Etudions hardiment

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La jeune femme tint sa promesse et revint le lendemain, puis le surlendemain. Silence, à qui elle avait ordonné de rester alité, avait demandé qu’on lui amenât son psaltérion pour se distraire. Mélisande après ses soins demeurait un peu pour l’écouter et il ne fut que trop heureux de cette audience, jouant et chantant de sorte à la retenir aussi longtemps qu’il le pouvait. Parfois, ils devisaient pendant un long moment.

Un heureux moral aide le corps à guérir ; il n’y eut pas d’exception pour Silence, qui eut quasiment béni cette blessure qui amenait régulièrement Mélisande à son chevet et se refermait presque trop vite à son goût. Il n’espérait rien, n’attendait rien, mais chaque jour accueillait la venue de la jeune miresse comme un assoiffé accueille la pluie. Il se contentait de cette félicité, mais ses rêves parfois le tourmentaient rudement ; il s’en réveillait perplexe puis se raillait lui-même. « Vrai ! Si cette histoire n’était mienne, je la raconterai à mes camarades pour les faire rire : a-t-on jamais vu telle ironie ? Un chevalier qui abuse si bien son monde que bien des femmes voudraient se l’attacher, mais qui ne s’attache à personne ; hormis celle-là seule qui le connaît trop bien pour jamais l’aimer ! Je suis le plus grand dupe de ma propre farce. » Il se gaussait, puis l’instant d’après soupirait : « quand Mélisande revient-elle ? »

***

En dehors des moments où elle assistait son père, Mélisande était libre d’aller et venir au château, c’est-à-dire libre d’effectuer des tâches pour elle-même, n’ayant personne à son service. Ce jour-là, elle s’apprêtait à suspendre son linge dans la grande pièce aérée pourvue à cet effet ; mais alors qu’elle allait entrer, le bruit d’une conversation dans la pièce l’arrêta. Elle se rencogna pour n’être point aperçue et tendit l’oreille, car elle était sûre d’avoir entendu son nom. Deux servantes devisaient gaiement sans sembler se soucier d’être entendues.

– Comme je te dis : ce n’est plus le mire du roi qui s’occupe du jeune Silence, mais sa fille Mélisande exclusivement, et elle est fort assidue auprès de lui.

– Pardi ! Je parie qu’il ne s’en plaint pas ! Elle n’est pas vilaine et ses mains, dit-on, sont habiles. Je me demande si, à travailler si près de sa lance, elle ne l’encourage pas un peu à la joute.

Les deux femmes pouffèrent ; Mélisande sentit ses joues lui brûler. Elle hésita à faire demi-tour, puis finalement se décida à entrer hardiment à la vue des servantes, qui suspendirent aussitôt leurs ricanements. Mélisande clama :

– Commères, vous semblez bien douées pour laver le linge d’autrui, à ce qu’il semble. Quant à moi, je lave le mien moi-même et n’aurai pas besoin de votre aide.

L’une des interpellées maugréa ; l’autre répliqua :

– Ne sois pas si fière parce que tu es fille de mire. Ta vertu ne vaut pas plus cher que la nôtre.

***

Ce même jour, quand Mélisande entra dans la chambre de Silence, le visage de son patient s’éclaira comme à son habitude, mais se défit aussitôt qu’il vit son expression.

– Mélisande, pourquoi cette triste mine ?

– Ce n’est rien, messire.

Après son examen, elle déclara :

– Vous êtes pratiquement guéri. Je vais vous donner un onguent que vous pourrez vous appliquer vous-même, une fois par jour. Vous pouvez d’ors et déjà vous lever et marcher, mais ne faites pas d’exercice trop violent pour quelques jours encore.

Le chevalier en fut tout à la fois heureux et marri, car il comprenait bien que ces paroles signifiaient que la jeune miresse ne viendrait plus près de lui. Le ton de sa voix était un rien sec et il s’en étonnait.

– Damoiselle, vous êtes tracassée, je le vois bien. Ai-je fait quelque chose pour vous fâcher ?

– Non, pas vous, sire Silence. Mes comparses persiflent car je suis la seule admise à vos soins.

Silence eut un sourire embarrassé :

– Elles ne peuvent se douter pourquoi.

Comme la jeune femme restait grave, il se troubla.

– Mélisande, je suis navré. Je ne voulais pas vous compromettre. Ont-elles été viles avec vous ?

– Pas vraiment. Leurs paroles m’ont peinée, mais pas pour la raison que vous imaginez.

– Quoi, alors ? Parlez-moi, je vous en prie.

– Je crois, dit Mélisande avec lenteur, je crois qu’en vérité j’en suis désolée car… je souhaiterais qu’elles disent vraies dans leurs railleries. Que je sois votre amante et que vous soyez mon amant.

Silence ouvrit de grands yeux. Ses joues se colorèrent si vite que Mélisande perçut presque le battement du sang sous la peau. Il ouvrit et ferma la bouche à plusieurs reprises ; elle vit ses yeux s’humidifier et en fut touchée jusqu’aux tréfonds. Assise sur le lit, elle s’approcha doucement du chevalier figé comme par un sortilège et passa ses doigts sur la joue lisse qui n’avait jamais eu besoin de connaître le rasoir.

– Vous êtes si beau, messire. Me laisserez-vous vous caresser ?

– Comment puis-je t’aimer, Mélisande ? Ma bouche est trop rude pour donner des baisers, trop raides sont mes bras pour enlacer.

– Votre bouche me paraît douce au contraire et je crois que votre étreinte me serait bien agréable. Mais si vous ne me voulez pas, messire, assurément je ne vous forcerai à rien.

Elle fit un geste comme pour se lever et partir ; Silence mordit à cette feinte et, pris de peur, la retint par la main.

– Non ! Ne te fais pas de telles idées, Mélisande. Tu es très belle assurément, et spirituelle, et savante, et plus noble de cœur que bien des nobles dames ; tu es tout ce que mon cœur peut désirer. Seulement j’ai cru si longtemps que l’amour me serait interdit, en réalité, je le crois encore ; es-tu sûre de ton choix, toi qui me connais comme nulle autre ?

– Vous me dites spirituelle et savante, messire, mais vous ne me croyez point assez sage pour comprendre ce que je demande ? Me voulez-vous ?

– … Oui, souffla-t-il, mais pas si bas qu’elle ne pût l’entendre.

Elle trouva qu’à la vérité ils avaient assez palabré ; elle se pencha vers Silence pour l’embrasser ; ils échangèrent de longs baisers. Mais quand Mélisande croisa de nouveau son regard, elle vit toujours le doute dans ses yeux.

– Vous êtes nerveux ? Vrai, vous êtes plus intrépide, je gage, sur un champ de bataille.

– Ne te moque pas. Je suis si ignorant, Mélisande, je vais te décevoir.

La jeune femme sourit et se coula tout contre lui. Enhardie par la proximité du cœur qu’elle sentait palpiter contre sa paume, elle commença à délacer sans se presser les cordons de la chainse de son compagnon, murmurant :

– N’aie crainte, je n’ai guère plus d’expérience que toi, mais les jeux de l’amour ne sauraient être plus ardus que la médecine ou les armes. Etudions hardiment : bientôt nous saurons tout.

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