chapitre 4

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****** à Ponderosa

Je suis en train de plier du linge, pendre une robe. La ceinture de satin rose glisse. Aussitôt Benjamin s'avance pour la ramasser, je fais de même, nos mains se frôlent, nous échangeons un sourire. Il me tend le bout de tissu, je le prends et remercie Benjamin du bout des lèvres. Nos yeux se croisent, encore une fois. Nous sommes attirés par le bruit d’un galop dans la cour, puis par des éclats de voix. Joe et Hoss vocifèrent à l’extérieur. Je pose la robe sur le lit et nous nous précipitons dans le couloir, dans les escaliers.

« C'est Adam ! »; crie Hoss.

Il a le front plissé, les cheveux en bataille et du sang sur ses vêtements, sur sa joue, sur ses mains.

« Adam, qu'est-ce qui ? »

Adam est maintenant assis sur le canapé, son père est tout près de lui.

« Tu es blessé Adam ? »

« Joan, j'ai quelque chose à vous dire.

Je m’asseois près de lui. Il se tourne lentement vers moi et me prend la main.

« Joan, il s'est passé quelque chose de grave au saloon.

- Henry est gravement blessé.

-OH NON, …...... est-il ?

- Je ne sais pas; Joan. La blessure est grave, très grave.

- Mais que lui est-il arrivé ? Une chute de cheval ? Un accident ?

- Il a reçu un coup de couteau au cours d'une bagarre au saloon... »

Tout cela est improbable. Je n’en crois pas un mot.

- Un coup de couteau; Henry ? Il doit y avoir une erreur, ça ne se peut pas; pas Henry. Henry n'est pas bagarreur.

« Il y a eu un accrochage entre lui et Edmond. »

- Edmond ? Est-ce que je le connais cet Edmond ?

- Oui, il travaille pour nous. C'est lui que je ramenais en ville.

- Benjamin, je veux aller en ville, je veux aller au chevet de Henry. Il le faut, emmenez-moi, je vous en prie... Benjamin.

- Oui, bien sûr Joan. Allons-y ! Nous partons sur le champ ».

J’attrape au vol ma cape de velours noir et mon chapeau violine ainsi que mes gants et sors sur le porche, précédant Benjamin qui referme la porte derrière lui. Il passe sa main autour de ma taille et m’entraîne vers le buggy que Hoss finit d’atteler. Il se met face à moi et me prends dans ses bras. Les larmes ne tardent pas.

« Venez, allons-y, nous avons une longue route devant nous et Adam avait l'air de dire que c'était très sérieux. »

Benjamin m’aide à grimper sur le siège. Je sors de ma poche un mouchoir de coton blanc et tamponne mes yeux rougis. Nous croisons le regard de Joe, celui-ci s’avance et touche le bout de mes doigts.

« Joan, on est là. »

- Merci Joe. Merci d'être là.

- Je reste là avec Adam ».

Mais Adam est déjà dans la cour, prêt à monter en selle.

« Non, Joe, je vais en ville. Je dois parler à Roy.

- Adam, est-ce bien raisonnable ?

- Pa, je ne suis pas blessé, tout va bien. C'est dit; je viens avec vous.

- Bien, je n'insiste pas; fils. »

Hoss finit d’atteler le buggy avant de filer vers son cheval. Adam et Joe sont déjà en selle.

- Doucement les garçons, pas d'imprudence. L'orage a détrempé la piste, n'allez pas tomber ; nous n'avons pas besoin de ça en ce moment.

- Promis Pa. »
Je serre mes mains gantées sur le devant de ma jupe, il ne pleut plus, mais l'air est vif et me pique les joues. Une foule de pensées se bouscule dans ma tête, tout défile à vive allure devant mes yeux : le paysage, les arbres, les buissons, les dernières semaines, ma vie. Et tout défile sans que j’ai de prise sur le temps, je subis les évènements. Le certificat, la mort violente de Mme Dexter mère, Henry gravement blessé, voilà une fin tragique pour un mariage qui a volé en éclat. Est-ce que ça compte ou est-ce que ça ne compte plus ? Je ne sais pas.
Je lève les yeux vers le ciel et commence à prier en silence.

