Episode1 - Partie 2 : D'Ombres et de morts

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 Du moins, elle tenta.

 Une main gantée avait violemment et profondément pénétré dans sa gueule. Avant qu’elle n’eût pu se retourner, l’inconnu lui arrachait aisément la moitié de la tête. Des gerbes pestilentielles et verdâtres repeignirent la salle. Le corps dégobillait son sang épais sur moi, son ancienne proie incapable de retenir plus longtemps le flot bileux qui avait tenté de l’asphyxier.

 — Retirez-vous ! dit mon sauveur.

 Face à cette voix puissante et profonde, j’obtempérai, roulant de suite sur le côté. Bien que cette personne vînt de m’assurer un sursis, je suais à grosses coulées. Comment ne pas éprouver de doutes devant cette ombre encapuchonnée d’ombres plus denses encore ?

 — Je préfère toujours assurer le coup ! Puis, cuit ça schlinguera moins.

 Une flammèche jaillit de l’obscurité. J’eus beau appliquer mon regard – la curiosité avait pris le pas sur l’appréhension –, je discernai seulement l’intensité d’yeux invisibles. Malgré moi, je restai hypnotisé par leur étreinte. Il fallut une déflagration soudaine pour que je pusse m’en libérer. Dès son contact avec la chair morte et l’hémoglobine maudit, le feu avait pris confiance. Il se consuma avec passion pour disparaître tout aussi rapidement. Du cauchemar, il ne restait plus que quelques cendres et une grande trace de mon propre sang. À ce moment, je me souvins de ma douleur ; elle s’autorisa à prendre mon crâne en étau.

 — Vilaine plaie ! D’autant que ces putains de bestioles ont pu cracher leur venin dessus. Je ne donne pas cher de votre fessard si vous ne désinfectez pas ça au plus vite. Et la nuit va bientôt tomber. Vous savez ce que ça veut dire ?

 — Oui… Ils vont sortir !

 — Ouaip ! Et pas qu’un peu. Il y a une cave, à côté, on va s’y barricader. J’ai moyen de faire un petit feu.

 — Et vous pensez que ce sera suffisant ?

 J’évoluais en milieu inconnu. J’aurais dû être sur le chemin du retour de ma mission de repérage.

Tu vas briser la règle n°1 !

 Proche des remparts protecteurs du city-bunker. Comme d’habitude. Mais je m’étais aventuré un peu plus loin aujourd’hui.

Négligeant la règle n°1 !

 Nous n’avions plus obtenu d’informations utilisables depuis trop longtemps. En conséquence, certains risques devaient être pris.

Quitte à briser la règle n°1 ?

 Tout enfant l’apprenait dès le premier âge.

 « Jamais tu ne dormiras seul dehors ! ». Ces mots n’existaient pas pour rien. À présent, je m’apprêtais à briser la première loi en restant auprès d’un inconnu certes puissant, mais peut-être aussi dangereux que le mal à proximité et sur le point de s’éveiller.

Tout aussi redoutable qu’il semble être, tu penses qu’un simple feu et une cave sauront te protéger du Pire ?

 Tandis que je continuais de réfléchir, mes traits, crispés, devaient trahir un scepticisme par trop prononcé. L’homme – en espérant que c’en fût un – s’en aperçut sans aucun doute, car il devint cinglant :

— Eh bien, si tu te sens en veine, galope ! On verra si la Mort est d’humeur badine et te trouve à son goût.

 Impressionné, je ne me sentais pas de répondre, d’autant que j’hésitais encore. Demeurer avec cet individu mystérieux, à l’abord désagréable ou partir avec la nuit sur mes talons. Plus j’y pensais, plus ce choix ressemblait au piège sadique d’un esprit malin. En ce genre de cas, je savais où trouver la solution. Je récupérai mon sac à dos. La fiole s’y trouvait et – Grande bénédiction à vous Ô très Saint Père ! – en bon état. Je versai sur mon front les quelques gouttes utiles au rituel, une tradition que mon père - et j’en gardais une immense fierté - m’avait enseignée dès mes 2 ans, avant même le Service Obligatoire Catéchétique des 5 ans. Avec une solennité et une ferveur toujours aussi égales depuis l’extraction de ma foi, je procédai au cérémonial. Je me laissai tomber à genoux, la main droite contre mon cœur, la gauche dressée très haut devant moi, paume retournée vers le ciel.

Ô très Saint Père, ma chair, mon sang, mon âme à votre service

Acclamation de votre grandeur qui transcende toute chose ici-bas

Je vous remercie pour la survivance que vous m’avez octroyée !

 Un rire sarcastique résonna à côté de moi.

 — Je vois que tu n’oublies pas de remercier certains.

 — Oh…

 J’étais partagé entre le dépit, voire la colère, d’avoir été interrompu dans mes ablutions, tout ce qui faisait de moi un bon croyant vivant, et l’embarras d’un oubli de politesse aussi évident. Je préférai rester courtois toutefois. L’ombre n’avait en rien perdu de son aura effrayante et persistait à se lover dans l’obscurité croissante, comme un prédateur prêt à fondre sur la moindre proie qui s’aventurerait trop près.

 — Veuillez m’excuser ! Je vous remercie…

 L’inconnu me coupa derechef.

 — Je te charrie ! Par les temps qui courent, ni les excuses ni les remerciements ne nourrissent son homme. Mais laisse-moi te dire que je trouve ces prières plutôt risibles. Surtout lorsque l’on sait que tu ne pensais même pas à « ton très Saint Père » au moment de crever.

 Le sol n’était pas loin de se dérober à nouveau. La chaleur envahissait mes membres sous le coup d’un amalgame de sentiments toujours plus intenses. La rage, la peur, le doute, la honte… Je sombrais comme le Soleil au dehors sur la mélodie de son ricanement sinistre. Mais j’étais incapable de la moindre révolte. Je gardai donc le silence. Il savait mes pensées, il les lisait, les écoutait ou que sais-je ? En ce moment, il prêtait son oreille indiscrète à ma réflexion et devait y puiser une autre source de sarcasmes.

Écoutez ! Écoutez autant que vous le souhaitez, mais sachez qu’il sera difficile de me briser. Je suis protégé par un être bien plus puissant que vous. Mon âme lui appartient, vous ne saurez la corrompre.

 — Les animaux se cachent. La réalité tremble.

 Ce n’était pas la répartie que j’attendais. Peut-être avais-je mal entendu, mal compris ses propos précédents ? Peut-être cette journée ô combien éprouvante commençait-elle à embrumer ma raison ? À la faveur des frayeurs les plus intimes, l’imagination savait bâtir les plus inquiétantes illusions.

 — Allons, ne tardons pas ! Suis-moi si tu veux continuer à prier qui tu souhaites.

 J’obéis. Ni mon corps ni ma raison n’opposèrent de résistance.

Tu as brisé la règle n°1… Tu as choisi le diable intérieur au mal extérieur ! Amen !

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