Maude

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Un chevalier du roi avait accompagné Silence jusqu’à la limite des terres royales, puis l’y avait abandonné, lui enjoignant de ne point reparaître sinon accompagné de l’enchanteur. Silence depuis menait sa monture au hasard. Sa quête lui semblait bien absurde : comment chercher un être dont on ne connaît ni l’apparence ni le lieu où il vit ? Mais n’avait-il pas demandé lui-même à ce qu’on lui assigne une tâche impossible pour prouver son bon droit ? « Au vrai, si Dieu ne m’aide pas, je suis condamné à errer de la sorte jusqu’à ma mort. Mélisande, dame de mon cœur ! Tu dois me détester d’avoir ainsi rompu ma promesse et de t’avoir laissée derrière moi ; mais il n’y a point de ma volonté. »

Silence allait ainsi de village en village, questionnant sans succès ceux qu’il y rencontrait. On se moquait bien un peu de sa folle quête, mais sa grâce et sa courtoisie adoucissait les cœurs ; comme il aimait à chanter pour distraire son ennui, on lui prêta bientôt un luth dont il se servait à merveille. Il commença à être connu par le nom que lui donnait autrefois le roi de France, le chevalier-ménestrel, et là où il arrivait on se disputait pour l’entendre et le recevoir chez soi.

Il fut ainsi hébergé un soir chez un paysan dans une contrée reculée au nord ; de plus riches que lui avaient réclamé l’honneur d’inviter Silence, mais la fille aînée d’une famille paysanne, jeune femme jolie et gaie, s’était emparée du chevalier-ménestrel en le prenant par la main et l’avait conduit jusqu’à sa demeure ; Silence n’avait guère résisté à sa gracieuse ravisseuse. Si la repue et le logis étaient fort modestes, la compagnie fut très joyeuse : la famille du paysan le reçut avec beaucoup d’égards et les plus jeunes enfants le pressèrent avec ardeur de jouer de son luth. Il chanta de nombreux lais, surtout d’amour ; puisqu’il les chantait en soupirant, la fille aînée, Maude, se méprit sur leur intention et songea qu’ils lui étaient peut-être destinés. Lorsque vint l’heure de se coucher, elle fit comprendre à leur hôte qu’il pouvait, s’il le désirait, passer la nuit à ses côtés. Il déclina avec beaucoup de douceur, mais non sans une frayeur qui l’étonna, elle qui ne connaissait point son histoire ; il expliqua qu’il avait une fiancée qu’il espérait rejoindre une fois sa quête achevée. Cette paysanne valait au fond bien mieux que certaine reine : elle prit ce refus avec la plus grande grâce et pria même le chevalier de lui parler de cette heureuse damoiselle qui avait conquis son cœur. Comme Silence était intarissable sur ce sujet, leur discussion dura jusqu’à une heure avancée.

Le lendemain, Silence prit congé de ses hôtes ; ni eux ni personne au village ne semblait avoir la moindre information sur Merlin, mais il repartait tout empli de la chaleur avec laquelle il avait été reçu par ces bonnes gens. Maude cependant n’assista pas à son départ, ce dont il fut un peu chagrin, se demandant si en fin de compte il ne lui avait pas fait quelque peine.

Mais à peine se fut-il éloigné du village que la jeune fille surgit sur son chemin ; peu s’en fallut que la monture de Silence ne l’écrasât pas.

– Sire chevalier ! Je souhaitais vous parler seul et sans que personne ne puisse nous entendre : j’ai quelque chose à vous dire sur l’objet de votre quête, mais on pourrait m’en vouloir de vous le divulguer. A vrai dire je ne sais si je fais bien en vous révélant ce que je sais. Mais votre histoire avec damoiselle Mélisande m’a émue : vous ne la retrouverez pas avant d’avoir d’abord trouvé Merlin et si je pouvais y faire quelque chose…

– Oh, damoiselle, si vous savez quelque chose, parlez bien vite, je vous en prie. Vous ne savez quelle espérance vous faites naître en mon cœur.

– La vérité, messire, c’est que Merlin est passé en ce pays ; il y a apporté à la fois beaucoup de dommage et beaucoup de bienfaits ; mais à la fin il en partit. Si personne ne vous en a soufflé mot, n’y voyez aucune malveillance, au contraire : c’est que Merlin est un être redoutable ; vous êtes jeune, beau, aimable, nul ne souhaite vous envoyer à votre perte ; moi-même j’en ai le cœur déchiré.

Mais Silence ne se souciait pas de ces craintes et n’était qu’impatience de connaître tout ce qu’elle avait à lui révéler.

– Quand il partit, savez-vous où il est allé ?

– Il est parti vers le nord, dans le comté voisin, j’ai ouï dire dans une grande forêt qui depuis est devenue maléfique. C’est un endroit plein de rêves, où on s’y endort pour ne plus se réveiller ; où de monstres étranges rôdent, à la férocité bestiale mais à l’intelligence humaine. Et si ni songe ni créature ne vous arrête, il vous restera à affronter l’enchanteur lui-même : son pouvoir est très grand ; il vous soumettra à sa volonté et fera de vous son esclave ou vous tuera.

Elle dit ces derniers mots le visage tout chiffonné, car en vérité elle croyait les chances du chevalier bien minces et songeait qu’il serait perdu par sa faute et que jamais elle ne le reverrait. Mais Silence au contraire laissa éclater sa joie ; il la couvrit de gratitude et lui offrit un anneau en signe de reconnaissance et d’amitié. Elle lui adressa encore beaucoup d’avertissements, dans l’espoir qu’il mesure le danger et y renonce, mais à la parfin dut le laisser partir en direction du comté du nord.

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