Le ménestrel

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L’atmosphère à Cornouailles avait été funèbre pendant bien des jours. Mais aujourd’hui, la nouvelle comtesse Florie devait bien se résoudre à quelques festivités pour honorer les vassaux venus lui rendre hommage. Son humeur n’y était guère, cependant. Elle avait à peine touché au banquet qu’elle avait organisé elle-même. Elle avait consenti à ce que musiciens et baladins viennent égayer la fin du repas ; les serviteurs commençaient à débarrasser les tables pour laisser place aux danses. Florie regardait les évènements sans y prendre part ; il ne lui tardait que de rejoindre son lit. Son regard balaya les danseurs puis les ménestrels. L’un d’eux était un harpeur ; quelque chose en lui accrocha son regard. Penché sur son instrument, son couvre-chef couvrait son visage ; ses mains fines virevoltaient avec aisance sur les cordes. Le cœur de Florie se mit à battre à vive allure et son visage se colora. Voyant son émotion, l’un de ses serviteurs les plus fidèles lui demanda si elle était souffrante.

– Légèrement, reconnut-elle. Je vais quitter la salle, mais que les festivités continuent. J’ai une mission pour vous, cependant : quand vous le pourrez, dites au harpeur là-bas de me rejoindre demain derrière l’église à prime. Soyez discret mais assurez-vous qu’il ait bien compris mon instruction.

Le lieu du rendez-vous n’était guère précis, mais Florie retrouva le harpeur à l’endroit exact où elle s’y attendait. Quand elle le vit, il était de dos, penché sur la tombe d’Euphémie et Cador de Cornouailles. Elle s’approcha à pas lents jusqu’à ce qu’il l’ouït et se retourne. Son visage était triste et heureux tout à la fois.

– J’ai tardé, dit-il.

– Trop tardé, appuya Florie.

Puis elle prit le harpeur dans ses bras, prise d’une émotion qui ne pouvait se canaliser que par les larmes ; Silence pleurait aussi. Ils restèrent longtemps ainsi avant de pouvoir reprendre langue.

– Comment as-tu su ? interrogea Florie.

– Je n’ai rien su, mais quelque chose me pressait de revenir depuis plusieurs semaines ; Mélisande et moi sommes arrivés en Angleterre il y a quelques jours seulement et j’ai appris la mort de nos parents. Je suis arrivé seulement pour la cérémonie d’hommage.

– Il faudra en refaire une, maintenant que tu es là. Tout le monde te croyait mort, mais le véritable héritier de Cornouailles, c’est toi.

– À Dieu ne plaise que je sois venu te prendre ce qui t’appartient, ma sœur ! J’ai renoncé au comté il y a longtemps déjà ; il te revient de droit.

– Mais toi, quelle vie mènes-tu ?

– Une vie d’errance, mais elle me convient. Mélisande et moi avons vu bien de belles contrées ; elle loue ses services de miresse, moi ceux de musicien ; elle guérit les corps et je réconforte les âmes. De la sorte nous sommes reçus partout et ne manquons de rien.

– Vous êtes-vous mariés ?

– Oui, là où personne ne nous connaissait assez pour nous désapprouver. Mais je sais, moi, que nous sommes unis avec la bénédiction du Ciel : elle n’a pas besoin de moi sans doute, mais quant à moi, tous mes exploits, je n’aurais pu les réaliser sans Mélisande. La Providence nous favorise toutes les fois que nous sommes ensemble ou cherchons à nous réunir.

– Es-tu heureux alors ?

– Je le suis. Et toi ?

– J’ai été bien chagrine toutes ces années où tu as disparu. Tu ne peux savoir comme il était pénible de ne rien savoir ! Je ne savais si je pouvais renoncer, te pleurer et porter ton deuil, s’il était vain d’espérer encore. Ai-je mérité ton abandon ? Ne t’ai-je pas secouru, moi aussi, quand tu en avais besoin ?

– Oh, Florie, petite sœur. Pardonne-moi. J’aurais dû revenir plus tôt, cela est vrai. J’avais le cœur blessé et redoutais le sort auquel on voulait me contraindre. Je voulais me faire oublier. Tu es devenue une femme belle et forte, une vraie comtesse. Je veux te savoir heureuse à présent. Ton époux est-il digne de toi ? Où est-il ?

– C’est un de ses… mauvais jours. Quoique je le soupçonne de prendre grand plaisir à jouer les bêtes sauvages dans les bois.

Silence eut un rire.

– Tu as épousé Bisclavret ! N’avait-il pas déjà une épouse – celle qui l’a piégé dans sa peau de loup ?

– Elle a opportunément rendu l’âme pendant cette même période où il ne pouvait retrouver sa figure d’homme.

– Bon ! J’espère qu’il montre plus de valeur aujourd’hui qu’il n’en a eu le jour où je l’ai enjoint à m’aider à affronter Merlin.

– Ne le juge pas sur ce seul acte : c’est un chevalier de grande force et de grande douceur tout à la fois. Il m’a été d’un grand réconfort toutes ces années. Et toi, où est ton épouse ?

– A l’hôpital de l’abbaye où elle aide à soigner les malades. Je vais la rejoindre à présent.

– Ne pars pas si vite ! Tu es resté absent si longtemps !

– Je ne peux rester, au risque d’être reconnu par d’autre que toi. Mais viens avec moi ; nous deviserons en route. Et ce n’est pas la dernière fois que tu me vois, je te le promets : tant que le château de Cornouailles sera bon et accueillant envers les jongleurs et les ménestrels, je reviendrai.

– Reviens tous les ans, pas plus rarement ! Le promets-tu ?

Il y avait quelque chose d’enfantin dans cette injonction, quelque chose de l’amour exigeant de la jeune Florie, à l’époque où elle fleurissait l’épée de son frère. Silence sourit.

– Je t’en fais le serment, petite sœur.

Fin

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