant ses ailes pour conserver un semblant d'équilibre. Après quelques secondes de ce manège, la Durckma en fut persuadée : il essayait de lui transmettre un message. Mais lequel ?

L'oiseau partit de nouveau. Satia se traita de sotte. Qu'espérait-elle, un miracle ? Elle pouvait se débrouiller seule, si elle le désirait. Le voulait-elle vraiment ?

Elle s'arma de courage. Il fallait qu'elle récupère rapidement sa sacoche. Si quelqu'un la découvrait par mégarde... Elle se rassura : personne ne prendrait garde à un sac si banal.

Doucement, elle fit jouer le mécanisme d'ouverture. Elle s'y attendait, mais grimaça malgré tout lorsque le bruit grinçant fit taire les conversations. La Prêtresse Séliné écarta aussitôt le paravent.

–Que faites-vous donc ?

Satia n'apprécia pas le ton autoritaire - et encore moins l'absence de son titre.

–J'ouvre la fenêtre, comme vous le voyez, répliqua la jeune femme d'un ton sec. La chaleur est étouffante.

–Dans ce cas, vous n'avez pas besoin de votre robe ? rétorqua la Prêtresse d'Eraïm.

Satia répondit par un sourire qu'elle voulait affable et entreprit de se dévêtir.

–Satisfaite ? fit-elle une fois en tunique. Je peux essayer de dormir, maintenant ?

Séléné ne répondit pas, et tira le paravent derrière elle, emportant la robe.

Satia prit le temps de compter jusqu'à cent avant d'oser faire le moindre mouvement. Avec précaution, elle s'agenouilla de nouveau.

La jeune femme resserra sa tunique autour d'elle, maudissant en silence la Prêtresse. Le climat était certes chaud sur Mayar, heureusement, mais sa tenue attirerait l'attention si elle venait à croiser du monde. Elle se préoccuperait de ce problème en temps voulu, décida-t-elle. Elle se hissa dans l'encadrement de la fenêtre, et plissa les yeux pour tenter de discerner ce qui l'attendait en contrebas.

Ce n'était pas tant la hauteur qui la retenait (il y avait tout juste un mètre) que la nature de ce qui devrait amortir sa réception... Pieds nus, la moindre pierre aiguë ou tout branchage s'avèrerait douloureux.

Satia enjamba le rebord de la fenêtre, et essaya de se laisser doucement tomber sur le sol en se retenant un maximum. Elle écrasa les fleurs sous ses pieds et s'écorcha les genoux sur les pierres à peine taillées qui constituaient les murs. Quelque chose grimpa sur sa jambe, qu'elle secoua frénétiquement pour se débarrasser de l'importun. Elle s'efforça de ne pas penser à tous les insectes nocturnes, ou pires, aux limaces et autres crapauds visqueux.

Elle se faufila entre les buissons de roses et d'aubépines, cherchant à se repérer au travers des fugitifs rayons lunaires. Sa sacoche devait être restée dans le dortoir, tout en haut du bâtiment central ; voilà quelle serait sa destination.

Satia porta la main à sa joue et grimaça lorsqu’elle retira ses doigts poisseux de sang. Heureusement qu’avec l’humidité ambiante son sang séchait plus difficilement. La moindre flammèche la trahirait dans l’obscurité. Son corps et son visage se couvraient d’estafilades chaque fois qu’elle devait s’aplatir dans les buissons pour échapper aux patrouilles, qui étaient d’ailleurs trop nombreuses à son goût. Si la Prêtresse d’Eraïm tolérait la présence des Maagoïs au nom de la paix du Temple, pourquoi n’avait-elle pas aperçu de soldats chargés de la sécurité du Temple ? Étaient-ils tous consignés dans leurs quartiers ? Peu probable, protéger le Temple était leur mission prioritaire.

Elle se sermonna. Satia n’avait pas le temps pour réfléchir aux problèmes du Temple ; elle devait récupérer son bien.