Oh grand esprit dont j'entends la voix dans le vent et dont le souffle donne vie à tout l'univers, entends ma prière. Je suis ton enfant de lumière. J'ai besoin de la force de ton amour pour discerner le vrai du faux et chasser les ténèbres qui embrouillent mon esprit. Donne-moi la sagesse pour pardonner, fait que mes yeux et que mon cœur voient clair en l'homme à qui j'ai uni ma vie. Je demande la force non pas pour dominer, mais pour combattre un ennemi terrible : le doute. Fais que mes mains soient instrument de guérison pour éloigner la mort de celui à qui j'appartiens; afin que nous puissions parler et éclaircir notre horizon. Et s'il vous plaisait de le rappeler, laissez-nous le temps de nous regarder, laissez-nous le temps de nous parler, afin que nous nous quittions sereinement.

*****que le temps dure longtemps lorsque l'urgence se fait sentir. Ce buggy se traine, je vois passer des branches, et des branches. J'ai l'impression de ne pas avancer, qu'on va au ralenti. Alors qu'en même temps, tout s'est accéléré. Je n'ai aucune prise sur ce qui se passe et ça me fait peur.

« Nous y sommes presque, Joan. Il nous reste quelques miles, encore une quarantaine de minutes et vous serez auprès de lui.

- Merci Benjamin.

- Moi aussi j'ai hâte d'y être. J'ai besoin de comprendre ce qui s'est passé. Cet homme nous doit des explications, il travaillait pour moi, après tout. »

Enfin Benjamin stoppe les chevaux, devant le saloon. Une foule de curieux s'est amassée devant les portes à battants. Les nouvelles vont très vite ici, comme partout. Et l'annonce de la bagarre au saloon au cours de laquelle un homme avait été blessé ne pouvait qu'attirer les habitants de Virgninia City pour qui tout ce qui sortait de l'ordinaire était bon à prendre. Hoss joue des coudes pour faire dégager les badauds et les commères.

Je défais le crochet de ma cape et me précipite vers le fond de la pièce, là où Paul s'est installé. Henry git maintenant sur une table qu'on a débarrassée à la hâte. C'est avec d'infinies précautions qu'ils l'ont soulevé et qu'ils l'ont allongé sur le dessus de la table.

« Docteur, comment va-t-il ?

- Il a perdu énormément de sang. Mais il est toujours avec nous.

- Oh merci docteur. »

Je pose ma main sur le bras de mon époux. Henry ne réagit pas.

« Il est si pâle.

- C'est à cause de la perte de sang. Pour l'instant il est stabilisé, j'ai pu stopper l'hémorragie mais il est très faible. Et je n'exclus pas une infection. Son pronostic vital est doublement engagé.

J’encaisse les paroles du docteur, mes larmes roulent doucement sur mes joues, je ne quitte pas des yeux mon époux et lui caresse tendrement le visage.

- Pourrai-je rester seule avec lui ?

- Bien sûr Mrs Dexter.... »

Les hommes présents quittent la pièce et Ben tire le rideau qui sépare la salle principale de l'arrière-salle où Paul s'est installé avec le blessé, le préservant des regards des curieux qui sont toujours aussi nombreux devant les portes.

- Hoss, Joe, faîtes dégager cette bande de fouineurs sans gêne et indiscrets. Sinon je vais leur foncer dans le lard. Oh et puis tenez, je vais sortir avec vous, je dois parler à Roy.

******dans le saloon.

Le visage mouillé de larmes, je reste près de lui, je caresse sa main. Je murmure à son oreille de douces paroles. Est-ce qu’il m’entend ?

« Docteur, que se passe-t-il ? C'est Henry ? »

Paul Martin remue la tête en signe d'acquiescement.

« Joan, je suis désolé. »

Je suis heurtée de plein fouet par ces trois mots. Je me penche sur lui, lui serre la main, les yeux débordant de larmes. J’écrase sa main, comme pour lui transmettre ma chaleur, les battements de mon cœur.

***Je sens qu’on me prend par les épaules et qu’on m’emmène au loin. Benjamin me serre contre lui et m’offre son épaule. Je me tourne contre lui et continue de verser toutes les larmes de mon corps.

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