Si elle avait bien mémorisé l’emplacement des bâtiments, elle apercevrait le bâtiment central dès qu’elle aurait terminé de contourner celui-ci. Elle souffla pour dégager la mèche mauve qui lui tombait dans les yeux et prit appui sur ses mains maculées de terre pour se relever. Sa tunique était dans un état lamentable, un fait qu’elle préférait ignorer pour l’instant. Accroupie derrière un massif de pétunias, elle essaya de percer les ténèbres, en vain.

Elle se rassura, après tout, chaque patrouille était équipée d’une lanterne. Écrasant violettes et marguerites, elle progressa lentement, contourna un rosier et passa sous une tonnelle de glycine odorante.

Le bâtiment apparut enfin au clair de lune. Son cœur accéléra : elle touchait au but !

Elle aurait aimé se déplacer aussi silencieusement que les Mecers ; des brindilles craquaient à chacun de ses pas, quand les graviers ne crissaient pas sous ses pieds douloureux. Elle n’avait qu’à espérer que personne ne remarquerait sa silhouette – surtout pas un Maagoï.

Satia accéléra sur les derniers mètres pour s’engouffrer dans la porte restée grande ouverte. L’obscurité lui parut plus intense à intérieur. L’incendie s’était éteint ; des fumerolles montaient pourtant encore de quelques poutrelles calcinées. Une chaleur résiduelle émanait des débris, des cendres recouvraient le sol, donnant l’illusion que des siècles de poussière s’étaient accumulés. Les colonnes et les bas-reliefs étaient à peine reconnaissables. L’impression d’invulnérabilité qui se dégageait autrefois du sanctuaire avait disparu.

Sans s’attarder, elle grimpa les escaliers menant au premier étage, prenant à peine le temps de tester chaque marche. Endommagé mais suffisamment solide pour supporter son poids. Des poutrelles noircies traversaient le plancher par endroits, qu’elle dut contourner ou enjamber. Elle arriva sous les toits. Enfin, même s’il n’y avait plus de toiture à proprement parler, détruite lorsque les Maagoïs avaient violé l’enceinte du sanctuaire. Des débris de tuiles en céramique jonchaient le sol du dortoir, les matelas s’étaient entièrement consumés, les cadres de lits métalliques étaient tordus, ceux en bois n’étaient plus que de vagues formes charbonneuses. La chaleur était étouffante.

Elle s’attela à fouiller les décombres, une tâche ardue. Ses mains et ses avant-bras furent bientôt tâchés de suie. Elle se déplaça pour trouver une position plus confortable, prenant appui sur une latte qui céda sous son poids. Satia étouffa un cri. En équilibre précaire, les jambes ballotant dans le vide, elle s’efforça de se tirer d’affaire. Il lui fallut plusieurs minutes d’efforts, qui la laissèrent essoufflée, les avant-bras écorchés, bardés d’échardes. L’ouverture irrégulière avait griffé ses jambes lorsqu’elle s’était démenée pour se sortir de là.

Elle soupira et ramena une mèche derrière son oreille, barrant ses tempes d’un trait noir. Il lui tardait de pouvoir goûter au luxe d’un bain chaud.

Il lui sembla que des heures s’écoulaient tandis qu’elle déplaçait en vain gravats, tuiles et cendres. Le désespoir la submergea. Les Maagoïs l’avaient-ils déjà emportée ?

Puis sous un amas de résidus noirâtres, elle mit à jour une bandoulière. Le soulagement l’envahit. Avec précaution elle dégagea le reste du sac, intact, avant de le passer en travers de son corps. La première étape était achevée : elle avait récupéré son bien. Elle hésita sur la conduite à tenir à présent. Retrouver la Prêtresse Séliné ? Profiter de son escapade pour tenter de retrouver ses compagnons ?

Un cri perçant et familier la fit sursauter. Le faucon nain du Messager Aioros ! Posé dans l’embrasure d’une fenêtre au verre brisé, il la considéra d’un œil scrutateur avant de s’envoler. La Durckma sourit. Elle avait encore des alliés dans le Temple. Eraïm ne l’avait pas abandonnée.

*****

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